Journée à l’hôtel, journée à soi
Il est possible de louer une chambre durant les heures du jour. J’ai testé l’offre dans un hôtel bernois
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Aude-May Lepasteur
14 décembre 2021 à 19:18
Berne » Il y a des gens qui louent une chambre d’hôtel durant les heures de la journée. Il y en a même plein. Qu’y font-ils? S’y rencontrent-ils pour des passades amoureuses? S’y trouvent-ils pour se reposer entre deux avions? S’y rendent-ils pour échapper aux complexités d’un télétravail sur la table de la cuisine? Et moi, qu’y ferais-je si j’avais cette opportunité?
«Et si je te faisais la plus décadente des pages Evasion en allant à Berne, Bâle ou Genève pour passer une journée à l’hôtel», ai-je écrit, il y a quelque temps, à ma cheffe. Le SMS suivant montrait la pureté de mes intentions: «Si je peux, je promets de commander le room service.» C’est ainsi qu’un jour quelconque d’une semaine quelconque, je me retrouvais dans le couloir quelconque d’un hôtel quelconque d’un quartier quelconque. Pourquoi ce non-choix? Parce que mon objectif était bien plus de faire l’expérience d’une journée à l’hôtel – n’importe quel hôtel – que de faire ici le portrait d’un établissement. Mais je vous rassure, il y avait un room service.
«Ne pas déranger»
Il était 9 heures du matin lorsque j’ai poussé la porte. Le jour commençant éclairait la pièce d’une lumière sans concession. Les draps étaient blancs et tendus, la moquette foncée recelait des secrets dont mes orteils ne voulaient rien savoir, dans le mur des trous témoignaient de l’envergure supérieure de la précédente télévision, un miroir grossissant qui n’avait pas trouvé sa place dans la salle de bains trônait sur le bureau, à la fenêtre les tuyaux d’aération géants détournaient le regard du Palais fédéral. J’ai jeté mon manteau et mon écharpe sur le fauteuil, ignorant comme à mon habitude les patères prévues à cet effet, et accroché l’étiquette «ne pas déranger» à la poignée de la porte. Dehors, les gens vivaient et je me suis demandé ce qui au monde m’avait pris de venir ici. C’était un renoncement maussade, un enfermement consenti, le cerveau bloqué devant une expérience familière mais présentée à l’envers.
Double oreiller
J’ai décidé que la meilleure chose à faire à ce stade était de faire la sieste. Après tout, c’est bien la première fois de ma vie que j’étais payée pour faire la sieste. Quand je parle de la location d’une chambre d’hôtel à la journée, mes interlocuteurs ont souvent un sourire de biais. Mon récit ne peut que les décevoir. Dans mon cas, il n’y avait aucun amant caché sous le duvet. Le lit, au demeurant, m’a semblé bien étroit pour les galipettes, même si les deux oreillers laissaient à penser qu’on pouvait être davantage que seul sur le matelas. Personnellement, je les ai empilés pour ne pas gâcher.
Deux bonnes heures plus tard, c’est la promesse de commander un room service qui m’a contrainte à sortir de mon sommeil. Rien n’avait troublé mon repos, si ce n’est, peut-être, le claquement rassurant d’un drap qu’on abat dans une chambre voisine.
Une chambre à soi
En me rendant à l’hôtel en journée, j’emportais dans mes bagages deux références. Une chambre à soi de Virginia Woolf dans laquelle l’autrice britannique s’interroge de page en page sur les grandes choses que les femmes pourraient créer si elles avaient «cinq cents livres de rente et une chambre dont la porte est pourvue d’une serrure». Et le film The Hours de Stephen Daldry, dans lequel Laura Brown, incarnée par Julianne Moore, se rend dans une chambre d’hôtel car elle ne supporte plus sa vie en apparence parfaite de mère au foyer. Alors que repose sur la table de nuit Mrs Dalloway, célèbre roman de Woolf, elle rêve que la pièce se remplit d’eau. S’éveillant en sursaut, elle prend conscience qu’elle ne peut aller de l’avant (sans qu’on sache si c’est de son suicide programmé ou de sa vie de famille dont il s’agit).
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