Logo

Histoire vivante

Une abbaye comme reliquaire de la foi

«Histoire vivante»/Jubilé • L’abbaye de Saint-Maurice abrite de nombreuses reliques de saints. Leur étude détaillée permet de mesurer aujourd’hui leur rôle majeur dans l’expansion de la foi en Occident. Les explications du chanoine Roduit.

Le culte des reliques est resté bien vivant à Saint-Maurice. Le 22 septembre dernier, la traditionnelle procession des reliquaires (ici la châsse des enfants de saint Sigismond et celle de saint Maurice) a marqué l’ouverture des festivités des 1500 ans de l’abbaye.

Propos recueillis par Pascal Fleury

Propos recueillis par Pascal Fleury

16 décembre 2014 à 17:01

  • «Voici le corps du bienheureux Maurice, chef militaire et martyr», indique cette étiquette de 1225.
  • «Nous recensons plus de mille églises dédiées à saint Maurice», se réjouit le Chanoine Olivier Roduit.

Depuis 1500 ans, sans interruption, l’abbaye de Saint-Maurice, en Valais, entretient le culte des reliques du saint militaire Maurice et de ses compagnons de la légion thébaine. Le chanoine Olivier Roduit, archiviste de l’abbaye et curé de Bex, Ollon et Villars-Gryon, lève le voile sur cette tradition religieuse, toujours bien vivante, à la lumière de nouvelles études à paraître dans le cadre du grand jubilé.

- Comment le culte de saint Maurice et de ses compagnons thébains est-il né en Valais?

Chanoine Olivier Roduit: L’événement fondateur, après le martyre de Maurice et de ses compagnons, entre 286 et 302, c’est l’intervention de saint Théodule, l’évêque d’Octodure (Martigny). Vers 380, le premier évêque connu du Valais exhume les reliques des martyrs thébains, qui lui ont été «révélées» sur le site voisin de Vérolliez, pour les amener à l’emplacement actuel de la basilique de Saint-Maurice, au pied de la falaise. Il agit dans la mouvance de son confrère évêque saint Ambroise de Milan, qui a déjà mis en valeur les ossements des martyrs Gervais et Protais dans la cité italienne. Il faut savoir qu’au IVe siècle, les chrétiens se souvenaient encore des persécutions. Ces expositions de saints visaient à montrer, de manière bien visible et pour l’exemple, le témoignage de chrétiens ayant eu le courage de mourir pour leur foi. Pour saint Théodule, il s’agissait aussi de favoriser la diffusion de la foi chrétienne dans la région.

- Pourquoi Théodule a-t-il choisi le pied de la falaise de la bourgade d’Agaune comme site de culte?

Cet endroit était déjà utilisé pour un culte romain. On y a retrouvé une ancienne tombe romaine et un autel dédié aux Nymphes, les divinités des eaux, qui était placé près d’une source. Saint Théodule fait construire une première chapelle, déjà relativement importante. Le sanctuaire est alors animé et gardé par des clercs. Rapidement, il jouit d’un grand rayonnement, ce qui amène la petite communauté à s’agrandir. Les fouilles menées par l’archéologue Alessandra Antonini ont bien confirmé la présence de ces premières constructions.

- De là à créer une abbaye sur place, il n’y avait qu’un pas…

La fondation de l’abbaye, en 515, est en fait le fruit du rêve politique de saint Sigismond. Le futur roi des Burgondes voulait ouvrir un sanctuaire national au cœur de son royaume. La notoriété du lieu de culte valaisan a sûrement joué un rôle dans le choix du site. Mais la «Passion des martyrs d’Agaune», écrite par l’évêque Eucher de Lyon avant 450, a pu aussi l’influencer, de même qu’une autre «Passion anonyme de saint Maurice d’Agaune», qui lui est antérieure, selon les dernières recherches de la science.

- L’historicité du martyre reste controversée. Comment être convaincu de l’authenticité des reliques des martyrs thébains?

L’évêque Théodule a fait déplacer les reliques de Maurice et de ses compagnons en 380, soit moins d’un siècle après leur condamnation à mort pour avoir refusé de sacrifier aux idoles et d’attaquer des chrétiens. Si toute cette histoire avait été inventée, les habitants de la région ne l’auraient pas crue. En un laps de temps de 80 ans, un événement de pareille importance reste marqué dans la mémoire collective. Il a dû être transmis par la tradition orale.

- Mais la controverse sur l’authenticité du martyre existe…

Elle remonte à la Réforme et a effectivement donné lieu à de grands débats, jusque dans les années 1950. Aujourd’hui, avec l’étude des deux «Passions» du Ve siècle, auxquelles on accorde une grande confiance, ce débat n’a plus cours. Il s’agit toutefois de relativiser. Les deux «Passions» ne font pas œuvre d’histoire comme on la comprend aujourd’hui, mais sont des textes liturgiques destinés à soutenir la dévotion des fidèles. La légion thébaine n’est pas répertoriée dans l’histoire militaire romaine. On pense qu’il s’agissait plutôt d’un corps de troupe spécialisé de quelques centaines de soldats - l’avant-garde de l’armée -, qui a été «décimé», c’est-à-dire dont on a tué une personne sur dix. Au XIIIe siècle, la célèbre «Légende dorée» de Jacques de Voragine, qui faisait état de 6666 martyrs, a fait rêver de nombreux pèlerins, sûrs de pouvoir obtenir à l’abbaye des reliques à profusion!

- L’abbaye conserve aussi les reliques de nombreux autres saints. Comment cela se fait-il?

Cela s’explique par la circulation et les nombreux échanges des reliques. Les textes les plus anciens montrent déjà que l’abbaye offre des reliques à de nombreuses églises d’Occident. Elle en reçoit aussi en cadeau. Chaque nouvelle relique reçue donne de l’importance au sanctuaire, attirant toujours plus de pèlerins. Dans notre basilique, nos autels sont d’ailleurs dédiés à de nombreux saints, et une chapelle est dédiée à saint André et à saint Nicolas.

Les reliques viennent principalement des sièges épiscopaux de la vallée du Rhône, mais aussi d’Irlande, d’Italie, de Terre sainte. En 1260, un chanoine de Saint-Maurice a ramené de Rome toute une série de reliques, précisément notifiées sur un parchemin: des ossements des saints apôtres, de Côme et Damien ou de Nicolas, ou encore des parcelles d’habits de la Vierge…

- Ces échanges de reliques ont aussi fait l’objet d’un certain commerce, dénoncé par la Réforme…

Les reliques étant très prisées, elles pouvaient susciter des appétits matériels. Elles ont pu être achetées ou vendues. Le XIIIe siècle, qui connaît un regain de spiritualité, est un temps faste pour ce commerce. A cette époque, il est important de pouvoir «voir» les choses. A Saint-Maurice, cela se manifeste en 1225 par la sortie des reliques du tombeau, qui était sous le chœur de l’église, pour les exposer à la vénération. On fabrique alors toute une série de châsses, qui sont aussi destinées aux processions. Dès le XIVe siècle, l’abbaye se dote d’une chapelle du trésor. Construite par Amédée VIII de Savoie (le pape Félix V), elle atteste du soin que portent les chanoines aux reliques.

Plus tard, la Réforme a critiqué une sorte de fétichisme autour des reliques, estimant que l’on donnait davantage d’importance à l’objet qu’à ce qu’il signifiait. Les reliques étaient devenues si sacrées qu’on oubliait qu’elles n’étaient qu’un signe pour nous relier à Dieu. Après la Réforme, plusieurs reliquaires ont été ouverts par souci d’authentification (lire ci-dessous).

- Les reliques ont été pendant longtemps un vecteur de l’expansion de la foi. Qu’en est-il aujourd’hui?

Pour nous, les chanoines, les reliques restent toujours le cœur de l’abbaye. Nous poursuivons l’œuvre de témoignage de foi des martyrs et sommes très touchés de voir l’attention que portent nos visiteurs, surtout orthodoxes et coptes, pour ces reliques. Très sollicités, nous offrons encore régulièrement des reliques à des églises dédiées aux martyrs. Comme récemment à Saint-Maurice dans le Val-de-Marne, mais aussi dans les îles du Pacifique, à Madagascar ou plusieurs fois en Egypte, où les Coptes ont redécouvert «leur» martyr de Thèbes (Louxor). Nous avons d’ailleurs reçu en visite à l’abbaye leurs patriarches Chenouda III en 2004 et Tawadros II cette année. Aujourd’hui, nous recensons plus de mille églises dédiées à saint Maurice à travers la planète.

*****

Des reliques soigneusement «authentifiées»

Jusqu’au XXe siècle, les étiquettes accompagnant les reliques de saints étaient appelées des «authentiques». C’est dire l’importance qui était accordée à la véracité de ces vestiges sacrés.

Dans une étude à paraître en avril prochain dans le cadre de la publication d’un double livre historique sur les 1500 ans de l’abbaye de Saint-Maurice, la professeure Julia Smith, de l’Université de Glasgow, révèle avec quel soin les reliques ont été conservées et entretenues à travers les siècles et combien leurs origines sont diversifiées, couvrant tout l’Occident chrétien.

La chercheuse a analysé environ 100 étiquettes manuscrites, toutes en parchemin sauf une en papyrus. L’une des plus anciennes était fixée à une relique de saint Maurice trouvée dans l’aiguière dite de Charlemagne, datant du VIIe siècle.

Les recherches de Julia Smith n’ont pas la prétention d’«authentifier» les reliques conservées à Saint-Maurice. Pas plus d’ailleurs que l’étude anthropologique menée en 1961 par le professeur Marc-R. Sauter n’avait pu conclure en la véracité du martyre. Le spécialiste se contentait d’observer la présence d’ossements appartenant à des hommes de «race méditerranéenne».

L’analyse des étiquettes de l’abbaye éclaire en revanche sur l’incroyable vivacité du culte des reliques dans l’histoire de la chrétienté. Les reliques ont joué un rôle primordial dans l’expansion de la foi en Occident.

*****

Repères

Un patrimoine mis en valeur

> Le Trésor de l’abbaye, entièrement restauré, met aujourd’hui en valeur les précieux reliquaires et châsses qui abritent toujours les reliques des saints martyrs de la légion thébaine et d’autres saints. La visite du Trésor, avec audioguide, s’inscrit dans un circuit qui comprend le site des fouilles archéologiques et l’église abbatiale.

> www.abbaye-stmaurice.ch

> Les archives de l’abbaye, l’un des fonds ecclésiastiques les plus riches de Suisse, constituent le seul fonds d’archives médiévales au monde à pouvoir prétendre être entièrement numérisé et mis à disposition via internet. Elles comprennent des manuscrits remontant au Xe siècle, des chartes et registres de chancellerie, mais aussi l’intégralité de la revue «Les Echos de Saint-Maurice» et une collection de 1400 affiches retraçant deux siècles d’activités culturelles.

> www.aasm.ch

> Pour marquer le jubilé de l’abbaye, la RTS diffuse dimanche «L’abbaye de Saint-Maurice, 1500 ans d’histoire» (Histoire vivante) et «Vocation chanoine», de Christian Berrut. La messe de minuit sera diffusée en eurovision depuis la basilique. Un site d’archives radio et TV est aussi proposé sur internet.

> www.abbaye1500.ch

> www.histoirevivante.ch

> www.rts.ch/1500

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus

Hiver 1954. La femme sans qui l’œuvre de l'abbé Pierre n’aurait jamais existé

Il y a 70 ans, le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait son vibrant appel radiodiffusé en faveur des sans-abri qui mouraient de froid en France. Son «insurrection de la bonté» n’aurait pas été possible sans le soutien extraordinaire d’une femme, Lucie Coutaz. Cofondatrice et directrice administrative du mouvement Emmaüs, elle a été son alter ego durant 40 ans. Portrait.