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Histoire vivante

Sur les traces des vrais «Monuments Men»

IIIe Reich • Dans le chaos de la fin de la guerre, des milliers d’œuvres d’art cachées par les nazis se sont retrouvées en grand danger. Les Monuments Men américains ont fait le forcing pour les sauver. Parfois à la dernière minute.

Les (vrais) Monuments Men: George Stout (à g.) et Walker Hancock (centre droit). La mine de Siegen, transformée en expo temporaire, abritait«La Sainte Famille» de Rubens. En bas: Eisenhower, Bradley et Patton, à Merkers.

Pascal Fleury

Pascal Fleury

18 janvier 2016 à 16:46

  • Gen. Dwight D. Eisenhower, Supreme Allied Commander, accompanied by Gen. Omar N. Bradley, left, CG, 12th Army Group, and Lt. George S. Patton, Jr., CG, US Third Army, inspects art treasures stolen by Germans and hidden in a salt mine in Germany. 04/12/1945 RG-111-SC-204516.tif

Lorsque le conservateur d’art George Leslie Stout et le sculpteur Walker Hancock pénètrent dans la ville de Siegen encore à feu et à sang, en ce dimanche de Pâques 2 avril 1945, ils n’imaginent pas ce qui les attend dans l’ancienne mine de Hain, transformée en abri antiaérien sous la colline du château des comtes de Nassau.

Embrigadés par l’armée américaine au sein des Monuments Men - une escouade spéciale rendue populaire en 2014 par le film de George Clooney -, ils savent juste qu’un dépôt d’œuvres d’art se trouve dans cette cité industrielle proche de Cologne.

Pénétrant dans un long tunnel voûté, sombre, humide et nauséabond, les soldats du Programme de sauvegarde de l’art, des monuments et des archives doivent d’abord se frayer un chemin à travers une foule de rescapés allemands. S’éclairant à la lampe de poche, ils balaient leurs visages «blêmes et fermés», qui trahissent «de la peur et de la haine». «Nous étions les premiers Américains qu’ils voyaient», racontera plus tard l’officier Stout.

Trésor artistique

Pas trop rassurés, les deux spécialistes s’enfoncent sur plusieurs centaines de mètres dans le bunker. Leur découverte dépasse alors toutes leurs attentes: dans une immense halle de stockage, près de 600 tableaux, souvent de grande valeur, et une centaine de sculptures, remplissent des étagères jusqu’à la voûte. Le capitaine Hancock repère aussitôt des tableaux de Rembrandt, Rubens - dont Siegen est la ville natale -, Van Dyck, Delacroix, Lochner, Fragonard, Van Gogh, Gauguin, Cézanne, Cranach, Hals ou encore Renoir.

Issues principalement des musées de Rhénanie, ces œuvres ont été entreposées à Siegen dès août 1944, à la demande de l’historien d’art Franz Graf Wolff-Metternich, responsable de la protection des œuvres d’art en Allemagne, comme nous l’explique Dieter Pfau, historien à Siegen. L’aristocrate dirigeait auparavant le service du «Kunstschutz» en France, confisquant les tableaux pour les «protéger» en Allemagne.

Les Monuments Men ne sont pas au bout de leurs surprises. Dans des coffres, ils découvrent le trésor de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, l’un des principaux trésors ecclésiastiques du nord des Alpes, avec ses châsses en or et argent contenant les reliques de Charlemagne et de plusieurs saints. Quelques soldats peu respectueux ne manquent pas de se faire prendre en photo avec les attributs du Saint-Empire.

Symphonie de Beethoven

D’autres caisses renferment des objets d’art de plusieurs musées allemands, les collections de la maison de Ludwig van Beethoven à Bonn, dont le manuscrit original de la «6e Symphonie», et de nombreux objets d’art sacré provenant des cathédrales ou églises de Trêve, Essen, Cologne et Siegburg. Ces possessions de l’Eglise catholique n’ont pas été spoliées par les nazis, mais simplement «cachées avec le soutien des services de l’Etat pour les protéger des attaques aériennes alliées», précise l’historien Pfau. Pour les récupérer, le vicaire de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, Erich Stephany, accompagne d’ailleurs personnellement les Américains dans le bunker.

Au fur et à mesure de l’avancée des troupes alliées en Allemagne, les Monuments Men font de nouvelles découvertes. Des centaines de caches, mines, châteaux forts, abris antiaériens, fermes isolées révèlent peu à peu d’importants butins artistiques. Avec la chute attendue du Reich, les langues se délient, des documents sont livrés, des prisonniers ou travailleurs forcés témoignent. Les informations les plus précieuses sont fournies par la résistante Rose Valland, attachée de conservation au Musée du Jeu de Paume à Paris, qui servait de plaque tournante pour les œuvres d’art spoliées. Dans ses carnets, la Française a consigné tous les mouvements de ce vaste trafic. Rose Valland a permis la localisation de plus de 45 000 œuvres d’art.

L’une des caches les plus incroyables sur laquelle tombent les Américains se situe en Thuringe, dans une mine de sel près de Merkers-Kieselbach. Le site est en zone soviétique, mais en ce début d’avril 1945, les Russes ne sont pas encore arrivés sur place. Les soldats US récupèrent alors d’urgence les trésors qui s’y trouvent, dont des collections des musées berlinois, 400 toiles de la Nationalgalerie... et le buste de Néfertiti!

Dans le même labyrinthe minier, les militaires mettent la main sur une grande partie de la réserve d’or des nazis: 8000 lingots, plusieurs milliers de sacs de pièces d’or, des bijoux, de l’argenterie et des dents en or provenant des camps de concentration. Face à pareille découverte, les généraux Eisenhower, Bradley et Patton descendent eux-mêmes inspecter les lieux.

D’autres œuvres d’art inestimables sont retrouvées, comme les joyaux de la Couronne, à Nuremberg, ou le fameux retable de Gand, à Altaussee (lire ci-dessous). A Berchtesgaden, la 101e division aéroportée découvre l’incroyable collection du passionné d’art Hermann Göring: plus de mille œuvres pillées à travers toute l’Europe.

Musée pour la troupe

A la mi-mai, lorsque le capitaine Hancock retourne à Siegen pour régler l’évacuation du trésor, il s’étonne de voir que le bunker a été transformé en «Musée d’art» provisoire par l’armée américaine. «C’est assurément l’un des épisodes les plus cocasses de l’immédiat après-guerre», souligne l’historien Dieter Pfau: «La 8e division d’infanterie a permis aux soldats de visiter pendant quelques jours le trésor retrouvé, posant même un panneau accrocheur à son effigie - la «flèche d’or» (Golden arrow) - à l’entrée de la mine. Une photographie et un extrait du ciné-journal allemand en témoignent.»

Craignant pour la sécurité des œuvres, l’officier les fait rapidement transférer au point de collecte de Marburg. La majeure partie des œuvres saisies finissent à Munich, où elles sont inventoriées. De nombreux tableaux spoliés à travers l’Europe ne retrouveront cependant jamais leurs propriétaires. Dans les musées français, par exemple, environ 2000 œuvres attendent toujours d’éventuelles réclamations. Et en Suisse, selon un rapport fédéral de 2011, 25 musées (sur 326 ayant répondu à un sondage) ont estimé que des œuvres en leur possession pouvaient avoir été spoliées par les nazis. Les demandes de restitution sont rares.

Clooney attendu

Aujourd’hui, dans la petite ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, l’entrée du vieux bunker - couverte de graffitis - est toujours visible. Et un panneau commémoratif rappelle cette histoire dans les jardins du château. La sortie du film «Monuments Men», réalisé et interprété par George Clooney, a ravivé certains souvenirs locaux. Mais le long-métrage n’a pas eu d’effet sur le tourisme à Siegen, contrairement à Merkers-Kieselbach, où la mine est très visitée.

«Seuls quelques visiteurs nous ont demandé où se trouve la mine», nous confie la directrice du château de Siegen, Ursula Blanchebarbe, dont le musée expose une très belle collection d’œuvres de Peter Paul Rubens. «Mais comme l’ancienne mine n’est pas ouverte au public et qu’aucune scène du film n’a été tournée ici, il n’y a pas eu d’impact. De toute évidence, Clooney n’a pas encore trouvé le chemin de Siegen!»

> Lire aussi: «Le pillage de l’Europe - Les œuvres d’art volées par les nazis», Lynn H. Nicholas, Editions du Seuil.

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Un trésor pour le Musée d’Hitler

Le dépôt d’œuvres d’art le plus extraordinaire retrouvé par les Monuments Men se trouvait en Autriche, dans la mine d’Altaussee. Découvert par l’architecte Robert Posey et le soldat Lincoln Kirstein, il a été sauvé in extremis d’un dynamitage nazi en mai 1945, au moment de la capitulation allemande, grâce à l’aide de mineurs locaux. La cache recelait près de 10 000 peintures et dessins, dont le retable «L’Agneau mystique» de Gand, chef-d'œuvre flamand d’Hubert et Jan Van Eyck. Ce trésor était destiné à alimenter le «Führermuseum». Cet énorme projet artistique, qui devait se construire d’ici 1950 à Linz, au côté d’un nouvel opéra et d’un théâtre, se voulait un temple à la gloire du Reich et de l’art germanique.

Pour approvisionner son musée, Hitler s’était adjoint les services d’éminents historiens d’art et galeristes usant de tous les moyens pour arriver à leurs fins: achats officiels, achats forcés à bas prix, acquisitions d’œuvres «héroïques» en échange d’œuvres modernes considérées comme «dégénérées», confiscations de collections juives, spoliations dans toute l’Europe... Certaines œuvres d’art de la collection Gurlitt lui étaient destinées. A voir aussi dans le documentaire «Les Marchands d’Hitler», ce dimanche sur RTS 2. PFY

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