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Qui a tué le capitaine Thomas Sankara?

Histoire vivante - Burkina Faso • Simple coup d’Etat militaire ou vaste complot international? Ce qui est sûr, c’est que le jeune capitaine anti-impérialiste dérangeait. Etat des lieux de l’enquête judiciaire avec son biographe Bruno Jaffré.

Thomas Sankara voulait rendre leur dignité aux Burkinabés. Trop dérangeant, il a été assassiné. Mais il reste une icône pour la jeunesse africaine.

Propos recueillis par Pascal Fleury

Propos recueillis par Pascal Fleury

9 février 2016 à 19:57

Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara, président du Burkina Faso, était tué lors d’un coup d’Etat fomenté par son frère d’armes Blaise Compaoré. Près de trente ans plus tard, alors que le putschiste a lui-même été destitué en 2014, l’enquête sur cet assassinat peut enfin avancer. Les explications de Bruno Jaffré, biographe* de Sankara et spécialiste de ce petit Etat d’Afrique de l’Ouest.

En l’état, quelle est l’hypothèse la plus vraisemblable concernant les commanditaires de l’assassinat de Sankara et leurs motivations?

Bruno Jaffré: Pour comprendre ce crime, il faut s’intéresser tant au contexte national qu’international de l’époque. Il n’y a pas de doute que Sankara dérangeait dans son pays. Une fronde s’est levée pour l’éliminer. Avec le recul, il apparaît que le problème n’était pas vraiment son orientation politique. Les auteurs du coup d’Etat ne voulaient en fait qu’occuper des postes de direction pour se servir, pour s’enrichir. Même si, lors de leur prise de pouvoir, leur meneur Blaise Compaoré a affirmé vouloir poursuivre la révolution en la «rectifiant». Il y a 4 ou 5 ans, on a retrouvé un document interne dans lequel Sankara note que ses contradicteurs n’avancent aucun argument politique pour le contrer. Ces forces politiques critiques vis-à-vis de Sankara ont d’ailleurs pour la plupart suivi Blaise Compaoré dans son tournant libéral. D’autres membres de l’extrême gauche, qui refusaient cette transition, ont été assassinés durant les années qui ont suivi.

Cette fronde militaire menée par Blaise Compaoré avait un soutien international?

Oui, et c’est l’hypothèse libérienne qui est la plus vraisemblable, comme l’a montré en 2009 le journaliste Silvestro Montanaro dans un documentaire de la RAI, et bien auparavant déjà le chercheur hollandais Stephen Ellis. En s’appuyant sur les témoignages concordants de plusieurs compagnons de lutte de Charles Taylor, alors leader du Front national patriotique du Liberia (NPFL), ils ont montré que l’assassinat de Sankara était en fait le résultat d’une alliance très hétéroclite. Elle impliquait le frère d’armes burkinabé de Sankara, Blaise Compaoré, des Libériens du NPFL, mais aussi, de près ou de loin, le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le chef d’Etat libyen Mouammar Kadhafi et peut-être même les services secrets français et américains. Charles Taylor a nié avoir été au Burkina Faso. Mais sur place, on savait où il séjournait, comme me l’a confirmé le ministre de l’Intérieur de l’époque.

Pourquoi pareil complot international contre le jeune président d’un si petit Etat?

Au départ, il semble que les Libériens aient demandé à Thomas Sankara de les aider à faire la révolution au Liberia. Il aurait refusé. Ils se seraient alors adressés à Blaise Compaoré, qui aurait accepté, moyennant une aide pour se débarrasser de Sankara. Deux ans plus tard, les rebelles libériens, formés en partie en Libye et en partie au Burkina Faso, sont partis à l’assaut du pouvoir au Liberia, déclenchant la guerre civile en 1989. Cette hypothèse semble concorder avec les résultats des travaux de la Commission vérité et réconciliation créée en 2006 au Liberia. En salle d’audition, l’ancien chef de guerre Prince Johnson a révélé avoir été sollicité, avec Charles Taylor, pour participer à l’élimination de Thomas Sankara. On notera d’autre part que les entreprises françaises ont été les premières à pouvoir se présenter au Liberia lorsque Taylor est devenu président de la République en 1997.

Comment expliquez-vous que Blaise Compaoré, «meilleur ami» de Sankara, ait pris part à ce coup d’Etat?

Blaise Compaoré avait épousé en 1985 une jeune métisse franco-ivoirienne, Chantal Terrasson de Fougères, issue d’une famille bourgeoise proche d’Houphouët-Boigny. Refusant de vivre dans la simplicité préconisée par Sankara - qui roulait lui-même en Renault 5 -, elle va peu à peu influer sur les opinions de son mari. Le président ivoirien ne manquera pas non plus de le détourner de ses aspirations révolutionnaires. Car pour lui, comme pour les pays voisins, la politique de Sankara était dérangeante. L’anti-impérialiste luttait contre la corruption, faisait juger des fonctionnaires proches d’Houphouët-Boigny pour corruption, refusait tout pot-de-vin ou cadeau du «Vieux», si ce n’est en faveur du budget de l’Etat. Il dénonçait entre autres l’exploitation des 3 millions de travailleurs burkinabés émigrés en Côte d’Ivoire, cherchant ainsi à leur redonner leur fierté. Blaise Compaoré a vraisemblablement aussi subi l’influence des Français, grands amis de la Côte d’Ivoire. Le ministre Charles Pasqua lui a même présenté le premier ministre Jacques Chirac, ainsi que tout l’état-major de la droite française.

Concrètement, sur le terrain, sait-on qui a commis l’assassinat, le 15 octobre 1987 à Ouagadougou?

On sait que ce sont des soldats burkinabés. Une enquête est en cours au Burkina Faso depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a conduit à la fuite de Blaise Compaoré. Elle a été confiée à un juge militaire qui a interrogé énormément de monde et a inculpé non seulement l’ex-président, mais aussi le général Gilbert Diendéré, qui était le chef du commando et homme de main de Compaoré. D’autres noms sont connus depuis plusieurs années. La question qui reste ouverte, c’est le rôle précis des Libériens sur place. Le seul témoin qui s’est exprimé publiquement ne les cite pas. Selon le chercheur Stephen Ellis, qui est le meilleur connaisseur de l’affaire, ils auraient eu pour mission de sécuriser le site, ce qui est tout à fait plausible. On en saura bientôt davantage grâce à l’enquête du juge. Au total, 9 personnes ont déjà été inculpées, selon un rapport d’octobre dernier du juge d’instruction.

Après l’assassinat de Sankara, un médecin militaire a déclaré qu’il était décédé «de mort naturelle». Quels sont les résultats de l’exhumation des corps des victimes faite en mai dernier?

Douze personnes ont été tuées lors de l’attaque de la Présidence par le commando. Elles étaient enterrées dans une fosse commune. L’autopsie et l’expertise balistique ont confirmé que ces personnes ont été tuées par des kalachnikovs, des G3 ou encore des pistolets relevant de l’armée burkinabée. Une balle retrouvée sous les aisselles de Sankara, identifié par ses habits, confirmerait le témoignage selon lequel il serait sorti les mains en l’air du bâtiment en disant «C’est à moi qu’ils en veulent!» En revanche, le laboratoire français mandaté n’a pu identifier aucun corps par son ADN, ce qui me laisse songeur… Une contre-expertise a été acceptée, mais son financement par l’Etat burkinabé ou la famille n’est pas réglé. Cette seconde expertise pourrait être menée en Suisse ou en Espagne.

* «Biographie de Thomas Sankara. La patrie ou la mort», Bruno Jaffré, Editions L’Harmattan, 2007. «Thomas Sankara - Recueil de textes introduit par Bruno Jaffré», Editions CETIM, 2014.

> http://www.thomassankara.net/

> https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre


 

Bio Express

T. Sankara

> Naissance de Sankara le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta. Catholique.

> Militaire formé au Cameroun, à Madagascar et au Maroc. Fonde avec Blaise Compaoré le Regroupement des officiers communistes.

> Secrétaire d’Etat à l’Information en 1981 puis premier ministre en 1983. Limogé.

> Coup d’Etat contre Jean-Baptiste Ouédraogo le 4 août 1983. Président du Conseil national révolutionnaire. Renomme la Haute-Volta «Burkina Faso», «le pays des hommes intègres».

> Devant l’ONU en 1984, défend le droit des peuples à pouvoir manger à leur faim et à être éduqués.

> Assassiné le 15 octobre 1987, lors d’un coup d’Etat organisé par son frère d’armes Blaise Compaoré. PFY


 

L’implication de la France en question

La France a-t-elle pu être impliquée dans le coup d’Etat contre Thomas Sankara?

Bruno Jaffré: Pour les autorités françaises, la présence d’un révolutionnaire marxiste au milieu de cette région contrôlée par la France était difficile à accepter. Au départ, l’expérience de la révolution avait été vue positivement. Ensuite, il y a eu des problèmes. Sankara avait cette fierté, cette impertinence, ce sans-gêne pour interpeller en public François Mitterrand et critiquer sa politique étrangère. Il avait pris position en faveur de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, il s’était allié à Cuba et aux révolutionnaires du Nicaragua, il dénonçait les pays occidentaux pour leur inaction en Afrique du Sud, pour leur soutien à Israël contre les Palestiniens, tout cela dans des déclarations publiques cinglantes. Tant ses paroles que son action étaient dangereuses.

»L'hypothèse d'une implication de la France s'appuie sur plusieurs témoignages de compagnons du leader libérien Charles Taylor. Une demande d’enquête parlementaire a été déposée par deux fois en France pour en savoir plus. Elle a été appuyée par une pétition ayant rassemblé plusieurs milliers de signatures. Une réponse a été rendue qui élude la question, prétextant qu’une enquête était déjà ouverte au Burkina Faso. PFY

*****

Une icône pour l’Afrique

«Quand le peuple se met debout, l’impérialisme tremble! Gloire, dignité et pouvoir au peuple! La patrie ou la mort, nous vaincrons!» Le célèbre slogan de Thomas Sankara résonne encore dans le cœur de nombreux Burkinabés. Mais aussi dans l’esprit de la jeunesse africaine. Car le combat du brillant et fougueux révolutionnaire, qui s’est battu inlassablement pour la fierté, l’indépendance et le désendettement de son pays, est resté dans toutes les mémoires, faisant finalement de lui une icône. Sankara a été proclamé modèle par la jeunesse africaine au Forum social africain de Bamako en 2006 puis au Forum social mondial de Nairobi en 2007.

Si Thomas Sankara fascine toujours, près de trente ans après son assassinat, c’est qu’il a multiplié les actions véritablement «révolutionnaires» qui ont non seulement marqué son temps, mais portent encore des fruits aujourd’hui: politique de dignité, éducation, santé et travail pour tous, émancipation de la femme, promotion écologique et climatique, encouragement des arts et du sport. Lui-même jouait de la guitare dans les bals et participait à des courses cyclistes! Surtout, Sankara savait motiver une jeunesse en manque de repères, l’enthousiasmer dans des projets d’avenir. Aujourd’hui encore, il continue d’incarner l’identité du Burkina Faso. PFY

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