Monarchie iranienne » En lançant sa «Révolution blanche» en 1963, le Shah rêvait de transformer l’Iran en une puissance moderne et respectée. Le projet de Mohammad Reza Pahlavi était très ambitieux, comprenant une vaste réforme agraire, une nationalisation partielle des entreprises et le droit de vote aux femmes. Son manque de sensibilité démocratique et sa mégalomanie impériale l’ont toutefois conduit à sa perte. Les explications de l’Iranien Mohammad-Reza Djalili, professeur émérite à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève et auteur de plusieurs ouvrages1 récents sur l’Iran.
Qu’entend-on par «Révolution blanche»?
Mohammad-Reza Djalili: Cette révolution est qualifiée de blanche en raison de sa non-violence. On l’a aussi appelée Révolution du shah et du peuple. Elle intervient après deux crises majeures qu’a connues le pays à la suite de la Seconde Guerre mondiale: l’occupation de l’Azerbaïdjan iranien par les forces soviétiques et la crise de la nationalisation du pétrole sous le premier ministre Mohammad Mossadegh.
Lorsqu’une certaine accalmie s’installe, en 1963, le shah peut mettre en place une série de réformes pour moderniser le pays. Il est encouragé par le président John Kennedy qui, en ces temps de guerre froide, cherche à contrer l’influence soviétique dans la région. Le shah nomme alors premier ministre un aristocrate libéral, Ali Amini, qui avait été ambassadeur à Washington.
En quoi consistent ces réformes?
C’est d’abord une profonde réforme agraire. Les terres arables étaient alors en main de grands propriétaires fonciers, de chefs de tribus comme la famille Bakhtiar, ou du clergé chiite, héritier de nombreux legs de croyants, le «waqf» ou «bien de mainmorte». Le shah redistribue les terres aux paysans qui les travaillent. Les grands propriétaires peuvent conserver chacun les terres d’un seul village, à condition de mécaniser l’agriculture. Leurs pertes sont compensées partiellement par la vente d’actions que l’Etat possède dans l’industrie. A ma connaissance, il n’y a jamais eu de réforme agraire aussi draconienne au Moyen-Orient.
Le shah lance simultanément d’autres réformes…
Il donne le droit d’éligibilité et de vote aux femmes, ce qui est alors une grande innovation dans le monde musulman. Et il met sur pied une «armée du savoir» pour lutter massivement contre l’analphabétisme, envoyant des soldats instruits dans les villages pour une année d’enseignement. Tout cela est plébiscité par référendum populaire en juin 1963. Ces réformes entraînent dès lors une transformation importante des structures économiques, sociales et politiques de l’Iran.
Ces réformes ne manquent pas de susciter des oppositions?
Elles suscitent une vive opposition des grands propriétaires et du clergé, mais aussi de l’aristocratie locale, qui perdait beaucoup de pouvoir. Les opposants s’en prennent au gouvernement Amini, si bien que le shah doit nommer un nouveau premier ministre, Asadollah Alam, un de ses proches. Le clergé était opposé à la réforme agraire, mais aussi au droit de vote des femmes. C’est à partir de ce moment-là qu’un certain Ruhollah Khomeyni, qui était un mollah très peu connu avant ces événements, a commencé à attiser la révolte, estimant que ces réformes étaient contre l’islam.
Quelles sont les raisons de l’échec du shah?
Le shah a obtenu une croissance d’environ 10% par an entre 1965 et 1974, sans grande inflation. Un joli succès, même si la réforme agraire a aussi généré de la pauvreté, avec des mouvements de population des campagnes vers les villes. Il aurait dû aller vers une démocratisation du régime, donner plus de pouvoir à la nouvelle classe moyenne – qui s’était d’ailleurs renforcée en partie grâce aux réformes –, autoriser les partis politiques… Mais il n’a pas tenu compte de l’opinion publique. En 1973, quand la crise de l’énergie éclate, avec un quadruplement des prix du pétrole suivi de la montée de l’inflation, c’est trop tard. En 1975, il enfonce le clou en créant le parti unique, événement sans précédent dans l’histoire iranienne, ce qui va accélérer sa chute.
Sa tendance mégalomaniaque a aussi joué en sa défaveur…
Fort de ses succès, il a fini par croire qu’il était le Père de la nation, qu’il n’avait pas besoin de partager le pouvoir. Il craignait un retour au parlementarisme du début de son règne, où 19 gouvernements s’étaient succédé en une décennie. Il rêvait d’une grande civilisation iranienne. Il se prenait en quelque sorte pour le Cyrus des temps modernes, le digne successeur du fondateur de l’empire perse.
Que reste-il aujourd’hui de cette grande réforme du shah d’Iran?
La réforme agraire n’a finalement pas été remise en cause par la Révolution islamique. Khomeyni a aussi été obligé d’accepter la participation des femmes aux élections. Et le développement de l’instruction publique par l’«armée du savoir» fait encore l’objet de thèses de doctorat. Tout cela, l’Iran le doit à la Révolution blanche du shah. Cela a été une étape importante dans l’histoire de la modernisation, du développement économique et de l’urbanisation du pays.
1 Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner, L’Iran en 100 questions,
Ed. Tallandier, 2016, Histoire de l’Iran contemporain, Ed. La Découverte, nouvelle édition, sortie le 9 mars 2017.
Festivités impériales en présence de La Landwehr!
Soucieux de son image internationale, le shah organise en 1971 l’une des fêtes les plus luxueuses de l’histoire.
En 1967, le shah avait déjà déployé les fastes de l’Orient lors de son sacre impérial, se coiffant d’une couronne parée de 3380 diamants. En octobre 1971, il se montre encore plus exubérant lors des cérémonies marquant les 2500 ans de l’empire perse, fondé par Cyrus le Grand. Selon le Time Magazine, 100 millions de dollars sont investis pour ces festivités, dont un «banquet des Mille et une nuits» – selon La Liberté d’alors –, servi à Persépolis par le restaurant parisien Chez Maxim’s. Plus de 600 invités, dont 60 monarques et chefs d’Etat, s’y délectent sous une tente d’apparat. «Ce que les intellectuels ont reproché à ces fêtes, ce n’est pas tellement les frais, mais le fait que le peuple en a été exclu», se souvient le professeur Djalili.
La Suisse, très appréciée du shah – il avait fait son collège à l’institut Le Rosey à Rolle –, est aussi de la fête, représentée par l’ancien conseiller fédéral Friedrich Wahlen et La Landwehr de Fribourg. Le corps de musique, présidé par Pierre Glasson, participe entre autres à l’inauguration du stade Aryamehr. «Les Landwehriens sont unanimes à déclarer qu’ils ne reverront plus un spectacle aussi grandiose», relate l’envoyé spécial de La Liberté Jean Plancherel.
«C’était effectivement grandiose, pour nous qui venions de Fribourg», se souvient le musicien Michel Savoy (euphonium), qui avait 28 ans lors du voyage. «Mais ce qui nous a surtout marqués, c’est la haute sécurité. Les routes étaient fermées durant des heures et seuls les notables pouvaient assister de près à nos concerts, la police faisant barrage. On a eu peu de contact avec le grand public.» PFY
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TV: L’exubérant banquet du shah
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