Logo

Histoire vivante

La face cachée du mythique Roi-Soleil

Histoire vivante-France • L’anniversaire de la mort de Louis XIV, il y a 300 ans, est l’occasion de nombreuses publications sur le «plus grand roi de France de l’histoire». Au-delà du mythe, toutefois, le Roi-Soleil révèle une face moins brillante.

«Louis XIV en costume de sacre». Ce portrait d’un roi vieillissant (63 ans) parvenu au faîte de sa gloire, signé par le peintre Hyacinthe Rigaud (1701), s’est imposé comme portrait officiel.

Pascal Fleury

Pascal Fleury

14 octobre 2015 à 18:05

Depuis trois siècles, le Roi-Soleil ne cesse de briller et de fasciner. Le lustre de ses palais, l’éclat de sa cour et de ses artistes, les feux d’artifice de ses fêtes grandioses dans les jardins de Versailles resplendissent encore dans la mémoire populaire. Cette magnificence, habilement exploitée, a toutefois éclipsé une face moins reluisante du monarque: celle du despote orgueilleux, du militaire médiocre, de l’administrateur dépensier qui a fini par ruiner le royaume, semant les germes de la Révolution française.

Louis XIV recourait à tous les moyens de propagande à sa disposition pour soigner son image de «Grand Roi»: réceptions fastueuses, féeries, bals et divertissements destinés à éblouir les princes étrangers et les diplomates, coûteuses guerres de conquêtes lui apportant la gloire, surenchère dans l’apparat, déploiement d’une statuaire royale dans les grandes villes, omniprésence du thème solaire, almanachs à son effigie, échos mondains dans le «Mercure galant»…

Les historiographes du roi ont bien sûr contribué à forger le mythe. Le cardinal Mazarin a mis 26 écrivains au service de la monarchie, puis d’autres ont suivi sous la surveillance du ministre d’Etat Jean-Baptiste Colbert. Même les poètes Boileau et Racine ont prêté leur plume. En fait, observe l’historien Lucien Bély*, Louis XIV respectait trop la vérité pour exiger de ses historiographes qu’ils la dissimulent. Mais ils devaient «savoir se contraindre d’eux-mêmes».

Mécénat royal

C’est toutefois sa passion pour les arts qui a vraisemblablement apporté la plus grande reconnaissance posthume au Roi-Soleil. «Dans le domaine des arts et des lettres, son siècle fut la période la plus brillante de l’histoire de France», souligne l’historien de l’art Alexandre Maral, conservateur en chef au château de Versailles et auteur de plusieurs ouvrages sur Louis XIV***.

Désireux d’élever la France - et sa royale personne - au sommet de la création artistique en Europe, Louis XIV fréquentait assidûment les artistes, entretenant des relations personnelles avec Molière ou Racine, ou invitant les peintres Charles Le Brun et Van der Meulen à embellir Versailles de fresques à sa gloire. Lui qui avait dansé dans des ballets (lire ci-dessous) est devenu mécène et lanceur de modes, encourageant sans cesse la création musicale, l’opéra ou l’architecture pour libérer l’art français de la domination italienne. En 1687 déjà, le poète Charles Perrault faisait l’éloge du «Siècle de Louis le Grand», n’hésitant pas à le comparer au beau siècle d’Auguste, ce qui ne manqua pas d’attiser la Querelle des Anciens et des Modernes.

L’art de mourir

Pour Louis XIV, les arts constituent un véritable projet politique. Tel un homme de théâtre, il «savait composer en toutes circonstances», note Mathieu Da Vinha, directeur scientifique du Centre de recherche du château de Versailles***. Le roi a ainsi orchestré jusqu’à son «dernier crépuscule» le 1er septembre 1715: une mort en «roi très chrétien», parfaitement maîtrisée et conçue comme le spectacle par excellence de l’absolutisme de droit divin.

«En mourant, Louis XIV semble avoir voulu accomplir un dernier acte de gouvernement: célébrer une sorte de Messe royale consommant le sacrifice du souverain pour le salut de l’Etat», commente Alexandre Maral. Une «Passion» royale mise en scène jusque sur son lit de mort, lorsqu’il a soufflé: «Je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours.»

Face sombre

Une sortie triomphale! Pourtant, durant son règne record de 72 ans, Louis XIV n’a de loin pas toujours brillé. Les pamphlétaires dénonçaient ses mœurs défiant la morale chrétienne, avec son cortège de maîtresses et au moins huit bâtards reconnus. Ils lui reprochaient ses coûteuses guerres, son administration aussi lourde qu’implacable, son attitude tyrannique vis-à-vis de ses sujets protestants, qui lui étaient pourtant loyaux.

Le peuple même, qui avait tant aimé son roi, a fini par être «plein d’aigreur et de désespoir» à force d’être écrasé d’impôts, selon les termes de Fénelon****. Les révoltes se sont alors multipliées, jusqu’au divorce. Ernest Lavisse l’a bien synthétisé dans sa célèbre «Histoire de France»*****: «Louis XIV a usé la monarchie française.» Elle ne s’en est jamais relevée.

* «Dictionnaire Louis XIV», sous la direction de Lucien Bély, Ed. Laffont, 2015
** Alexandre Maral: «Louis XIV tel qu’ils l’ont vu», Omnibus, 2015, et «Les derniers jours de Louis XIV», Perrin, 2014
*** «Louis XIV, l’image et le mythe», Ed. Presses universitaires de Rennes, 2014
**** «Le Roi absolu», Drévillon, Belin, 2015
***** «Histoire de France», Lavisse, réédité en 1914 aux Editions des Equateurs

*******

Louis XIV et «Ses» suisses

Depuis la signature à Fribourg du traité de paix perpétuelle de 1516 entre François Ier et la Confédération des XIII cantons, la France a pu régulièrement compter sur les services des valeureux et fidèles mercenaires suisses, et en particulier des Cent-Suisses, la garde la plus rapprochée du monarque. En 1663, Louis XIV renouvelle l’alliance avec les cantons, accueillant une importante délégation au Louvre, emmenée par le bourgmestre Waser de Zurich. Le roi impose aussi aux ambassadeurs suisses une cérémonie à Notre-Dame, avec culte pour les protestants, messe pour les catholiques et prestation de serment dans la cathédrale. Une tapisserie et plusieurs tableaux sont dédiés à cet événement, dont un à voir dans la galerie des Glaces de Versailles.

Selon les traités, la France entretient à l’époque 25 000 soldats suisses, et 36 000 en temps de guerre. A la fin du XVIIe siècle, elle compte neuf régiments suisses. La monarchie paie les soldats, mais verse aussi des sommes non négligeables aux cantons. Secrétaire d’Etat français de la Guerre, le marquis de Louvois se plaint d’ailleurs auprès du roi d’être «toujours pressé par les Suisses», raconte le professeur d’histoire Lucien Bély dans son «Dictionnaire Louis XIV» (Ed. Laffont). «Si Votre Majesté avait tout l’argent qu’elle et les rois ses prédécesseurs ont donné aux Suisses, on pourrait paver d’argent une chaussée de Paris à Bâle», aurait vitupéré le ministre. Le colonel des Gardes suisses Pierre Stuppa lui aurait alors répondu sur-le-champ: «Si Votre Majesté avait tout le sang que les Suisses ont répandu pour le service de la France, on pourrait faire un fleuve de sang de Paris à la ville de Bâle!» PFY

*****

«Le maître politique du divertissement»

Parallèlement à ses gammes politiques, le jeune Louis XIV, passé la Fronde, fait ses classes artistiques, jusqu’à devenir «le maître politique du divertissement» et «le metteur en scène des fastes de sa Renommée», selon les mots de l’historienne Françoise Hildesheimer. Pour asseoir son pouvoir et son image de roi tout-puissant, Louis XIV sait se servir de la musique de cour, dont il entretient compositeurs, musiciens, danseurs, chanteurs. Son ambition commence tôt, bien avant la mort de Mazarin en 1661. En 1653 - il a quinze ans - il danse lui-même dans le «Ballet royal de la Nuit», sacre symbolique du Roi-Soleil, entrant en scène à l’aube, dans un costume scintillant d’or et de pierreries. A l’époque monarchique, la danse aussi bien que le maniement des armes fait partie de l’apprentissage d’un noble, a fortiori d’un prince. Tout en partant à la guerre, engagé dans des opérations militaires, Louis XIV monte sur scène.

Le «Ballet royal de la Nuit» se joue dans «la magnificence des machines, la pompe superbe des habits», écrit la «Gazette» de l’époque. Il marque durablement les esprits. Depuis la fin du XVIe s., ce genre de divertissement total, qui implique la cour, exalte la grandeur de la monarchie. Le début du règne de Louis XIV représente l’apogée de cet outil de propagande au service d’une mythologie royale, inspirée d’allégories et empreinte de merveilleux. Déjà le violoniste et danseur italien Giovanni Battista Lulli se distingue. Le futur Jean-Baptiste Lully s’imposera rapidement comme le principal compositeur du règne de Louis XIV, d’abord pour la musique instrumentale et le ballet.

La danse, dans les genres du ballet mais aussi de la comédie-ballet ou de l’opéra-ballet, est la grande affaire du roi en tout cas jusqu’en 1670, année où il se retire des scènes. La fondation de l’Académie royale de danse date de 1661, avant même celle de l’Académie royale de musique et de l’Opéra de Paris, dont les rênes sont tenues par Lully. Cet art a donné des œuvres emblématiques du règne de Louis XIV, comme la tragédie lyrique «Psyché» de Molière et Lully, ou les «comédies-ballets» du même tandem, qui ont culminé avec «Le Bourgeois gentilhomme». «Le malade imaginaire» en revanche a été mis en musique par Antoine Charpentier, alors que Lully se tournait vers l’opéra, «inventant» le genre de l’opéra à la française. «Atys» et surtout «Armide» en sont les chefs-d’œuvre.

Depuis 1682, à Versailles, du lever au coucher du roi, en passant par la messe et les repas, toute la vie de cour est marquée par la musique. On compte près de 120 musiciens répartis entre la «Chambre du roi», qui joue la musique de chambre, la «Chapelle royale» pour les motets et la musique religieuse et la «Grande Ecurie» pour la chasse, les cortèges et les fêtes solennelles. Après les fastes musicaux et la disparition de Lully en 1687, après les défaites militaires, les famines et les épidémies, et peut-être sous l’influence de Madame de Maintenon, les «Musiciens ordinaires de la Chambre du roi» prennent davantage d’importance: Marin Marais et François Couperin en sont les plus illustres représentants. La postérité a aussi retenu le nom de Michel-Richard de Lalande, compositeur des suites appelées «Symphonies pour les soupers du Roy», ou d’André Campra, pour son «Requiem». Le célèbre «Te Deum» de Charpentier, qui a servi d’hymne à l’Eurovision, marque la célébration d’une victoire française. EH

> Une reconstitution du «Ballet royal de la Nuit» a été réalisée par Sébastien Daucé pour son Ensemble Correspondances, sous le titre «Le Concert royal de la Nuit», Harmonia Mundi.

> Le même label réédite sous la forme d’un coffret de dix disques la «Bibliothèque sonore» du règne de Louis XIV sous le titre «Les menus plaisirs de Louis XIV de Paris à Versailles»; de nombreux grands chefs et ensembles baroques figurent au générique.

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus

Hiver 1954. La femme sans qui l’œuvre de l'abbé Pierre n’aurait jamais existé

Il y a 70 ans, le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait son vibrant appel radiodiffusé en faveur des sans-abri qui mouraient de froid en France. Son «insurrection de la bonté» n’aurait pas été possible sans le soutien extraordinaire d’une femme, Lucie Coutaz. Cofondatrice et directrice administrative du mouvement Emmaüs, elle a été son alter ego durant 40 ans. Portrait.