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Histoire vivante

La coalition s’extirpe du piège afghan

Histoire vivante • Après 13 ans de guerre contre les talibans, les forces de l’Otan se retirent, transférant à l’armée afghane le contrôle d’un pays toujours en proie à la violence. Pour le nouveau gouvernement, les défis sont énormes.


Pascal Fleury

Pascal Fleury

4 novembre 2014 à 12:01

Depuis quelques jours, seul le drapeau afghan flotte sur la base américaine de Camp Leatherneck. Et sur Camp Bastion, sa voisine britannique de la province rebelle de Helmand, située au sud-ouest de l’Afghanistan. La bannière étoilée, l’Union Jack et l’étendard à la rose des vents de l’Otan ont été retirés des mâts le 26 octobre, marquant solennellement le transfert, à l’armée afghane, de la responsabilité de la sécurité de cette zone d’insurrection talibane.

Au plus fort des opérations de la Force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF), ces deux bases abritaient plus de 40'000 militaires et sous-traitants, alors que l’ensemble de la mission de l’Otan en Afghanistan comprenait 140'000 personnes.

Passage de témoin

Désormais, l’immense site militaire de 3000 hectares, dont la double piste d’aviation enregistrait jusqu’à 600 décollages et atterrissages par jour, ne sera plus qu’un camp d’entraînement. Il hébergera 1800 soldats de l’armée afghane, à qui les Etats-Unis lèguent des installations et des équipements d’une valeur de 230 millions de dollars. Interrogé par l’AFP lors de la cérémonie de passation de pouvoir, le général afghan Sayed Malook s’est dit confiant dans les capacités afghanes à maintenir la sécurité dans la région.

Un optimisme partagé par le général des Marines Daniel D. Woo, qui fut parmi les premiers à poser le pied en Afghanistan à l’automne 2001, lorsque la coalition a chassé les talibans du pouvoir: «Je sais de par mon expérience que l’armée afghane peut être autosuffisante.» Le général de brigade Robert Thomson, plus haut gradé britannique dans le pays, défend le même avis: «Les Afghans sont à l’avant-scène depuis mai 2013 et le font très bien, mais il reste des défis en termes de sécurité et de gouvernance.»

Nouveaux renforts

Les forces de la coalition internationale se retireront d’ici la fin de cette année. Seul un effectif de 12'500 hommes, dont 9800 Américains, restera en Afghanistan jusqu’à fin 2016. Il aura pour mission d’entraîner et de conseiller l’armée afghane, éventuellement d’engager des opérations de contre-terrorisme.

Un accord bilatéral de sécurité a été signé par Kaboul dans ce sens le 30 septembre dernier, peu après l’investiture du nouveau président Ashraf Ghani. Son prédécesseur, Hamid Karzai, avait plusieurs fois renvoyé cet accord pour ne pas mettre en danger d’éventuelles négociations avec les talibans. Ses rebuffades avaient fini par envenimer les relations entre Kaboul et Washington.

La nouvelle assistance technique qui sera mise en place comporte une dimension financière vitale pour l’Etat afghan. Kaboul est en effet incapable de payer les salaires des 352'000 hommes (armée et police) engagés à travers tout le pays. Le coût de ces forces de sécurité se montait, en 2013, à 6,5 milliards de dollars, dont 5,7 milliards pris en charge par les Etats-Unis.

Retrait sans gloire

A l’heure de la passation de pouvoir, le général des Marines Woo s’est dit satisfait: «Nous sommes plutôt fiers de ce que nous avons fait ici.» Au bilan, pourtant, l’interminable conflit - plus long que les guerres mondiales, d’Algérie ou du Vietnam -, apparaît peu glorieux. Les seuls succès de la coalition sont la protection du gouvernement central de Kaboul, la consolidation de l’armée nationale et l’élimination d’Oussama Ben Laden (au Pakistan). Mais les insurgés n’ont pas été maîtrisés. Al-Qaïda a repris des forces à la faveur du conflit syrien et les talibans n’ont ni été vaincus, ni même affaiblis. Alors que les forces de la coalition et l’armée afghane dépassaient conjointement les 400'000 hommes, elles ont été tenues en échec par 25'000 insurgés, «tout au plus», notait déjà avec amertume en 2011 le général John Allen, commandant en chef des troupes américaines et de l’Otan.

Karim Pakzad, spécialiste de l’Afghanistan à l’Institut des relations internationales et stratégiques à Paris, observe même un renforcement du mouvement islamiste: «Les talibans sont de plus en plus actifs, et sur quasiment tout le territoire, même dans les régions qui, traditionnellement, ne sont pas leurs zones d’influence», affirme-t-il sur le site JOL-Press.

En treize ans, note pour sa part le journaliste de guerre Hervé Asquin*, cette guerre «asymétrique» contre un ennemi insaisissable n’a pas réussi à endiguer les calamités qui ravagent le pays: guérilla, terrorisme, rivalités ethnico-tribales, économie à la dérive, corruption endémique, pauvreté… Certains fléaux, comme le trafic d’opium, se sont même aggravés.

Piège mortel

Surtout, la «seconde guerre d’Afghanistan» a été un piège mortel pour 60'000 à 70'000 personnes, selon les sources. Au moins 3478 militaires de la coalition, dont 2350 Américains et 453 Britanniques, sont morts au combat ou lors d’attentats, de même que des milliers de soldats afghans. Les civils, souvent utilisés comme boucliers humains par les talibans, paient le tribut le plus lourd, avec 20'000 morts, 250'000 blessés, 500'000 déplacés dans le pays et 2,2 millions de réfugiés. Côté taliban, les pertes sont estimées entre 20'000 et 35'000 personnes. Les investissements américains pour le conflit dépasseraient les 760 milliards de dollars, selon l’ONG américaine National Priorities Project.

Aujourd’hui, tout reste à faire pour ramener la paix dans le pays. Une aide internationale s’impose, mais les talibans rejettent toute négociation. «Nous jurons de continuer notre guerre sainte jusqu’à ce que nous ayons nettoyé le pays de l’occupation et instauré un véritable gouvernement islamique», ont-ils communiqué après l’élection du président Ashraf Ghani. Bref, c’est la quadrature du cercle…

* «La guerre la plus longue - L’Occident dans le piège afghan», Hervé Asquin, Editions Calmann-Lévy, 2013

> Voir aussi le documentaire sur la première guerre d’Afghanistan (1979-1989), «Afghanistan 1979 - La guerre qui a changé le monde», dimanche sur RTS 2.

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Kaboul face à de gros défis

Après trois mois de crise politique, l’ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, Ashraf Ghani, a été élu président de l’Afghanistan le 29 septembre dernier. Il partage le pouvoir avec son rival Abdullah Abdullah, ancien compagnon de route du commandant Massoud, nommé chef de l’exécutif. Les deux hommes, réunis grâce à la persévérance diplomatique du secrétaire d’Etat américain John Kerry, ont d’immenses défis à relever.

A commencer par s’entendre! Et apaiser les rivalités entre les ethnies qui les soutiennent, respectivement les Tadjiks du Nord pour Abdullah et les Pachtounes du Sud pour Ghani. Mais aussi à contenir les talibans. Une tâche difficile, à assumer désormais sans le soutien de la coalition internationale, avec une armée certes mieux formée, mais qui souffre de nombreuses désertions. Or les troupes afghanes paient déjà le prix fort des attaques talibanes. Elles ont subi cette année leurs plus grosses pertes, avec 9000 soldats et policiers tués ou blessés. Le week-end dernier, six policiers et trois militaires ont encore été victimes d’un attentat.

La violence à laquelle doit faire face Kaboul concerne également le trafic de pavot. Sa production a atteint un niveau record en 2013 et devrait encore augmenter cette année, selon l’Inspectorat pour la reconstruction de l’Afghanistan. Le pays assure 80% de la production mondiale d’opium. Là aussi, la lutte semble insurmontable… PFY

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Repères

Trente-cinq ans de guerre

> La «première guerre» d’Afghanistan contemporaine fait suite à la révolution communiste de 1978. En 1979, l’URSS envahit le pays sous prétexte de protéger le régime face aux moudjahidin. La guerre dure dix ans. Al-Qaïda, fondée en 1987, est une émanation de la résistance.

> Après le retrait des troupes soviétiques, une guerre civile oppose cette fois les différentes factions moudjahidin. Le commandant Massoud, accompagné de milliers d’hommes, s’empare de Kaboul en 1992.

> Soutenu par le Pakistan, le mouvement taliban voit le jour en 1994. En 1996, il s’empare de Kaboul. En 2001, le mollah Omar fait détruire les statues des bouddhas de Bamyan. Le commandant Massoud, opposé aux talibans, est tué dans un attentat.

> Un mois après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis bombardent le pays. C’est le début de la «seconde guerre» d’Afghanistan. Le régime taliban est renversé et le Pachtoune modéré Hamid Karzai est placé à la tête du pays.

> Les talibans se lancent alors dans une guérilla d’usure de 13 ans contre la coalition internationale et l’armée afghane. En 2011, Oussama Ben Laden est tué par un commando américain au Pakistan. L’essentiel des troupes de la coalition se retirera d’ici la fin 2014. PFY

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L’armée française est toujours engagée

La France a déjà achevé de retirer ses troupes en juillet 2013. Son camp de Warehouse près de Kaboul, qui a vu passer plus de 60'000 Français, est depuis lors sous la responsabilité de l’armée afghane. La France n’a pas quitté pour autant le pays. Elle a mis à disposition un effectif de 500 militaires pour participer à la formation des forces de sécurité et pour assurer la gestion de l’aéroport et de l’hôpital militaire de Kaboul. Ce renfort français pourrait se poursuivre après 2014, sous la forme d’une coopération d’entraide classique.

Cette présence française de 500 hommes, ramenée aujourd’hui à 200 militaires, est le fruit d’une concession de François Hollande à Barack Obama, comme l’explique dans «La guerre la plus longue» le journaliste Hervé Asquin*. Lors de sa campagne électorale, le président socialiste avait promis le retour des forces françaises pour la fin 2012. Mais il devait absolument éviter d’infliger un camouflet à son homologue américain, d’inciter d’autres Etats à se retirer de la coalition, ou de compromettre le «traité d’amitié» signé par Nicolas Sarkozy et le président afghan d’alors, Hamid Karzai. L’effectif d’assistance concédé a finalement permis d’éviter l’incident diplomatique.

Pour les Français, le piège afghan n’en reste pas moins lourd: 89 compatriotes ont perdu la vie et l’engagement militaire a déjà coûté plus de 3,5 milliards d’euros. Voire le double, si l’on compte les frais de pensions et de soins médicaux… PFY

* «La guerre la plus longue - L’Occident dans le piège afghan», Hervé Asquin, Editions Calmann-Lévy, 2013

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