A Versailles, cultiver l’histoire
Comme le château, le parc et les jardins ont été pensés pour asseoir le pouvoir absolu des monarques
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Stéphanie Fontenoy
1 septembre 2021 à 04:01
Yvelines » Allée de Bacchus, bosquet de la reine, fontaine d’Apollon… Autant de noms évocateurs qui nous transportent dans un jardin d’Eden, à 16 kilomètres de Paris. Et quel jardin! Celui sur lequel le Roi-Soleil posait les yeux chaque matin au réveil. Celui où Molière joua Tartuffe et où il donna sa dernière représentation du Malade imaginaire, avant de s’éteindre, le 17 février 1673. Celui où Marie-Antoinette regardait pousser son potager et gambader ses brebis. Nous sommes dans le Domaine de Versailles bien sûr, qui s’étend du célèbre château jusqu’au Hameau de la Reine, retraite bucolique de la dernière souveraine de France, trois kilomètres plus loin.
Faisons fi de la demeure royale et de ses 2300 pièces. Direction les bosquets et leurs fontaines, pour admirer le spectacle des Grandes Eaux, très apprécié de Louis XIV et de sa cour. Perpétuant cette tradition, les fontaines du parc sont mises en musique tous les week-ends, de fin mai à fin octobre. Comme à l’époque des chevaliers et des courtisanes, laissons-nous guider par nos sens en éveil. La vue d’abord, appelée par le mystère d’un sentier prometteur qui file, loin des regards indiscrets, entre deux hautes haies taillées au cordeau. L’odorat ensuite, capteur d’essences subtiles et enivrantes, comme le tilleul, la tubéreuse et le jasmin, présents dans les jardins. L’ouïe enfin, qui s’éveille au frétillement d’un jet d’eau, suivi de l’emballement d’un air baroque du compositeur de la cour, Jean-Baptiste Lully.
Louis XIV y dansait
Arrêtons-nous quelques minutes au bord du Bassin du Miroir, où l’eau et le ciel se regardent en reflets changeants. D’un coup, les voix glorieuses d’un Te Deum emplissent l’atmosphère, tandis que les fontaines prennent vie, transformant le bassin en immense ballet aquatique. Des jets par dizaines s’élèvent vers les nuages en une chorégraphie rythmée par le violon et le hautbois, pour retomber en mille pluies à la surface du bassin.
Ce spectacle se répète tous les quarts d’heure, dans l’intimité des bosquets, véritables salons de plein air. Au cœur du Bosquet de l’Encelade, l’impressionnant géant de plomb du même nom fait jaillir l’eau de sa bouche béante. L’eau coule en cascade dans le Bosquet de la Salle de bal, un amphithéâtre de verdure, où Louis XIV aimait faire quelques pas de danse. Ce rituel ruisselant se répète quasiment à l’identique depuis le XVIIe siècle. Pour y parvenir, un réseau de 35 km de canalisation est déployé sous les pelouses de Versailles. L’eau est pompée dans le Grand Canal pour alimenter plus de 600 jets d’eau. Un exploit, mené chaque week-end par une équipe de 13 fontainiers.
En contrebas, sur le parterre du Grand Trianon, l’équipe de jardiniers de Versailles, dirigée par son irremplaçable jardinier en chef Alain Baraton, a imaginé une composition monochrome aux multiples nuances de vert, du plus pâle au plus foncé. Echinacées, zinnias, fleurs de tabac, œillets de poète côtoient le basilic, le persil et la citronnelle, et bien d’autres. Une invitation à faire l’expérience des teintes, des odeurs et des textures pour reprendre contact avec un environnement que l’humain a tendance à négliger. Alain Baraton, en poste depuis 45 ans, s’inspire d’une tradition ancienne, puisque au XVIIIe siècle, sous l’impulsion de Louis XV, le Domaine de Trianon était un terrain d’expérimentation botanique, jusqu’à abriter la plus célèbre collection d’Europe avec plus de 4000 variétés différentes.
Faire de Versailles un nouveau terrain d’expérimentation, c’est aussi le pari d’Alain Baraton, depuis vingt ans. Après la tempête qui a anéanti une grande partie du parc fin décembre 1999, il a convaincu les responsables du château de ne plus utiliser une goutte d’engrais chimique ni de pesticide sur le domaine. «Depuis, tout va pour le mieux. Et nous sommes devenus assez exemplaires en la matière», se félicite ce grand passionné des végétaux.
Un peu de fantaisie
Une autre de ses missions: mettre un peu de fantaisie dans les jardins à la française du Nôtre et redonner à la nature son droit de cité. «Il faut qu’on arrête de vouloir contraindre la nature. Il faut lui permettre de s’exprimer davantage. Les citadins n’ont pas forcément besoin d’alignements, de perspectives ou de broderies de buis dans les parcs. Ils ont besoin d’un banc, d’un peu d’ombre, des oiseaux, du clapotis d’un bassin. Un jardin doit être un lieu de détente, de réflexion et de repos. Car le jardin, c’est la liberté. La liberté de fermer les yeux, de chanter, de marcher, de courir, de respirer à pleins poumons, de parler à haute voix.» Si le Roi-Soleil avait comme devise Nec pluribus impar, le parc de Versailles est aussi «à nul autre pareil».
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