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«Karl Jenkins a composé une messe musicale, pas une messe au sens liturgique»

Le musicologue Federico Lazzaro revient sur la polémique concernant l’appel à la prière musulmane figurant dans la Messe pour la Paix de Karl Jenkins, qui sera jouée les 2, 3 et 4 février dans les églises de Siviriez et Bulle.

Federico Lazzaro rappelle qu’il est aujourd’hui courant de jouer de la musique profane dans une église consacrée, comme ici lors des Murten Classics. Selon le musicologue, l’appel à la prière musulmane utilisé dans l’œuvre de Jenkins ne relève pas du religieux. © Charles Ellena

Marc-Roland Zoellig

Marc-Roland Zoellig

29 janvier 2024 à 20:55

Temps de lecture : 1 min

C’est finalement une version intégrale de L’homme armé: une Messe pour la Paix que le public pourra écouter les 2, 3 et 4 février dans les églises de Siviriez et de Bulle. Après avoir annoncé que l’œuvre du compositeur gallois Karl Jenkins serait amputée de l’appel à la prière musulmane constituant son deuxième mouvement, l’Eglise catholique est revenue sur cette décision (notre édition du 29 janvier). Peu goûtée par une partie du public, qui s’était manifesté en demandant le remboursement de ses billets, elle était aussi très critiquée au sein du Corps de musique de la ville de Bulle et des chœurs impliqués dans ce projet. Cette polémique était-elle justifiée? Les réponses de Federico Lazzaro, professeur ordinaire au Département de musicologie de l’Université de Fribourg.

Que vous inspire la volte-face de l’Eglise catholique?

Federico Lazzaro: A mon sens, elle est le produit d’une saine réaction du public, qui a demandé à pouvoir écouter dans son intégralité l’œuvre qui lui avait été promise, afin d’en juger en connaissance de cause. La censure préventive décidée dans un premier temps n’a pas été acceptée. Je précise que la pratique consistant à couper une œuvre musicale a toujours existé. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, il était même standard de ne proposer en concert que des sélections des œuvres musicales en plusieurs mouvements. Mais dans le cas de la Messe pour la Paix de Karl Jenkins, la raison de la coupe n’était ni pragmatique, ni musicale, mais purement idéologique et exigée par chantage. Le message fort donné par les organisateurs est qu’il ne faut pas céder à l’intimidation, sinon il suffirait de hausser le ton et de se montrer menaçant pour obtenir ce que l’on veut. Il existe en outre des arguments permettant de contrer ce discours appelant à la censure de Jenkins.

Evoquons-les. Selon vous, l’appel à la prière musulmane repris dans le deuxième mouvement de l’œuvre ne doit pas être considéré comme une pièce religieuse…

Karl Jenkins a composé une messe musicale, pas une messe au sens liturgique du terme. De la même manière, la Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach est écoutée en concert et certainement pas durant une célébration eucharistique. Considérer le deuxième mouvement de l’œuvre de Jenkins comme une prière, c’est confondre la source musicale du morceau et sa réactualisation de la part du compositeur. En effet, l’emprunt d’un matériau musical ‒ ici une mélopée musulmane, mais il pourrait s’agir d’une danse cubaine, d’un chant populaire corse ou d’une sonnerie de téléphone ‒ lui enlève la fonction qui lui était originellement rattachée. Les rythmes percussifs tribaux utilisés par Jenkins dans son Sanctus n’invitent pas plus le public à danser en ronde que l’enregistrement du muezzin à prier Allah. Cet «objet trouvé» n’appelle pas à la prière. Il perd sa fonction primaire une fois choisi par le compositeur et intégré à l’œuvre.

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