«Il faut que les choses changent!»
Toutes les bêtes d’un éleveur d’Autafond sont tombées malades en 3 jours. Avec de grandes pertes à la clé
Partager
Nicole Rüttimann
29 décembre 2020 à 02:01
Epizootie » «Pour le seul mois de novembre nous avons perdu plus de 20 000 francs!» Dans leur ferme d’Autafond, l’inquiétude se lit sur les visages de Romain Bapst et de sa compagne Vyolène. A l’origine de cette perte, une épizootie: la salmonellose. Surgie en novembre dans l’exploitation, elle fait des ravages parmi ses 88 bêtes, causant fièvres, diarrhées et baisse de lait. Une dizaine d’entre elles sont euthanasiées. Aujourd’hui, le troupeau est redevenu sain, même si certaines vaches ne retrouvent pas leur production. Le couple se dit «très touché par les soutiens reçus», notamment depuis son passage à l’émission Cœur à cœur de la RTS en décembre et un appel sur Facebook. Mais il déplore le flou autour de l’existence d’une assurance perte de gain pour les agriculteurs touchés. Car leur cas n’est pas isolé (lire ci-dessous).
Le cataclysme survient un 8 novembre. Mais il faudra attendre les tests du vétérinaire pour confirmer le nom de la maladie. Le Service de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (SAAV) est alors averti. Il met le cheptel au séquestre et recommande de séparer bêtes positives et négatives, ce qui a déjà été fait. Mais en 3 jours, toutes sont atteintes, certaines sont asymptomatiques, cinq doivent être euthanasiées.
Imbroglio financier
L’éleveur se voit interdit de vente: «J’ai jeté 1000 litres, ça fait mal au cœur!» Par la suite, il peut écouler une part à Cremo pour le lait upérisé, le procédé tuant la bactérie. Mais avec un prix de «30 centimes inférieur à celui en fromagerie. Joint à la baisse de production, c’est une claque: 15 000 litres au lieu de 40 000, d’où 20 000 francs de perte!» L’imbroglio financier commence: «Les vaches euthanasiées, entre autres, sont remboursées par Sanima à raison de 90% de leur valeur. Mais l’établissement d’assurance des animaux de rente n’entre pas en matière sur la perte de gain.»
«Sanima prend en charge les pertes d’animaux consécutives aux épizooties et aux mesures de prévention et de lutte liées, frais de diagnostic, fourniture de médicaments, produits de désinfection… mais n’assure pas le dommage économique, lié à la diminution de valeur d’un animal vivant ou d’une mise sous séquestre», confirme Michel Roulin, chef de service.
Existe-t-il alors une assurance perte de gain dans ce cas? «Le SAAV et Grangeneuve m’ont dit non. La Chambre fribourgeoise de l’agriculture m’a soutenu le contraire. Alors que l’on nous dise où s’assurer! D’autres ont déjà cherché en vain», s’agace l’éleveur, qui appelle à «agir pour tous les agriculteurs: il faut que les choses changent! Pourquoi l’Etat ne créerait pas un fonds de 100 000 francs? Cela peut arriver à n’importe qui, même si on ne le souhaite à personne!» assure-t-il, évoquant un ami agriculteur qui a perdu l’équivalent de ce montant après un an passé à lutter contre l’épizootie.
Le SAAV relève qu’il en va de la compétence de la Direction des institutions, de l’agriculture et des forêts. A sa tête, le conseiller d’Etat Didier Castella indique: «A ma connaissance, il n’existe pas de possibilité de s’assurer pour une perte économique, c’est le cas pour toute entreprise. Sauf s’il existe des solutions de branche. Mais le canton offre divers soutiens. L’éleveur en question a reçu l’aide de trois services.»
Le directeur de la Chambre fribourgeoise d’agriculture Frédéric Ménétrey assure, lui, que «des assurances perte de gain épizooties existent, proposées par des compagnies d’assurances privées». Des exploitants, dont il ignore cependant le nombre, sont assurés. Mais, depuis début 2020, «les possibilités d’assurances ont probablement toutes été gelées en raison de la pandémie», selon leurs recherches. «Nous avons fait des demandes d’informations à plusieurs compagnies.» Quant à la demande de créer un fonds cantonal, il renvoie à la réponse faite au député Jean Bertschi en 2013, concernant les pertes de gain liées à la tuberculose bovine. Le canton l’a rejetée, renvoyant aux assurances privées. Et explicitant son refus par l’inégalité de traitement par rapport aux autres branches d’activité ou la difficulté de fixer un prix du lait déterminant pour l’indemnité. «Le canton devrait cependant revoir sa position négative.»
Quelles options alors? «Une demande d’aide pour exploitations paysannes pour obtenir des prêts sans intérêt auprès du Service de l’agriculture, des refinancements sur des bases privées. Nous pouvons aider les exploitations à obtenir des prêts», liste Frédéric Ménétrey.
Pas une «solution»
Si l’éleveur confirme avoir reçu des propositions d’aides, dont des crédits AEP, il estime que c’est «creuser un trou là pour en boucher un autre ici». Et évoque de gros remboursements et projets de vie gelés. Le couple a tenté de trouver des solutions, revenir sur l’achat de machines ou différer l’agrandissement de la maison, en vain, l’argent étant bloqué. De plus, l’Interprofession du gruyère a refusé la proposition de son laitier de reporter sur 2021 son quota invendu.
«Sans compter l’impression d’être pestiférés! Même si je comprends les agriculteurs qui ont peur de ramener ça chez eux.» Romain Bapst a repris espoir dès décembre avec 21 bêtes testées deux fois négatives dans un délai de plusieurs jours, critère du SAAV pour permettre la sortie du séquestre et la vente du lait en fromagerie. Coup dur encore le 14 décembre, avec quatre vaches positives, qui ont dû être euthanasiées. Mais le 23, c’est Noël en avance: tout le troupeau est négatif. Le séquestre est levé, ce qui permettra d’acheter dix bêtes pour remplacer celles ne produisant plus.
Et d’en tirer au moins un enseignement: «Nous ne pouvons plus compter uniquement sur la production laitière. Il faut se diversifier. Nous y réfléchirons avec notre aîné, qui arrivera en mars sur l’exploitation. Nous aimerions lui assurer un salaire.»
Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus