Sciences. Née il y a 150 ans, Anna Tumarkin fut la première professeure
Anna Tumarkin a été la première femme professeure de plein droit au monde. Elle a enseigné la philosophie et l'esthétique à Berne pendant 45 ans. Elle aurait eu 150 ans dimanche.
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ATS
Aujourd’hui à 09:00, mis à jour à 09:07
Anna Tumarkin a gravi les échelons à l'Université de Berne jusqu'à ce qu'elle soit nommée professeure extraordinaire peu avant son 34e anniversaire. Elle a fait de la recherche et enseigné, a dirigé et examiné des thèses de doctorat et d'habilitation et a participé aux décisions concernant les affaires de l'université en tant que membre de la faculté.
Née le 16 février 1875, elle fut ainsi la première femme au monde à obtenir un poste de professeur à part entière par la voie normale dans une université où les hommes et les femmes étaient admis.
Elle n'a toutefois pas réussi à entrer dans les livres d'histoire. Anna Tumarkin a longtemps été peu considérée, a indiqué l'historienne Franziska Rogger dans un entretien avec l'agence de presse Keystone-ATS. Elle était également peu connue des philosophes. On l'a niée ou oubliée, selon Mme Rogger.
Possibilités épuisées en Russie
Anna Tumarkin est née à Doubrovno, qui faisait alors partie de l'Empire russe. Son père était un riche commerçant juif orthodoxe qui pouvait offrir une bonne éducation à ses enfants. Enfant, Anna a reçu des cours privés, puis elle a fréquenté un lycée de jeunes filles. Après avoir obtenu son diplôme, elle a suivi une formation d'enseignante.
La jeune femme avait ainsi épuisé les possibilités de formation dans l'empire tsariste. Les femmes n'étaient pas autorisées à étudier à l'université. A seulement 17 ans, Anna Tumarkin a donc quitté son pays pour venir étudier en Suisse.
Les universités de Zurich, Bâle et Berne autorisaient les femmes à étudier depuis les années 1870. Pour s'inscrire si jeune à l'Université de Berne, elle a quand même dû ruser, précise Mme Rogger. En fait, il fallait avoir 18 ans pour y être admis.
Aimable et intelligente
Son professeur était le célèbre philosophe Ludwig Stein. Il a vu très tôt le potentiel de la jeune femme et l'a encouragée à faire un doctorat. A l'âge de vingt ans, elle l'obtient avec la meilleure note possible.
Plus tard, c'est également Ludwig Stein qui a fait du lobbying auprès du père d'Anna Tumarkin et de l'université pour qu'elle puisse passer son habilitation à Berne et obtenir le titre de professeur. Elle est ainsi devenue professeure titulaire en 1906 et professeure extraordinaire en 1909.
Selon Franziska Rogger, le fait qu'Anna Tumarkin soit devenue la première professeure de l'histoire a sans doute aussi un rapport avec sa personnalité: "Elle devait être une femme follement aimable et modeste". Elle a ainsi toujours réussi à ce que des gens s'engagent en sa faveur sans qu'on le lui demande, note la spécialiste, auteure d'une biographie sur cette pionnière.
Anna Tumarkin était également extrêmement intelligente, et on a toujours souligné sa "pensée autonome". Elle trouvait par exemple souvent une autre solution que d'autres aux problèmes de mathématiques, ajoute Mme Rogger.
La dernière étape de la carrière académique, celle de professeure ordinaire avec une chaire, lui fut cependant refusée. La commission de nomination nota dans un document rédigé en 1910 que "certaines réserves s'élèvent contre l'occupation d'un poste aussi exposé par une dame qui n'a pas acquis par des prestations exceptionnelles une autorité devant laquelle la critique et l'opposition se taisent".
Enthousiasmée par la Suisse
La philosophe n'était pas seulement passionnée par la science, mais aussi par la Suisse. A 43 ans, elle se fait naturaliser. Elle a trouvé dans la "liberté et la générosité" de la Suisse une deuxième patrie, écrit-elle dans sa demande.
Sa famille a été presque entièrement anéantie par les deux guerres mondiales, ainsi que les persécutions russes et nazies. Pendant la Deuxième guerre mondiale, Anna Tumarkin s'est mise au service de la défense spirituelle du pays et s'est intéressée de près à la philosophie suisse.
Mme Tumarkin a vécu pendant plus de 30 ans avec sa partenaire, la première médecin scolaire bernoise Ida Hoff, à Berne. Les deux femmes ont entretenu une relation profonde jusque dans la mort, partageant la même tombe. Anna Tumarkin est décédée le 7 août 1951.