Rebâtir après le désastre
La reconstruction de la cathédrale Notre-Dame, gravement ravagée par le feu, est déjà dans toutes les têtes. L’enquête devra déterminer les responsabilités de la catastrophe, tandis que les dons affluent
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Thierry Jacolet
17 avril 2019 à 04:01
Paris » Lundi soir, «Notre-Drame de Paris» s’est joué sous les yeux du monde entier. Cet acte tragique a failli écourter l’histoire presque millénaire de ce joyau de l’art gothique. La cathédrale de Paris fumait encore, hier matin, qu’un plan de reconstruction était déjà à l’étude. En pleine Semaine sainte, il est déjà venu le temps de la résurrection. Emmanuel Macron est apparu en père de la nation et bâtisseur de cathédrales en lançant le soir même les gros travaux. Si le financement des travaux est assuré au vu des centaines de millions de francs déjà promis par de multiples acteurs privés ou publics, la reconstruction prendra du temps. Eléments de réponse.
1 D’où vient la faille sur un tel chantier?
Les incendies de la cathédrale de Nantes en 1972, de l’hôtel Lambert à Paris en 2013 ou de la basilique Saint-Donatien, à Nantes encore en 2015, le montrent: les travaux de rénovation peuvent se révéler traîtres pour les monuments historiques. «Il n’y a rien de plus dangereux que des restaurations, estime l’historien de l’art suisse Marcel Grandjean. Il suffit d’un oubli sur un chantier et c’est parti. La sécurité doit être à son niveau maximal.»
Y a-t-il eu alors négligence au niveau de l’échafaudage de la flèche d’où serait parti le feu? Le Parquet de Paris a ouvert une enquête pour «destruction involontaire par incendie». L’ensemble des procédures et des mesures de sécurité a pourtant été respecté, a assuré la société lorraine Le Bras Frères, spécialisée en charpentes et couvertures, contactée hier par La Liberté. Sans en dire plus.
Quatre autres sociétés travaillaient sur le chantier. Les ouvriers auraient quitté les lieux à 17 h 30 déjà, soit une heure avant le début de l’incendie. «S’il y avait eu un employé sur place, il aurait réglé le problème avec un extincteur», souligne Alain-Charles Perrot, architecte en chef des monuments historiques chez Perrot & Richard architectes, à Paris. «Il suffit d’une source de chaleur comme une ampoule ou une étincelle pour que la poussière prenne feu.»
2 Des mesures de sécurité à renforcer?
Entre les surveillants incendies qui montent trois fois par jour faire l’état des lieux de la charpente, le pompier de service ou les exercices réguliers anti-incendie, les responsables de la cathédrale s’étaient dotés d’une «assurance» contre le départ de feu. «Au niveau de la sécurité, je crois qu’on ne peut pas faire plus», a martelé sur France Inter Mgr Patrick Chauvet, recteur de la cathédrale.
Et les sociétés engagées sur ce type de chantier? Elles travaillent dans les règles de l’art, affirme Isabelle Guerreschi, responsable administrative de TMH, une entreprise de restauration de monuments historiques, basée près de Bordeaux. Ce qui ne l’a pas empêchée d’administrer une piqûre de rappel des règles de base hier à tous les ouvriers.
«Ils doivent par exemple avoir une autorisation pour utiliser les chalumeaux, ils doivent débrancher les outils le soir et vérifier que toutes les sources d’énergie sont coupées, illustre-t-elle. Ils font plus particulièrement attention lors de soudures.» Sans parler des contrôles inopinés et fréquents du matériel et de l’équipement. A ses yeux, les mesures de sécurité sont suffisamment poussées sur les chantiers. «Alors imaginez à Notre-Dame de Paris!, s’exclame-t-elle. Elle devait être très bien surveillée, d’autant qu’elle est toujours en travaux.»
3 La structure est-elle à même de tenir?
Si les deux beffrois et les tours ont tenu comme la plupart de la structure en pierre, des «vulnérabilités» ont été identifiées hier. Surtout au niveau de la voûte dont une partie a été emportée par la charpente ravagée par les flammes. Une partie du beffroi sud et celle d’un pignon du transept nord sont fragilisées. «La cathédrale a eu de la chance dans son malheur», assure Alain-Charles Perrot.
«Ce sont les couvertures en bois de la nef qui ont brûlé. De sorte que les bas-côtés sont moins touchés. Et si la flèche était tombée du côté nord ou sud, elle aurait pu provoquer de gros dégâts.» En revanche, quand les pierres sécheront, les risques de descellement sont redoutés.
La priorité va désormais à la sécurisation de l’intérieur du bâtiment religieux ces prochains jours. «Il faut s’assurer que l’édifice n’ait plus de faille», souligne Alain-Charles Perrot, qui fait parler ses 30 ans d’expertise dans la restauration de bâtiments historiques. «Le plus important est d’étayer l’édifice pour éviter que les voûtes ne s’effondrent et permettre l’état des lieux de l’intérieur.»
4 Une reconstruction à l’identique?
La reconstruction de la cathédrale va prendre des années. «Cela durera entre 5 et 10 ans», estime Alain-Charles Perrot. D’autres experts parlent de 20 ans. Le type de restauration sera le sujet le plus disputé. «Il y a l’école de pensée qui estime qu’il est nécessaire de restituer l’apparence médiévale originelle», explique Michele Bacci, professeur d’histoire de l’art médiéval à l’Université de Fribourg.
«Mais le problème est que l’on n’a pas toujours de trace visuelle, et surtout que l’on risque fortement de réaliser un faux historique.» Un autre courant préconise de laisser visibles les effets de l’incendie. «Il s’agit de distinguer, par exemple en utilisant des matériaux et des couleurs différenciés, les parties détruites de celles qui ont survécu. Un dernier courant propose de maintenir le dernier état connu du monument: c’est le plus développé en Europe occidentale. Et à mon avis, c’est celui qui sera retenu.» Autrement dit, rendre la physionomie que lui a donnée l’architecte français mort à Lausanne Eugène Viollet-le-Duc qui a réalisé la dernière grande restauration au milieu du XIXe siècle.
Quant aux matériaux, il y aura aussi duel d’experts. Exemple: charpente en bois ou en béton armé, comme à Reims? «Même si on reconstruit en bois, cela n’a pas de sens de faire un pastiche. Et est-ce qu’on voudra faire disparaître une à deux forêts pour reconstruire une telle charpente?» Si en plus l’écologie s’en mêle…
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