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Monde

«L’objectif 2050 est possible»

S’il dresse un constat implacable de certaines responsabilités étatiques et privées, le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz se dit optimiste sur les chances de la transition énergétique

Le Prix Nobel d’économie 2001, l’Américain Joseph Stiglitz estime que le potentiel de la «transition verte» s’imposera et convaincra les Etats et l’économie privée.

Ariane Gigon, Zurich

Ariane Gigon, Zurich

17 janvier 2020 à 22:19

Climat » «Les signes encourageants sont nombreux, même si ce n’est pas encore à une échelle suffisamment grande»: le Prix Nobel d’économie 2001, l’Américain Joseph Stiglitz (76 ans) estime que le potentiel de la «transition verte» s’imposera et convaincra les Etats et l’économie privée à s’y engager. Un gros point noir toutefois, et pas des moindres: les Etats-Unis, son pays. Rencontre à Zurich, dans le cadre de l’inauguration d’un nouveau Centre de compétences pour la finance durable.

Vous soutenez aux Etats-Unis 21 jeunes plaignants attaquant le gouvernement Trump pour son inaction face au changement climatique. Pourquoi cet engagement?

Joseph Stiglitz: L’équité intergénérationnelle est en jeu. Le gouvernement a essayé d’invalider la plainte, mais n’a pas réussi. L’affaire est en attente. J’ai effectivement rédigé un rapport en faveur des plaignants, montrant que le système énergétique actuel, où 80% de l’énergie provient de sources fossiles, est le résultat direct des décisions et des actions gouvernementales.

Les marchés financiers ont-ils une vision à trop court terme pour appréhender le changement climatique?

Effectivement. Si nous, en tant qu’individus, ne nous mettons pas à la place de nos arrière-petits-enfants en nous demandant ce qu’ils penseront de nos actions, cette réflexion est en revanche, pour les pouvoirs publics, une obligation morale. Il faut donc institutionnaliser le souci des générations futures dans les actions présentes, y compris de l’économie.

Comment forcer les banques ou les entreprises à penser au long terme?

Des banques ont déjà été créées avec cette nouvelle optique. C’est le cas par exemple de la Green Bank à New York ou de la New Development Bank. La Banque mondiale a aussi adopté des principes dans ce sens. Du côté des entreprises, une tendance existe désormais à abandonner la maximisation du profit des actionnaires au profit du bien des générations à venir. Il se passe donc des choses, même si le mouvement est encore trop faible.

Vous en appelez à une intervention forte des pouvoirs publics.

Oui, les incitations par les prix sont nécessaires, mais pas suffisantes. Seules des régulations peuvent guider l’économie et encourager l’innovation.

Vous avez coprésidé avec Nicholas Stern la Commission de haut niveau sur les prix du carbone. Plaidez-vous pour des prix rapidement plus élevés?

La commission avait montré qu’avec un tarif plus élevé de 80 à 100 dollars par tonne, l’économie ne subirait pas de dommages définitifs. Ce tarif est viable et la limite du réchauffement de 1 à 2 degrés jusqu’en 2050 est réalisable. Certains secteurs subiront certes des dégâts, bien sûr, mais pas de façon insurmontable. Entre-temps, l’Union européenne s’est engagée à réaliser la neutralité carbone d’ici 2050. D’une certaine façon, l’UE suit l’agenda que nous avions proposé dans notre rapport. Je suis optimiste, même très optimiste, pour l’Europe, qui peut agir en leader dans ce domaine.

Qu’est-ce qui vous rend si positif?

Bien sûr, les industries du charbon et du pétrole résistent et certains pays vont poser problème. Mais quand des leaders politiques et les citoyens sont sur la même longueur d’onde, le changement est possible. De nouvelles technologies vont permettre de réduire les émissions, de baisser les coûts et de générer des profits. Je suis optimiste pour l’Europe et d’autres régions du monde.

« L’Europe pourrait être leader pour la neutralité carbone »

Joseph Stiglitz

Même des régions économiquement pauvres?

La transition sera difficile, mais les changements climatiques ont déjà atteint de telles proportions, à certains endroits, que les dégâts sur la santé sont évidents. Vous ne pouvez plus respirer en Inde, ni en Chine. De plus, en de nombreux endroits du globe, les énergies renouvelables, comme le solaire, sont moins chères que les énergies fossiles et donc accessibles de façon décentralisée. Il n’y a plus besoin de grands investissements centralisés, comme pour des centrales à charbon. Il aurait fallu des décennies pour poser une infrastructure câblée à travers tout le continent africain. Avec les téléphones cellulaires, ce n’est plus nécessaire. C’est la même chose avec l’électricité.

L’alimentation est un autre bon exemple. De nombreux pays dits développés ont contracté une addiction à la viande de bœuf, qui n’est pas saine du tout. Ailleurs, les habitants, qui sont peut-être aujourd’hui pauvres et végétariens, resteront végétariens mais en gagnant en pouvoir d’achat. Les végétariens ont une empreinte carbone 75 fois plus faible que les carnivores.

Vos positions contre Donald Trump sont connues. Votre optimisme exclut-il les Etats-Unis?

Le problème des Etats-Unis est plus vaste que seulement climatique: le Parti républicain, qui est celui des intérêts particuliers, est en train de saper les fondements de la démocratie. Une majorité de la population souhaite un contrôle des armes ou une assurance-maladie, mais le parti cherche à restreindre l’accès aux droits démocratiques. En bien des endroits, les Etats-Unis ressemblent déjà à un pays du tiers-monde. L’espérance de vie y a chuté. Dans le même temps, New York, la Californie se battent contre le changement climatique, et innovent. Il y a une juxtaposition de tiers-monde et de premier monde. Nous devons nous battre pour la survie de notre démocratie.

Bio express

9 février 1943Naissance à Gary, Indiana (USA).

1970Premier poste de professeur, à l’âge de 27 ans, à Yale, après avoir étudié à l’Amherst College et au Massachusetts Institute of Technology (MIT).

1995-1997Travaille au sein de l’administration Clinton.

1997-2000Chef économiste à la Banque mondiale, qu’il critiquera après son départ dans plusieurs ouvrages tels que La grande désillusion.

2001Prix Nobel d’économie pour des «travaux sur les marchés avec asymétrie d’information.»

2019Publication de Peuple, pouvoir et profits.

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