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Les fruits amers du divorce

Le Brexit commence tout juste à produire ses effets en Grande-Bretagne. Pompes à essence à sec, rues jonchées de déchets sont devenus le lot quotidien des habitants. Les fruits amers du divorce


Julie Zaugg

Julie Zaugg

6 novembre 2021 à 02:01

Royaume-Uni » Chaque semaine amène son lot de mauvaises nouvelles. Début octobre, les stations de pétrole du sud de l’Angleterre se sont retrouvées à sec. Les conducteurs ont fait la queue durant des heures dans l’espoir de faire le plein. A Londres, des bagarres ont éclaté.

Deux semaines plus tard, des dizaines d’autorités locales annonçaient qu’elles n’avaient plus les moyens de ramasser les poubelles. A Croydon, une cité au sud de la capitale, les rues se sont retrouvées jonchées de déchets et infestées d’asticots. Peu après, certaines maisons de retraite ont commencé à refuser les nouveaux résidents, par manque de personnel. Depuis quelques jours, le débat fait rage quant aux rayons vides dans les supermarchés. Le Royaume-Uni pourrait manquer de dindes, de sapins et de jouets à Noël.

Carences de personnel

Ces tourments sont le résultat de la sortie du pays de l’Union européenne au 1er janvier 2021, un bouleversement qui commence tout juste à montrer son visage réel. «Le pays souffre de graves carences en personnel, note Joe Marshall, du think tank Institute for Government.

Avec la pandémie, de nombreux travailleurs en provenance de l’Europe de l’Est sont rentrés chez eux et ils ne peuvent pas revenir car le Royaume-Uni a introduit une nouvelle politique de visas qui exclut les travailleurs non qualifiés.» Ils seraient 1,3 million dans ce cas, selon la société de conseil Grant Thornton.

Le pays manque désormais cruellement de chauffeurs de poids lourds, de bouchers d’abattoir, de serveurs et d’ouvriers agricoles. Rien que dans le secteur du transport routier, il manque 100 000 personnes. Sans eux, impossible d’alimenter les supermarchés et les pompes à essence.

Julian Marks, qui dirige Barfoots, une ferme produisant des légumes dans le sud de l’Angleterre, est touché de plein fouet par ces pénuries. «Cette saison, un dixième des 800 ouvriers que nous employons normalement n’ont pas pu nous rejoindre, relate-t-il. Cela nous a obligés à jeter près de 700 tonnes de courgettes.» Il souffre aussi du manque de chauffeurs. «Durant la période d’Halloween, nous avons dû renoncer à acheminer une partie de nos citrouilles dans les supermarchés.»

Fort taux de vacance

La situation est tout aussi dramatique auprès des producteurs de viande. «Le taux de vacance atteint 15 à 20% dans les abattoirs et les centres de distribution de volaille», dit Richard Griffiths, le chef du British Poultry Council. Certains éleveurs de porcs ont commencé à abattre leurs bêtes. Passé une certaine taille, les cochons ne peuvent plus être pris en charge par les abattoirs et le goût de la chair change.

Les maux qui affectent les consommateurs britanniques sont aussi le résultat d’une chute vertigineuse des échanges entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. «Les exportations ont baissé de quelque 10% et les importations de 25%, indique Alan Winters, le cofondateur d’un observatoire sur la politique commerciale du Royaume-Uni à l’Université du Sussex.

Cela est principalement dû aux nouveaux contrôles et aux taxes introduits aux frontières, qui génèrent des coûts supplémentaires, des délais et beaucoup de paperasse.» Amener un chargement de réfrigérateurs d’Italie en Grande-Bretagne coûte aujourd’hui 25% plus cher.

«Pour de nombreuses entreprises européennes, il ne vaut plus la peine de faire du commerce avec le Royaume-Uni, et cela réduit l’assortiment à disposition dans les magasins», poursuit le professeur d’économie. Le pays importe par exemple un à trois millions de sapins de Noël européens chaque année. De même, l’industrie de la construction dépend fortement des matériaux européens. De nombreux chantiers sont désormais à l’arrêt.

Du côté des exportateurs britanniques, ce sont les producteurs de textile, les groupes pharmaceutiques, les agriculteurs et les pêcheurs – soumis à de nouvelles règles sur l’origine de leurs biens ou leurs mesures phytosanitaires – qui souffrent le plus. «Pour contourner ces contraintes, certains ont déplacé leurs usines ou leurs centres de distribution sur sol européen, ce qui a fait perdre des emplois au Royaume-Uni», glisse Sam Roscoe, un expert des chaînes de logistique à l’Université du Sussex.

Le pêche sous pression

Les pêcheurs, initialement décrits comme les grands gagnants du Brexit, doivent pour leur part obtenir un permis pour pêcher au large des côtes européennes. Des négociations tendues ont eu lieu cette semaine encore entre Français et Britanniques sur ce dossier clé.

Si les effets du Brexit sur l’économie britannique sont durs à démêler de ceux de la pandémie, la plupart des observateurs pensent que la sortie de l’UE pourrait lui coûter entre 4 et 6 points de pourcentage de PIB. Les économistes agitent d’ores et déjà le spectre de la «stagflation», une croissance en berne accompagnée d’une forte inflation. Celle-ci devrait atteindre plus de 3% cette année.

Face à ces vents contraires, le gouvernement de Boris Johnson a adopté une série de mesures d’urgence. «Quelque 10 500 visas temporaires ont été attribués à des chauffeurs de poids lourds et à des travailleurs dans l’industrie de la volaille, les règles sur le cabotage (transport entre deux destinations domestiques par un opérateur étranger, ndlr) ont été assouplies et les conducteurs de camion peuvent désormais passer jusqu’à 11 heures par jour derrière le volant deux fois par semaine», détaille Joe Marshall.

Fin du modèle actuel

A terme, le gouvernement espère profiter du Brexit pour transformer l’économie de fond en comble, renonçant au modèle actuel fondé sur des bas salaires et une immigration de masse pour favoriser les emplois domestiques bien rémunérés. Sur le terrain, on n’y croit guère.

«Les chômeurs britanniques ne vivent pas dans les zones rurales où nous opérons et ne possèdent pas les compétences très spécifiques dont nous avons besoin», relève Richard Griffiths, le représentant de l’industrie de la volaille. Julian Marks a de son côté passé des mois à tenter de recruter des saisonniers locaux sur sa ferme, en vain. «Nous n’avons trouvé que deux adolescents pour cueillir des piments durant l’été», soupire-t-il.

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