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Histoire vivante

Les dessous chics et chocs du Kremlin

La forteresse des tsars, des Soviétiques et de Poutine cache de nombreux complots et secrets d’alcôve...

Le Kremlin entretient le culte du secret. Sous Staline (ici avec des femmes de son cercle restreint), les «bavardes» risquaient la mort. Plus tard, une
certaine ouverture est constatée avec Nina Khrouchtchev (avec Jackie Kennedy), Raïssa Gorbatchev ou Lyudmila, l’ex-épouse de Poutine.

 Propos recueillis par 
Pascal Fleury

Propos recueillis par 
Pascal Fleury

27 janvier 2017 à 05:00

Moscou »  Résidence des tsars et des caciques de l’URSS, avant de devenir le centre de la Fédération de Russie, le Kremlin entretient chroniquement le culte du secret, cachant derrière ses murailles rouges de nombreux complots, crimes, purges et secrets d’alcôve. Dans ce temple de la discrétion, même la vie privée des dirigeants est élevée au rang de secret d’Etat. Les premières dames restent d’ailleurs souvent dans l’ombre, contrairement à la pratique américaine. Les explications de l’historienne de l’URSS Magali Delaloye, chargée de cours à l’Université de Lausanne et auteure d’un ouvrage(1) sur le sujet.

- Alors que Trump met en scène toute sa famille, Poutine reste très discret. Votre explication?

Magali Delaloye: Du temps de l’Union soviétique déjà, il n’était pas coutume de mettre en avant l’épouse ni la famille. Lors de son premier mandat de président, Vladimir Poutine est tout de même apparu parfois avec sa femme Lyudmila et ses deux filles Maria et Katerina. Mais le rôle de son épouse est resté stéréotypé. Elle ne prenait part qu’à certaines rencontres officielles à l’étranger, se contentant pour le reste de visiter des orphelinats comme les dames patronnesses du XIXe siècle.

Depuis 2008, Poutine ne s’affiche quasiment plus avec ses filles, par respect de leur vie privée. Le couple ayant divorcé en 2013, Lyudmila a disparu de la scène politique. Le locataire du Kremlin a été parfois vu en charmante compagnie, mais ses liaisons restent discrètes.

- Cette discrétion s’explique-t-elle aussi par le fait que Vladimir Poutine était un agent du KGB?

Bien sûr. Alors que Poutine travaillait pour les services secrets, le couple devait se fondre dans le décor. Pour un espion, cacher sa famille, c’est éviter d’éventuelles pressions. Poutine doit se souvenir des frasques des enfants de Leonid Brejnev. Et des relations troubles que la fille et le gendre de Boris Eltsine ont eues avec les oligarques. Quand on est membre du KGB, ce sont des expériences qu’on n’oublie pas!

- Ne faut-il pas y voir aussi une politique machiste?

Il est vrai que depuis Catherine II la Grande, au XVIIIe siècle, le pouvoir est exclusivement masculin en Russie. A la cour tsariste, les femmes doivent leur position à leur mari. Après la Révolution de 1917, le pouvoir reste éminemment masculin, même si quelques femmes obtiennent des positions officielles dans la mouvance d’émancipation bolchevique. Parmi elles, on peut citer Alexandra Kollontaï, qui a été ministre de l’Assistance publique (lire ci-dessous). Ou Nadejda Kroupskaïa, l’épouse de Lénine: cette théoricienne de la pédagogie bolchevique a été vice-commissaire du peuple à l’Education. Inessa Armand, la maîtresse de Lénine, était aussi une féministe bolchevique.

- Avec Joseph Staline, le Kremlin redevient vite très «viril»...

C’est ce que j’appelle le conservatisme stalinien. Staline n’a jamais renié le discours d’égalité bolchevique entre hommes et femmes. On l’observe dans ses discours, dans ses parades, dans la propagande. Mais, en même temps, il ne remet pas en question les rôles biologiques. Une femme doit rester d’abord une mère. Lors du grand mouvement de mécanisation des campagnes, dans les années 1930, une étude est d’ailleurs menée pour savoir si les vibrations des tracteurs n’allaient pas endommager l’utérus des conductrices!

- Comment s’exprime cette
«virilité bolchevique»?

L’homme doit être à l’image du héros épique, sans peur et sans reproche. Il doit placer la sauvegarde de la nation avant ses intérêts personnels. Il doit savoir «tenir l’alcool», ne jamais perdre le contrôle. Cette virilité est célébrée entre hommes, à la chasse ou lors de dîners interminables. Staline triche, buvant moins pour faire parler les autres. Ces beuveries sont redoutées, comme le raconte Khrouchtchev dans ses mémoires. Beria, Malenkov et Mikoïan se seraient fait servir de l’eau rougie au lieu de vin pour éviter d’être enivrés.

Quand Staline l’apprend, il entre dans une colère noire! Staline impose aussi la moustache comme canon de la virilité. Il dicte même au juif Lazare Kaganovitch, membre du Politburo, de se raser la barbe, comme l’empereur Pierre le Grand l’avait fait avec ses boyards! Sous Staline, les femmes n’obtiennent plus de postes politiques, sauf exceptions, comme Polina Jemtchoujina, l’épouse de Molotov, qui devient commissaire du peuple à l’industrie de la pêche.

- Vient la Grande Terreur: en deux ans, 680 000 exécutions et des centaines de milliers de gens envoyés au goulag. Ces purges touchent aussi le Kremlin...

En quelques semaines, en 1937, trois des bons amis de Staline sont touchés. Avel Enoukidze, à la tête du Comité exécutif du parti, est arrêté. Sergo Ordjonikidze, membre du Politburo, se suicide. Et Nikolaï Boukharine, ancien du Politburo, est inculpé. Il sera condamné à mort.

Staline s’attaque aussi à l’épouse juive de Molotov, son bras droit, pour faire pression sur lui. En URSS, la non-dénonciation par manque de vigilance était condamnable. Comble de sadisme, le dictateur rouge fait voter la déportation de l’épouse de Molotov en sa présence. Il va jusqu’à forcer des collaborateurs à divorcer. Comme Alexandre Poskrebychev, pourtant fou amoureux de son épouse.

Le «Petit Père des peuples» fait même fusiller deux de ses belles-sœurs et en envoie deux autres au goulag, alors qu’elles adoraient leur «Joseph chéri». Motif: elles étaient trop bavardes! On a souvent parlé de la parano de Staline. Il était très méfiant. Au Kremlin, personne ne faisait confiance à personne.

Après Staline, la vie privée reste très secrète au Kremlin. Mais on voit apparaître les «premières dames» dans la vie publique...

On n’avait plus vu ça depuis des décennies, depuis que l’épouse de Staline, Nadejda Allilouïeva, s’était suicidée en 1932. Nina Khrouchtchev accompagne son mari en visite officielle. Elle rencontre les Eisenhower, puis les Kennedy. Il y a là une volonté de modernité... même si, avec ses robes à fleurs démodées, Nina fait bien pâle figure face à la belle Jackie Kennedy.

Raïssa Gorbatchev, elle, très à l’aise avec les médias, séduit l’Occident. En Union soviétique, en revanche, elle est jugée trop révolutionnaire! Depuis, la discrétion reste de mise...

1) Magali Delaloye, Une histoire érotique du Kremlin, Editions Payot, 2016.

* * *

La sulfureuse Alexandra Kollontaï, praticienne de l’émancipation

S’il est une figure hors normes au Kremlin, c’est Alexandra Kollontaï (1872-1952). Issue de la petite aristocratie, cette bolchevique a fui un mariage arrangé. Elle étudie à l’Université de Zurich, rejoint le mouvement marxiste, rencontre Lénine, entre au Parti ouvrier social-démocrate.

Dès lors, la sulfureuse Alexandra développe des théories originales sur l’émancipation des femmes. Elle dénonce le mariage qui, pour elle, est l’une des causes de la subordination féminine. Prônant la liberté sexuelle, elle met en pratique ses théories avec de nombreux amants. Au point que certains bolcheviques puritains voient en elle une «hérétique». Ses ouvrages vont d’ailleurs être «oubliés» jusqu’à la perestroïka.

Cela ne l’empêche pas d’obtenir des postes à responsabilité au Kremlin, grâce au soutien d’intellectuels du parti. Elle devient ministre de l’Assistance publique, puis participe à l’opposition ouvrière, défendant des idées très progressistes sur les rapports de genres et de races. Peu à peu écartée pour ses positions maximalistes, elle fait appel à Staline qui la nomme ambassadrice en Norvège puis au Mexique. «Ce qui est exceptionnel, alors que toutes les personnes de l’opposition ouvrière gravitant autour d’elle ont été fusillées ou envoyées au goulag, c’est qu’elle est morte de sa belle mort en 1952», commente l’historienne Magali Delaloye. Staline ne s’est en effet jamais attaqué à son «ancienne camarade»… PFY

Radio: Ve: 13h30

TV: Poutine, le
nouvel empire
Di: 21h10

Lu: 23h

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