Le dernier vol de «Monsieur H»
Le secrétaire général de l’ONU a été assassiné en 1961. Une enquête reconstitue le puzzle du meurtre
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Kessava Packiry, New York
4 mai 2019 à 04:01
Publication » Sans doute Maurin Picard a-t-il encore un peu la tête perdue en Rhodésie du Nord. C’est là-bas, dans l’actuelle Zambie, que son esprit a été happé au cours de ces trois dernières années. Il vient d’en sortir son dernier livre, Ils ont tué Monsieur H*. Une enquête à travers la planète, sur la mort mystérieuse de Dag Hammarskjöld: le secrétaire général des Nations Unies (ONU) a perdu la vie dans le crash de son avion, dans la nuit du 18 septembre 1961, près de Ndola, en Afrique australe. L’intrépide Suédois se rendait en mission de paix pour convaincre le Katanga de ne pas faire sécession avec un Congo qui s’affranchissait, dans le chaos et le sang, de sa tutelle belge.
Correspondant aux Etats-Unis, le journaliste français de 45 ans n’a aucun doute: le DC-6 de «Monsieur H», victime d’une conspiration internationale, a été abattu. Dans les airs sûrement, par un chasseur solitaire, avec une équipe de soutien au sol. Dag Hammarskjöld s’était fait des ennemis puissants: l’Angleterre, l’Afrique du Sud, la France et les Etats-Unis, qui pensaient pouvoir disposer d’une marionnette dans un monde en plein rapport de force avec l’Union soviétique. Mais le Scandinave a voulu faire de l’ONU une voix importante sur l’échiquier mondial.
Sensible aux velléités d’indépendance, il s’était attiré les foudres des anciens colonisateurs, qui voyaient d’un mauvais œil les richesses des sous-sols africains leur échapper. La rébellion katangaise était d’ailleurs dirigée par un conglomérat minier anglo-belge, qui payait grassement ses mercenaires… Des mercenaires en partie composés d’officiers français.
Vous évoquez le rôle important joué par les mercenaires français.
Maurin Picard: On parle toujours de mercenaires belges. Mais l’histoire est bien différente. Ceux qui ont mené la danse, ce sont les Français; ils disposaient d’une centaine de commandos katangais, formés aux techniques de guérilla à la française. Et ils ont infligé de lourdes pertes aux contingents de l’ONU pendant la semaine précédant le crash. Les archives nous révèlent aussi qu’une équipe de mercenaires français se trouvait dans la savane cette nuit-là, non loin de la zone d’impact, avec des équipements radio sophistiqués.
Ces mercenaires ont-ils travaillé pour le Gouvernement français?
On a toujours parlé de soldats perdus qui avaient quitté l’Algérie au moment où De Gaulle avait commencé à négocier l’indépendance. Ces soldats seraient partis chercher l’aventure au Katanga, pour se battre contre les Casques bleus, avec les Katangais, et pour gagner un maximum d’argent. Ça, c’est l’histoire qu’on raconte dans les livres depuis une cinquantaine d’années. En creusant, on découvre que les 22 Français qui sont partis au Katanga en 1961 étaient en mission commandée. Soit envoyés par le ministre de la Défense Pierre Messmer. Soit pour deux d’entre eux – et j’ai retrouvé le dernier survivant – convoqués directement à l’Elysée pour partir en mission spéciale au Katanga. Ces officiers étaient des durs, capables de faire tous les sales coups. Ils ont été envoyés là-bas pour faire un maximum de dégâts contre l’ONU.
Cela doit être difficile pour la France de regarder aujourd’hui l’ONU droit dans les yeux…
Une chose que j’ai découverte dans les archives de l’ONU à New York, c’est qu’ils avaient même ourdi un complot pour assassiner les dirigeants onusiens présents au Congo. Et ce complot gît enfoui dans les paperasseries d’une petite salle d’archives, sur la 45e Rue.
Quel était l’intérêt de la France?
Le Congrès de Berlin, en 1885, a décidé du sort de l’Afrique profonde en reconnaissant aux différentes puissances coloniales des pans de territoire. Mais il y avait une clause totalement oubliée dans ce traité: elle stipule que si la Belgique devait renoncer à sa souveraineté sur le Congo, la France pouvait revendiquer sa succession. Or c’est ce qu’il se passe en 1960: les Belges n’ont absolument pas préparé l’indépendance du Congo et ça leur éclate à la figure. Tout de suite, le régime gaullien et le gouvernement du premier ministre Michel Debré voient un intérêt évident à élargir le cercle d’influence français en Afrique, en visant les richesses katangaises.
Mais ils ne sont pas les seuls.
Il y a les intérêts miniers anglo-belges et sud-africains. Et les Américains, qui lorgnent depuis un moment l’uranium du Katanga. Ce même uranium qui a servi à la première bombe A larguée sur Hiroshima. Donc les Français se retrouvent dans un jeu extrêmement complexe. Ils n’ont pas de compagnies minières déjà implantées sur le terrain. En revanche, ils ont des militaires aguerris, qu’ils envoient pour prouver que la France est le grand frère tout trouvé pour supplanter ces fuyards de Belges.
En juin, le rapport final de l’enquête de l’ONU sera transmis à son secrétaire général, Antonio Guterres. Qu’en attendez-vous?
On pense qu’il rendra publiques ses conclusions en septembre, lors de l’assemblée générale. Est-ce qu’il aura le courage de demander des comptes à des Etats comme la France ou le Royaume-Uni? Est-ce qu’il a les moyens diplomatiques de courir le risque de créer un incident avec de grandes puissances occidentales? Ça me paraît très difficile d’envisager que Londres, Pretoria, Paris ou Washington, qui ont toujours refusé d’ouvrir leurs archives, acceptent de lever le voile sur une affaire extrêmement trouble.
* Maurin Picard: Ils ont tué Monsieur H – Congo, 1961. Le complot des mercenaires français contre l’ONU. Ed. Seuil
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