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Histoire vivante

La génération perdue des Gardes rouges

Chine • Il y a 50 ans, Mao Zedong lançait la Révolution culturelle, s’appuyant sur la jeunesse pour consolider son pouvoir. Le mouvement prit une tournure violente incontrôlable, se soldant par plus d’un million de morts en dix ans.

Le 18 août 1966, environ un million de jeunes Gardes rouges acclamaient leur idole Mao Zedong sur la place Tian’anmen à Pékin. Deux ans plus tard, ils étaient envoyés «en rééducation» dans les campagnes.

Pascal Fleury

Pascal Fleury

10 mai 2016 à 23:14

  • ARCHIVE --- VOR 50 JAHREN, AM 16. MAI 1966, WURDE IN CHINA DIE KUTURREVOLUTION LANCIERT. MIT EINER MOBILISIERUNG, VOR ALLEM DER JUGENDLICHEN MASSEN, VERSUCHTE DER VORSITZENDE MAO ZEDONG, DEN MACHTKAMPF INNERHALB DER KOMMUNISTISCHEN PARTEI ZU GEWINNEN. ZUR KULTURREVOLUTION STELLEN WIR IHNEN DIESES BILD ZUR VERFUEGUNG --- Mao Tse-tung is shown in 1966 at the beginning of China's Cultural Revolution. A founding member of the Chinese Communist Party in 1921, Chairman Mao became the communist leader of the People's Republic of China on Oct. 1, 1949, when he expelled Chiang Kai-shek. The classical-educated Mao, born of peasant parents, reorganized China's workforce with the Great Leap Forward and launched the Cultural Revolution on Aug. 15, 1966, a crusade against old ideas and culture. The movement was led by a group of his followers called The Red Guards, who lived fanatically by Mao's "The Little Red Book." Mao brought China into the modern age as an active revolutionary and despotic dictator. He died of a heart attack in 1978. (AP Photo)

«Débarrassez-vous des quatre vieilleries: les vieilles pensées, la vieille culture, les vieilles coutumes, les vieilles habitudes!» Le slogan que hurlaient les Gardes rouges est resté gravé dans la tête du virtuose de flûtes chinoises Guo Yue.

Le musicien, aujourd’hui établi à Londres, entend encore ces chants dédiés à «Notre cher président Mao, soleil rouge de nos cœurs», que les jeunes révolutionnaires en uniforme kaki et brassard rouge diffusaient par haut-parleurs dans son vieux quartier de Pékin. Et cette cloche, qui retentissait plusieurs fois par jour. «La ville entière devait alors cesser toute activité et se mettre à danser!», se souvient Guo Yue dans «Une enfance sous Mao»(1). Qu’elle semblait joyeuse, la grande Révolution culturelle prolétarienne de Mao!

Le mouvement n’était pourtant pas si «bon enfant». Né d’une crise politique et sociale, il s’inscrivait dans un climat de tension entre l’aile révisionniste du Parti communiste chinois et son président Mao Zedong, fragilisé par l’échec du Grand Bond en avant (1958-60), ce programme économique qui s’était soldé par une terrible famine et plus de 30 millions de victimes.

Jeunesse manipulée

En 1966, une pièce de théâtre considérée comme une attaque déguisée contre Mao devient le prétexte au déclenchement de la Révolution culturelle. Le 16 mai, un éditorial du «Quotidien du Peuple» appelle à la lutte contre le «révisionnisme bourgeois». Exploitant la propagande, le Grand Timonier manipule habilement la jeunesse estudiantine, qui constitue le «dernier segment de la population chinoise à ne pas avoir été envahi par la désillusion», souligne la sinologue française Marie Holzman(2), auteure de nombreux ouvrages sur la Chine contemporaine.

Les collégiens et universitaires, certains âgés d’à peine 12 ans, découvrent avec enthousiasme qu’ils peuvent jouer un rôle décisif dans la politique de leurs écoles, de leurs familles ou même du pays. Le «Petit Livre rouge» en main, ils s’appliquent alors avec zèle à évacuer les «quatre vieilleries». «Un soir de début août, déplore le flûtiste Guo Yue, mes sœurs ont brûlé les vieilles photographies de notre mère, ses lettres, ses papiers, ses livres de poésie et ses romans, tout ce qui pouvait révéler son milieu contre-révolutionnaire.»

Les Gardes rouges se ruent sur les cibles qu’on leur désigne: les intellectuels - à commencer par leurs enseignants - et les hauts fonctionnaires. Les victimes sont molestées, humiliées, couvertes d’encre noire, affublées d’un bonnet d’âne ou d’une pancarte dénonçant leurs délits, exposées à la foule devant laquelle elles doivent courber la tête en signe de culpabilité.

Entre août et septembre 1966, 11 millions de Gardes rouges déferlent sur Pékin, répondant à l’appel de Mao: «Feu sur le Quartier général!» Sur la place Tian’anmen, les jeunes lycéens et étudiants acclament Mao comme une idole, brandissant le «Petit Livre rouge» dans «un fanatisme parfois comparé au rassemblement hitlérien de Nuremberg», note Tania Angeloff(3), professeure de sociologie à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne. Mao attise la rébellion: «Nous ne voulons pas la gentillesse, nous voulons la guerre.»

Dénonciations arbitraires

Les purges s’étendent alors à tout le pays. Des enfants dénoncent leurs parents, les arrestations deviennent toujours plus arbitraires. Insulter un chat - «mao» en chinois - ou s’asseoir sur un journal où figure la photo de Mao suffit pour être envoyé en camp de travail.

La mère du musicien Guo Yue n’est pas épargnée par cette déferlante rouge. Rouée de coups à l’école par des jeunes qui l’accusent d’avoir enseigné les langues étrangères, elle est ramenée à la maison «les cheveux gris couverts d’encre noire et du sel sur ses plaies». «Ce ne sont que des enfants. Ils ne savent pas ce qu’ils font», répète-t-elle, hébétée. En 1967, elle sera envoyée en «rééducation» à la campagne, où elle devra extraire la vase d’une rivière.

Toujours plus fanatiques, les Gardes rouges instaurent un climat de terreur, perquisitionnant les maisons au hasard, vandalisant les foyers, confisquant des milliers d’appartements. Livres et meubles anciens disparaissent dans de grands autodafés, des temples bouddhistes sont détruits, des artistes sont mutilés ou assassinés. De nombreux contre-révolutionnaires sont exilés dans des camps de travail ou exécutés en public. Certains préfèrent se suicider. La «Terreur rouge» fera 1700 morts rien qu’à Pékin.

L’armée à la rescousse

Dès le début 1967, les révolutionnaires s’emparent des usines, hôpitaux et écoles. Des affrontements violents éclatent entre groupes maoïstes et ouvriers ou paysans, faisant des milliers de morts. Les villes de Wuhan et Canton sont particulièrement touchées. Les luttes entre factions se multiplient, les Gardes rouges deviennent incontrôlables. A Wuzhou, des bombes au napalm sont utilisées pour réduire les rebelles. La Chine est au bord de la guerre civile.

Pour neutraliser cette jeunesse endoctrinée qui menace désormais la sécurité du pays, Mao fait appel à l’armée. Elle va reprendre le contrôle du pays en redoublant de violence. En juillet 1968, les leaders des Gardes rouges sont arrêtés et le mouvement est dissous. Plus de 4,6 millions de militants sont déportés à la campagne. Jusqu’à la mort de Mao Zedong en 1976, et même ensuite, plus de 17 millions de jeunes citadins seront envoyés aux champs, dans des conditions de logement et d’alimentation souvent très difficiles.

La Révolution culturelle fera au bas mot un million de morts, voire 3 millions selon certaines sources. Elle se soldera par une énorme frustration et désillusion pour toute une jeunesse. Le spécialiste de la Chine contemporaine Michel Bonnin l’appellera la «génération perdue». I

1 «Une enfance sous Mao». Cosigné avec Clare Farrow, Ed. Autrement, 2011

2 «Les massacres de la Révolution culturelle». Textes réunis par Song Yongyi, Editions Buchel Chastel, 2008.

3 «Histoire de la société chinoise», Tania Angeloff, Ed. La Découverte, 2010.

* * *

Minorités victimes de massacres

La Révolution culturelle ne s’en est pas prise qu’aux intellectuels et aux bureaucrates, elle a aussi été terrifiante pour les minorités ethniques et religieuses. En Mongolie-Intérieure, par exemple, elle a joué «le rôle de coupeur de têtes de l’indépendantisme mongol», commente l’historien et critique de cinéma Wu Di, dans «Les massacres de la Révolution culturelle»2. Entre 1967 et 1968, lors du «mouvement d’épuration de classes», 340 000 personnes ont été arrêtées, torturées ou estropiées, et 16 222 personnes assassinées, selon des statistiques officielles. Les survivants mongols, qui estiment les victimes à 50 000, parlent de génocide.

Les Gardes rouges ont aussi sévi au Tibet, dès 1966, cherchant à détruire de façon «systématique, méthodique, calculée, planifiée et totale la civilisation tibétaine», selon le journaliste français Pierre-Antoine Donnet («Tibet mort ou vif», Gallimard). Les rebelles étaient surtout Tibétains, issus d’universités de Pékin. Ailleurs, les violences ont dénoté une cruauté inimaginable et un cynisme total. Dans le Guanxi, en 1968, il a même soufflé un «vent de cannibalisme». De rares images du reporter Li Zhensheng, publiées en 2003 dans «Le Petit Livre rouge d’un photographe chinois» (Ed. Phaidon), illustrent cette folie meurtrière, ponctuée de procès publics, travaux forcés et exécutions sommaires. PFY

 

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