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Histoire vivante

«Il faut aider à éliminer la corruption»

Iran • Les Européens se précipitent en Iran pour faire du commerce. Mais cette ouverture économique devrait aussi permettre à la République islamique de lutter contre ses propres maux, en particulier la corruption.


Vincent Braun

Vincent Braun

27 avril 2016 à 21:29

La République islamique reste une destination à risques pour les investisseurs étrangers. Les conflits dans les pays voisins du Moyen-Orient, l’environnement économique et juridique ainsi que les tensions entre le Gouvernement Rohani et les ultraconservateurs (qui menacent les réformes économiques) sont autant de sources d’incertitudes. Sans parler de la situation précaire des libertés fondamentales et des droits de l’homme.

Un récent rapport d’Amnesty International plaçait la République islamique au deuxième rang des pays qui procèdent au plus grand nombre d’exécutions dans le monde (au moins 977 personnes en 2015). L’Union européenne a d’ailleurs reconduit, dernièrement, des sanctions à l’égard de 80 personnalités visées en raison des violations des droits de l’homme. «L’Europe serait bien inspirée de venir en Iran avec une armée d’avocats», estime le sociologue et enseignant Majid Golpour, directeur adjoint d’un bureau de consultance en management. «L’Iran a besoin de mettre en place des structures légales pour pouvoir s’ouvrir au monde. Et l’UE a tout intérêt à contribuer à déjouer la corruption», estime le professeur de l’Université de Bruxelles. Entretien.

Se précipiter pour aller faire des affaires en Iran, comme l’ont fait les Français et les Italiens, au nom du principe du premier arrivé, premier servi, est-ce une bonne idée?

Majid Golpour: Non. L’Union européenne et l’Iran s’engagent dans un partenariat stratégique mais la stratégie globale n’est pas précisée. D’un côté comme de l’autre. Or, le haut niveau de risque, économique, financier et politique, tant domestique que régional, imposerait de savoir où l’on met les pieds. Au niveau européen, Mme Mogherini (cheffe de la diplomatie européenne, ndlr) fait preuve d’une timidité déplacée. Son idée consiste à dire: si l’on peut faire des affaires, on peut parler des droits de l’homme, dans un second temps. C’est une demi-stratégie. Au moment de la rupture des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, au lieu de jouer un rôle de médiateur, comme la Suisse l’a fait, l’Europe s’est abstenue. Les Suisses sont allés en Iran en disant: nous allons faire des affaires mais vous allez respecter les droits de l’homme. C’est une stratégie qui a le mérite d’être claire.

L’Europe n’est-elle pas assez claire?

Pas du tout. C’est très étrange que l’Europe, berceau des droits fondamentaux de l’homme, de la démocratie, de la transparence, veuille aller négocier presque en cachette, au détriment de toutes ses valeurs. Si l’intention est de réduire ces risques et d’accroître les opportunités pour l’économie, la politique, les droits de l’homme, la culture, l’environnement, pourquoi ne pas l’afficher à l’avance? L’Europe n’est pas transparente. Pour le peuple d’Iran, le message européen n’est pas très lisible.

Quels sont les risques et comment les réduire?

Avec l’Iran, seules les affaires commerciales marchent. On peut vendre ou acheter d’un coup sans grande rigueur. C’est ce qui a cours avec l’Inde, la Turquie, le Japon et même avec l’Europe. Par contre, les risques sont importants pour les contrats de haute volée économiques et financiers. Et surtout si les contrats engagent à moyen et long termes. Selon le FMI et d’autres grandes institutions, pour que l’Iran entre dans l’économie mondiale, il faut des réajustements de politique interne contre la corruption institutionnalisée. Or, il y a une divergence fondamentale entre le président Hassan Rohani, qui veut la création massive de joint-ventures entre entreprises iraniennes et étrangères, et Ali Khamenei, qui veut une économie de résistance réservée aux pasdarans (conglomérat du Corps des Gardiens de la révolution contrôlant 60% de l’économie du pays). Pour le Guide suprême, cette économie était gagnante sous les sanctions: même si c’était difficile pour le peuple, les militaires étaient contents. Peu importe le mécontentement de la population, la répression et quelques formules de rhétorique faisaient l’affaire. Le credo pour le Guide c’est de résister, d’être en guerre.

Comment faire pour réduire les risques en Iran?

Il faut mettre en place, comme aux Etats-Unis, un bureau européen indépendant de prospection, d’investigation et de négociation, à la fois avec l’Iran et avec les Etats-Unis. Ce bureau, qui serait responsable devant le Parlement européen, permettrait de s’assurer, sur demande d’une société européenne, de la réputation d’une entreprise iranienne et aussi de veiller à ce que les contrats soient bien négociés dans un cadre juridique transparent. Il faciliterait donc les affaires, afin que celles-ci se fassent en toute légalité et transparence. Ce bureau interviendrait en amont et en aval, au service de nos entreprises.

L’Europe a-t-elle les moyens de faire pression sur l’Iran au niveau des droits de l’homme? Par le biais des affaires?

Bien sûr. Indépendamment des affaires, et ensuite, avec les affaires. Pour cela, il faut que l’Europe se dote d’un rapporteur juridique. Le parlement pourrait nommer un équivalent à Ahmed Shahid. Cet avocat est le rapporteur spécial de l’ONU pour la situation des droits de l’homme en Iran. De cette manière, les droits de l’homme seraient pris en charge indépendamment de la dimension politique (les accords d’association de l’UE intègrent une négociation sur les droits de l’homme mais elle est prise en charge par le Service d’action extérieur, qui dépend de la Commission, ndlr). C’est ce qui manque dans la stratégie de l’Europe. Il faut en finir avec l’idée fausse que pour faire des affaires, il faut mettre au placard le dossier des droits de l’homme.

La Libre Belgique


 

Entre martyrs et cafés branchés, un pays à double visage

Se profilant désormais comme un nouvel «eldorado» économique, notamment pour les investisseurs étrangers, l’Iran confirme sa réputation de «pays du paradis». On ne compte pas moins de cinq mots pour le désigner, en particulier dans la poésie persane. Sur terre, il y en a de grands, comme Behecht-e Zahra («le paradis de Zahra», la fille du Prophète), en fait le cimetière qui commence aux portes des quartiers sud de Téhéran et s’étend sur plus de 400 hectares en direction du désert.

Le cœur du cimetière de Behecht-e Zahra est le carré des martyrs: au moins 30'000 tombes de combattants morts pendant la longue guerre Iran-Irak (1980-1988) ou de manifestants fauchés par les balles de l’armée du shah, sans oublier ceux tombés dans les attentats perpétrés par les organisations hostiles au pouvoir.

Plus de trente-cinq ans après la victoire de la révolution et l’avènement de la République islamique, on pourrait croire ce chapitre clos, qu’il s’agit de l’histoire ancienne. Effectivement, en semaine, à part quelques vieilles mères qui nettoient la tombe d’un fils, la parfument à l’eau de rose et récitent la sourate consacrée, le carré des martyrs est désert. Mais les jeudis après-midi, l’endroit est beaucoup moins silencieux. C’est le jour où l’on enterre les pasdarans (Gardiens de la révolution) et les bassidji (miliciens) qui ont été tués en Syrie. Les «martyrs» d’aujourd’hui rejoignent ainsi ceux d’hier.

A la différence de leurs prédécesseurs, aucun endroit n’est réservé aux martyrs de Syrie. Leurs tombes de marbre noir sont disséminées dans le carré en fonction de la place disponible, si bien qu’il est très difficile de savoir quel est leur nombre. Entre les sépultures, on voit parfois des affiches montrant des groupes de jeunes combattants sur le front syrien. En mars, la puissante Fondation des martyrs a fait savoir que les familles de ceux qui seraient tués ou blessés en Syrie bénéficieraient de son soutien, quelle que soit leur nationalité. Difficile de connaître leur effectif, d’autant plus que les nouveaux martyrs sont enterrés dans leur ville d’origine.

A l’inverse, cette martyrologie n’a aucun sens pour les jeunes gens qui fréquentent le rutilant centre commercial Sam, rue Fereshteh, dans le nord de Téhéran, et ils ne comprennent même pas que l’on puisse s’y intéresser. Leur petit coin d’éden est bien différent: c’est un coffee-shop où l’on imite le style garage de Los Angeles, avec tuyauterie apparente et où aucune chaise ne ressemble à sa voisine. A l’entrée, les gardes privés remplacent les miliciens. C’est aussi le paradis des nez refaits - au moins 60% des filles sont passées chez un chirurgien esthétique qui leur a donné une forme d’appendice assez reconnaissable.

Régulièrement, les foulards tombent sur les épaules pour quelques poignées de secondes, voire de minutes, des filles qui se glissent sur la petite terrasse pour fumer. Est-ce un jeu, un défi, une forme de résistance? «L’obligation du foulard, c’est ce qui me pèse le plus. Ensuite, c’est la pollution de Téhéran. Et, en troisième, l’absence de libertés», répond Shoukoufe, une jolie fausse blonde de 27 ans, professeure d’anglais.

La très relative permissivité dont elle et ses copines bénéficient est à mettre au crédit du président, Hassan Rohani. «Ça va mieux avec lui. Les bassidji continuent de faire irruption dans les soirées, cela vient d’arriver à une de mes copines, mais moins fréquemment. Et la différence, aussi, c’est que, quand ils nous arrêtent, ils ne nous mettent plus les menottes.»

J.-P. Perrin/© Libération

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