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Histoire vivante

Antonio Guterres, porteur d’espoir

Le 1er janvier, le Portugais Antonio Guterres sera le nouveau secrétaire général des Nations Unies. Son portrait.


 Kessava Packiry

Kessava Packiry

23 décembre 2016 à 05:00

Migrations »   Jour J-10 pour Antonio Guterres. Le 1er janvier, cet ancien premier ministre du Portugal, âgé de 67 ans, prendra concrètement la tête de l’Organisation des Nations Unies (ONU), succédant au Sud-Coréen Ban Ki-moon, qui s’en va après deux mandats de cinq ans.

Antonio Guterres ne manquera pas de travail. Ancien patron du HCR, l’agence onusienne pour les réfugiés (de 2005 à 2015), il sera particulièrement attendu sur les questions migratoires. S’il a noué de très bonnes relations avec les organisations non gouvernementales durant son mandat au HCR, ces mêmes ONG attendent désormais beaucoup de lui, en gardant la prudence de ne pas le dire ouvertement.

Réformes en profondeur

«Le Conseil de sécurité a choisi un défenseur fervent et efficace des réfugiés qui a le potentiel d’adopter un ton radicalement différent sur les droits de l’homme en cette période de grands défis», disait récemment à Libération Louis Charbonneau, en charge des questions onusiennes au sein de Human Rights Watch. Antonio Guterres sera toutefois «jugé sur sa capacité à tenir tête aux puissances qui l’ont choisi, que ce soit sur la Syrie, le Yémen, le Soudan du Sud, la crise des réfugiés ou le changement climatique», insiste Louis Charbonneau.

Formellement investi il y a quelques jours par l’Assemblée générale de l’ONU, l’ancien premier ministre socialiste a évoqué des réformes en profondeur. Il entend ainsi mettre l’accent sur la prévention des conflits et une diplomatie plus active. Et il n’a pas renié ses années d’engagements en faveur des droits des migrants. Lors de sa campagne, il avait été plutôt clair sur la question: «La migration doit être une option, pas un acte de désespoir!» Ce polyglotte, qui maîtrise le français, l’espagnol et l’anglais, n’a certainement pas oublié que durant son mandat à la tête du HCR le nombre de personnes déplacées dans le monde est passé de 38 millions à 60 millions.

Une crédibilité

«Il a une sensibilité et une crédibilité particulières qui le légitimeront lorsqu’il interpellera les dirigeants internationaux à assumer leurs responsabilités, qu’ils soient dans les pays d’origine, sur les routes migratoires ou dans les pays d’arrivée», avance Beat Wagner, chef de la communication à la Croix-Rouge Suisse. Mais Ban Ki-moon n’a pas démérité, insiste-t-il. «En 2015, il s’était montré très préoccupé par le sort des migrants bloqués en mer d’Andaman et avait mis les pays concernés face à leurs responsabilités.» Toutefois, avec Antonio Guterres, les organisations comme la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge savent qu’il faudra intensifier désormais la collaboration au niveau mondial. «Nous allons très certainement tendre vers des améliorations, mais pas des solutions: ce serait trop demander…»

Porte-parole d’Amnesty International Suisse, Alain Bovard s’en réjouit aussi: «Son expérience démontre une certaine sensibilité par rapport au thème des réfugiés et de la migration en général.» Il ajoute toutefois: «Nous attendons du nouveau secrétaire général plus de transparence, mais aussi plus de fermeté. Il se devra d’être un interlocuteur attentif, solide et qui ne se laisse pas impressionner. Son prédécesseur était beaucoup trop soumis au Conseil de sécurité (représenté par les cinq pays qui détiennent le droit de veto, ndlr). Il a fallu des semaines pour obtenir de la Chine et de la Russie qu’elles n’utilisent pas leur droit de veto à une résolution sur l’évacuation d’Alep. La décision a finalement été prise alors qu’il n’y avait pratiquement plus d’enjeu, donc beaucoup trop tard! On dit qu’Antonio Guterres entend réformer ce droit de veto: ce serait une bonne chose.»

Partage du fardeau

Mais Antonio Guterres, même à la tête de 193 Etats membres, peut-il influer sur le sort de millions de migrants? «Il serait bon qu’il soit notamment à l’écoute des propositions des ONG, soulève Alain Bovard. Amnesty par exemple prône un partage du fardeau: qu’un maximum de pays se décident à accueillir des réfugiés, ne serait-ce que pour décharger les autres. Il n’est pas normal que 80% des près de 5 millions de réfugiés syriens se retrouvent dans les cinq pays voisins. Ce partage du fardeau pourrait se faire en fonction d’une clef de répartition, basée par exemple sur la population du pays, son produit national brut, son taux de chômage… Ce sont des choses à définir, mais nous osons croire que nous pourrions avoir l’écoute du nouveau secrétaire général pour esquisser des solutions.»


 

Fridtjof Nansen, un explorateur, un sportif, mais aussi un humanitaire

Alors que, depuis 61 ans, le Prix Nansen récompense les efforts des citoyens venant en aide aux réfugiés, le parcours du Norvégien Fridtjof Nansen (1861-1930) – scientifique, sportif et humanitaire accompli – reste méconnu du grand public. Marit Fosse, sa compatriote, dépoussière dans un ouvrage préfacé par Antonio Guterres l’histoire de celui qui venait en aide aux prisonniers de guerre.

Qu’avez-vous découvert au sujet de Fridtjof Nansen?

Marit Fosse: La Norvège ne fait pas vraiment la publicité des exploits de Nansen l’humanitaire et, comme tout le monde au pays, je connaissais surtout son travail d’explorateur du Pôle Nord. Au fil des recherches m’est apparu un homme épris d’une réelle empathie pour son prochain en souffrance. A son époque déjà, aussi bien l’Europe que le Moyen-Orient et l’Asie-Mineure étaient secoués par la crise des réfugiés. En cause, la Première Guerre mondiale et la révolution russe, avec leurs lots de prisonniers de guerre, de déportés et de réfugiés.

Votre livre retrace l’histoire de Nansen mais aussi celle des traités politiques de son époque. Pourquoi ce choix?

Plusieurs conflits armés de nos jours sont les conséquences du Traité de Versailles signé en 1919. Ces décisions prises par quatre grandes puissances – la France, l’Italie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis – le furent sans la consultation préalable des populations concernées, semant ainsi les graines des conflits actuels.

Quelles sont les similitudes entre la crise humanitaire d’antan et celle d’aujourd’hui?

L’une des similitudes s’articule autour du besoin universel en neutralité, impartialité et indépendance des médiateurs. Ses actions passées d’aide à la Russie, en proie à la famine, avaient fait de Nansen un interlocuteur crédible auprès des nouvelles autorités russes, les bolcheviks. C’est pourquoi il a été choisi, en 1920, par la Société des Nations pour négocier le rapatriement de 1,5 million de prisonniers de guerre russes. Une mission non rémunérée, confiée à un homme qui voyageait en 3e classe, se logeait dans les hôtels les moins chers, et qui tapait à toutes les portes pour réunir les sommes nécessaires à son secours humanitaire.

Quelle est l’initiative de Nansen qui a eu le plus grand impact?

C’est sans aucun doute la création d’un papier d’identité, connu sous le nom de «passeport Nansen» et accepté par plus de cinquante gouvernements. Entre les années 1922 et 1945, ce document a permis la libre circulation et l’intégration de près d’un demi-million d’apatrides dépouillés de leur identité et de leurs biens. Parmi eux, les compositeurs Rachmaninov et Stravinski, le photographe Robert Capa, le peintre Marc Chagall… Il a, par ailleurs, valu le Prix Nobel de la paix à Nansen l’année même de sa création.

La gestion de la crise humanitaire d’aujourd’hui est différente de celle des années 1920?

La particularité de la crise actuelle réside dans la réglementation de l’aide humanitaire, qui souvent empêche ou dissuade les initiatives personnelles des citoyens. Pourtant, il y a beaucoup de gens qui voudraient secourir bénévolement ceux qui ont tout perdu. Konstantinos Mitragas et Efi Latsoudi, les lauréats conjoints du Prix Nansen 2016, en sont les preuves. Ils aident les réfugiés arrivés en Grèce. Ces gens, avant d’être Syriens, Afghans, Irakiens, etc., sont avant tout des êtres humains qui fuient la guerre. Secourir ceux qui veulent survivre ne doit pas être puni par la loi.

Antonio Guterres pourrait-il être le nouveau Nansen?

Seul l’avenir nous le dira. Quant à moi, je crois en cet homme, et j’espère qu’il arrivera à fédérer les gens autour de lui pour venir en aide aux populations démunies. Anna Aznaour

 

Marit Fosse et John Fox, Nansen: explorateur et humanitaire, France, 
Le Scribe – l’Harmattan, octobre 2016.

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