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Histoire vivante

L’interminable exode des Portugais

Depuis 60 ans, la dictature, les crises économiques et les conflits ont poussé les Portugais à l’émigration


 Pascal Fleury

Pascal Fleury

26 novembre 2021 à 02:01

Temps de lecture : 1 min

Migration » Paradis des touristes et des retraités, le Portugal séduit par sa beauté, son climat, sa culture et son patrimoine extraordinaire. Mais ce fier pays d’Europe ouvert sur la mer, cet ancien empire, a dû être abandonné depuis 60 ans par des millions de Portugais. Aujourd’hui encore, malgré une tendance au retour au pays, leur diaspora reste très importante, en particulier en France et en Suisse. Comment expliquer une émigration si massive, et pourquoi perdure-t-elle alors que sa cause principale, la dictature, a pris fin en 1974? Les explications de l’historien Victor Pereira, chercheur à l’Institut d’histoire contemporaine de l’Université nouvelle de Lisbonne.

Les Portugais sont un peuple de voyageurs. Quand a commencé l’émigration portugaise?

Victor Pereira: L’émigration débute à l’époque des grandes découvertes, aux XVe et XVIe siècles. Le Portugal met en place tout un réseau d’administrateurs, de militaires et de commerçants dans les comptoirs d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. L’émigration se poursuit durant la traite négrière, notamment vers le Brésil, où les plantations doivent être gérées. Au XIXe siècle, alors que 50 millions d’Européens émigrent vers les Amériques, les Portugais sont des centaines de milliers à rejoindre le Brésil.

Le dernier boom de l’émigration portugaise a lieu dans les années 1960. Quels ont été les éléments déclencheurs?

Après la Seconde Guerre mondiale, l’«Etat nouveau» du dictateur Antonio de Oliveira Salazar connaît une explosion démographique, mais peine à créer de l’emploi. Il se retrouve bientôt parmi les pays les plus pauvres d’Europe, alors que plus de 40% de la population vit encore d’une agriculture très peu mécanisée. Pour fuir la misère, les Portugais émigrent en masse. Les opposants politiques, qui voient que la dictature délaisse les plus pauvres au profit des nantis, prennent le même chemin. A ce flot de migrants s’ajoutent, dès 1961, de nombreux jeunes réfractaires et déserteurs qui cherchent à échapper aux guerres coloniales au Mozambique, en Angola et en Guinée-Bissau. Tous ces migrants sont accueillis à bras ouverts dans les pays européens qui ont besoin d’une main-d’œuvre peu qualifiée, en ces années de boom économique. Entre 1957 et 1974, ce ne sont pas moins de 1,4 million de Portugais qui émigrent vers l’Europe, dont 900’000 vers la France.

1,4

million de Portugais ont émigré entre 1957 et 1974

Cette émigration a-t-elle été souhaitée par le régime dictatorial?

Oui et non: la dictature a été très ambiguë. D’un côté, l’Etat limitait la concession des passeports. De l’autre, il savait que ces émigrés envoyaient une partie de leurs économies au pays et que leur départ vidait les campagnes des excédents de travailleurs. De fait, les deux tiers des Portugais ont rejoint la France irrégulièrement. Les émigrés devaient payer des passeurs, traverser toute l’Espagne cachés dans des camions et franchir les Pyrénées à pied. Un voyage très éprouvant. Le gouvernement limitait les sorties surtout pour des raisons politiques. Car cette émigration massive entachait l’image de la dictature. Emigrer, c’était voter par les pieds. L’ambassadeur du Portugal en France s’en est plaint au dictateur: 14’000 Portugais s’entassaient dans des bidonvilles boueux autour de Paris, en particulier à Champigny-sur-Marne, donnant une très mauvaise image du Portugal.

Que risquaient les émigrés en fuyant leur pays?

Dès 1961, toute personne qui quitte le Portugal sans passeport en règle encourt jusqu’à deux ans de prison. Mais étonnamment, la police politique – la très redoutée PIDE – ne verrouille pas les frontières. La dictature trahit même une position ambivalente vis-à-vis des opposants politiques. Certains d’entre eux reçoivent un passeport touristique, notamment Mario Soares, qui deviendra plus tard président de la République portugaise. Les militants clandestins du Parti communiste constituent leur propre réseau de passeurs. Ceux qui prennent le plus de risques, finalement, ce sont les déserteurs et réfractaires. Ils risquaient des peines militaires sévères.

La France devient vite le principal pays d’accueil, ouvrant ses frontières à tous les Portugais, même illégaux. Pourquoi?

Certains conseillers de Georges Pompidou, premier ministre à l’époque, estiment que la France a un besoin urgent de Portugais, non seulement comme main-d’œuvre dans le bâtiment, les travaux publics ou l’industrie, mais aussi pour des raisons démographiques, les Français ne faisant pas assez d’enfants. Les Portugais sont alors la dernière population blanche et catholique sur laquelle la France peut compter. Ce sont de bons travailleurs, dociles, peu syndiqués et facilement assimilables, selon les responsables politiques. Des notes internes de l’époque révèlent aussi que leur accueil visait à contrer l’arrivée de travailleurs algériens, au lendemain de l’indépendance algérienne.

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