Fascisme » «L’architecture est le plus grand de tous les arts, car il comprend tous les autres.» Benito Mussolini appréciait l’architecture et s’entourait volontiers d’architectes. «Il était ouvert à la création artistique de son temps», souligne le philosophe de l’art Philippe Sers¹. Il voyait dans l’architecture un moyen de «soutenir, accompagner et illustrer les conquêtes du fascisme engagé dans une lutte pour la suprématie mondiale».
S’emparant de l’architecture à des fins de propagande, le Duce l’exploite d’abord comme outil de légitimation du régime puis d’éducation des masses. Dans l’Etat fasciste, l’art assume une fonction sociale: «Il doit traduire l’éthique du temps. Il doit offrir une unité de style et une grandeur de principe à la façon de vivre en commun», explique le professeur d’histoire contemporaine Emilio Gentile².
Image et économie
Pour développer cette «architecture nationale», entre courant classique et mouvement futuriste, Mussolini peut compter sur des architectes comme Marcello Piacentini (palais de justice à Milan, bureau de poste à Brescia, campus de l’Université La Sapienza à Rome...), Giovanni Guerrini (palais de la civilisation italienne à Rome) ou encore Enrico del Debbio (stade des marbres et académie d’éducation physique au Foro italico).
Mais le Duce ne se contente pas de construire des édifices à la gloire du régime. Il se lance aussi dans une politique d’aménagement du territoire devant répondre aux besoins économiques du pays. Ainsi, dès la crise mondiale de 1929, il se met à fonder des villes nouvelles dans l’objectif d’une plus grande autosuffisance alimentaire ou de matières premières.
Des villes ex nihilo
Ces cités fascistes voient le jour principalement dans le Latium, au sud de Rome, où les Marais pontins sont asséchés et mis en culture dans le cadre de la «bataille de la terre» voulue par Mussolini. Entre 1932 et 1935, sept agglomérations, dont Pomezia, Aprilia et Littoria, sont créées en vue de cette «bonification agricole», de même qu’une vingtaine de villages et environ 4000 fermes. Autre fondation, Guidonia, à l’est de Rome, devient cité aéronautique. Et Sabaudia, la station balnéaire de la Ville éternelle.
Trois cités nouvelles sont également fondées dans les années 1930 en Sardaigne: Mussolinia (renommée Arborea) et Fertilia pour accueillir des travailleurs agricoles, et Carbonia, pour loger les mineurs d’un complexe charbonnier. L’écrivain Giovanni Pennachi a répertorié 143 «villes de fondation», tous types confondus, selon Le Monde.
Construites ex nihilo, ces localités adoptent la plupart un plan en étoile, avec des rues spacieuses partant d’une place centrale. Le cœur de la cité comprend la Maison du fascisme (siège du parti), un beffroi emblématique, la caserne de la milice volontaire, un bureau de poste, une école, un cinéma.
Ces villes ouvrières offrent aussi une réponse aux exigences du Duce, qui cherche la «bonification sociale» des grandes villes en refoulant les populations pauvres et indésirables vers les campagnes, comme l’analyse l’agrégée de géographie Colette Vallat³. Utopistes à bien des égards, ces fondations monolithiques vont finir par péricliter ou devenir des villes-dortoirs, comme Acilia près de Rome. Seule Littoria va tirer son épingle du jeu, devenant chef-lieu de province sous le nom de Latina et recensant actuellement 120'000 habitants.
Il y a une décennie, Littoria s’est approchée d’autres villes datant de la période du «Ventennio fascista» pour tenter de valoriser leur patrimoine architectural et environnemental. Le label de «villes de fondation» fait son chemin, mais la référence à Mussolini reste délicate.
Exposition universelle
Le projet urbanistique le plus caractéristique de l’époque fasciste reste toutefois la cité de l’Exposition universelle de Rome (EUR), une foire prévue en 1942 mais annulée en raison de la guerre. Le quartier, achevé finalement pour les Jeux olympiques de 1960, est aujourd’hui un centre d’affaires et de loisirs. Respectant le cardo (axe nord-sud) des villes antiques, il possède encore plusieurs édifices marquants de l’époque du Duce, dont le palais de la civilisation italienne, appelé Colisée carré. Un surnom parfait pour ce qui aurait dû être l’un des joyaux de la «troisième Rome» rêvée par Mussolini...
¹ Philippe Sers et Maria Adriana Giusti, Art et dictature au XXe siècle, Editions Place des Victoires, 2014.
² Emilio Gentile, La religion fasciste, Editions Perrin, 2002.
³ Colette Vallat, Villes neuves de l'Italie fasciste: usage et limites d’un outil de propagande, Histoire urbaine, 2001/2.
La Rome antique revue au bulldozer
Mussolini «le bâtisseur» a aussi été «le destructeur». Désireux d’embellir les grandes villes italiennes, dans une mise en scène fasciste mégalomane, il s’en est pris aux quartiers anciens. Pour le Duce, il fallait en particulier libérer les ruines antiques: «Tous les monuments se dresseront dans leur nécessaire solitude. Tels de grands chênes, il faut les débarrasser de toute l’obscurité qui les entoure.»
Expropriant les propriétaires, chassant manu militari les habitants indésirables et rasant des îlots entiers, Mussolini voulait rendre aux principales villes italiennes leur grandeur impériale et leur caractère élitiste. Son opération de nettoyage favorisa la spéculation immobilière. A Rome, la via della Conciliazione, face à la basilique Saint-Pierre, en est un exemple. Tout comme la via dei Fori Imperiali (photo DR), qui coupe en deux les forums pour relier le Palazzo Venezia, quartier général du Duce, au Colisée. Un saccage dévastateur, mais qui permet aujourd’hui une visite spectaculaire. PFY
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