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Histoire vivante

Les écoles Steiner sont centenaires

En 1919, les anthroposophes lançaient une formation alternative, proposée aujourd’hui dans 80 pays

La pédagogie Steiner met un accent fort sur les activités artistiques et ludiques.

 Pascal Fleury

Pascal Fleury

23 août 2019 à 04:01

Formation » Il y a cent ans, le penseur autrichien Rudolf Steiner ouvrait la première des écoles Waldorf – appelées aussi écoles Steiner – à Stuttgart, en Allemagne. Depuis, l’institut anthroposophique, dont le siège – le Goetheanum – se trouve à Dornach (SO), s’est disséminé sur les cinq continents, proposant une formation alternative à l’école publique dans environ 80 pays. Quel enseignement offrent ces écoles? Présentent-elles des tendances ésotériques ou sectaires? Comment ont-elles évolué et pourquoi ont-elles un tel succès? Les réponses du professeur Helmut Zander, directeur de la chaire d’histoire comparée des religions et du dialogue interreligieux à l’Université de Fribourg et auteur de plusieurs ouvrages sur l’anthroposophie.

Dans quel contexte la première école Waldorf est-elle née?

Helmut Zander: Sa fondation s’inscrit dans le contexte de la Révolution allemande de 1918-1919, une époque où tout était possible mais où la population était aussi en perte de repères. L’impulsion vient d’un disciple, Emil Molt, propriétaire de l’entreprise Waldorf Astoria cigarettes, à Stuttgart. Ce directeur progressiste cherchait à garantir une bonne éducation pour les enfants de ses ouvriers, avec des valeurs spirituelles. C’était un défi pour Rudolf Steiner, qui n’avait que peu de pratique pédagogique. Il avait été uniquement professeur particulier pour les garçons d’une famille juive de Vienne et n’avait écrit qu’un opuscule sur l’Education de l’enfant au point de vue de la science spirituelle.

A l’époque, Rudolf Steiner animait-il déjà une grande communauté de fidèles?

Sa Société anthroposophique existait depuis 1912 et comptait environ 9000 membres en 1919. Elle réunissait surtout des bourgeois intéressés aux questions religieuses, spirituelles et philosophiques. Steiner, qui était proche de la Société théosophique internationale depuis 1900 et farouchement opposé au matérialisme, pouvait leur offrir un cadre: une conception du monde et un sens à la vie qu’ils recherchaient. Pour lui, il était possible d’avoir accès au monde spirituel et d’en utiliser les forces. Il a appliqué ce principe d’abord dans la pédagogie, puis dans d’autres secteurs, comme la médecine ou l’agriculture. La formation proposée aujourd’hui va du jardin d’enfants à la maturité.

Quelles sont les caractéristiques de l’école version Steiner?

Sa pédagogie se veut nouvelle, réformatrice, en allemand Reformpädagogik. Elle inclut un encouragement à la coéducation entre les élèves. Elle met un accent fort sur la dimension musicale et artisanale, ainsi que sur l’esthétique et le théâtre. Et elle abolit les notes dans les premières années scolaires. Autre particularité, elle introduit l’enseignement «en époque», c’est-à-dire qu’elle veille à coordonner la matière des branches d’un point de vue historique. Pendant une année, par exemple, les élèves sont plongés dans le Moyen Age au cours d’histoire, mais aussi aux cours de langue, de littérature et d’autres branches artistiques. Une autre année, ce sera le thème de la Renaissance ou des Lumières. En arrière-plan se trouve l’idée que l’évolution de l’humanité correspond à l’évolution de l’individu. C’est du darwinisme social!

Les écoles Steiner ont aussi une dimension anthroposophique particulière…

Oui, c’est la dimension ésotérique occulte. L’existence d’un monde spirituel, tel que décrit par Rudolf Steiner, se mêle à des concepts théosophiques s’imprégnant de diverses traditions «mystiques». Pour lui, l’homme aurait au moins quatre corps: physique, éthérique, astral et, au centre, le soi, en allemand das Ich. Notre corps serait un peu comme un oignon, avec plusieurs couches. Cette conception est essentielle dans les écoles Steiner. Les anthroposophes croient aussi en la réincarnation. Selon Steiner, il est important que les enseignants connaissent l’histoire des réincarnations de leurs élèves. Pour lui, les professeurs doivent ainsi être des initiés, ils doivent être dotés de connaissances supérieures clairvoyantes. Cette dimension de la pédagogie Steiner, bien que méconnue, n’est pas cachée. Il n’y a rien de secret dans l’anthroposophie.

L’anthroposophie propose une «conception du monde». Est-ce une philosophie, une religion?

Rudolf Steiner est très clair à ce propos. L’anthroposophie n’est pas une religion, mais une méthode pour acquérir la connaissance supérieure, objective et clairvoyante. Autrement dit, l’anthroposophie serait davantage qu’une religion. Pour lui, il ne s’agit pas de croire en Dieu, mais de savoir. Pour savoir, la religion n’est pas suffisante. Steiner est profondément imprégné par l’histoire des sciences du XIXe siècle. Il pense possible d’avoir une connaissance spirituelle aussi claire et fiable que des résultats des sciences naturelles. L’anthroposophie ne se veut pas exclusive. Ses membres peuvent conserver leur foi et leur appartenance à une Eglise. Cet aspect a d’ailleurs été longtemps une source de conflit avec les Eglises protestantes et catholiques. Selon Steiner, il existe une entité spirituelle au-delà des religions, plus englobante. Dieu est trop étroit pour lui.

Comment les écoles Waldorf/Steiner ont-elles évolué en un siècle?

Il n’existe pas de recherches sur cette évolution. Mais les relations denses que j’ai pu nouer avec la Haute Ecole anthroposophique d’Alfter (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), où je donne un cours tous les deux ans, me permettent de distinguer deux tendances: l’une libérale, l’autre conservatrice. A Alfter, les enseignants ne s’intéressent plus aux réincarnations de leurs élèves. Ils préconisent une pédagogie anthroposophique sans ésotérisme. A Stuttgart, en revanche, la dimension ésotérique joue encore un rôle central, selon leurs publications. Mais je ne sais pas ce qui se passe dans la pratique. De nombreuses écoles libérales ont aussi introduit des Conseils des élèves. D’autres écoles Steiner sont restées très autoritaires. Les temps changent, mais la controverse reste vive dans le milieu.

Quel est le succès actuel des écoles Steiner?

Elles sont toujours en pleine croissance à l’échelle internationale. En Allemagne toutefois, où elles peuvent compter sur le soutien de l’Etat, elles arrivent peu à peu à saturation. En Suisse, leur croissance est limitée pour des raisons financières, ces écoles étant privées et l’écolage assez élevé.

Helmut Zander, Rudolf Steiner - Die Biographie, Ed. Piper, München, 2011.

Et Die Anthroposophie, Editions Ferdinand Schöningh, 2019.

Le 100e anniversaire de la pédagogie Steiner-Waldorf est marqué toute l’année par de nombreuses activités en Suisse et dans le monde. Une grande fête jubilaire a lieu le 19 septembre au Tempodrom de Berlin. Rens.: www.waldorf-100.org et steinerschule.ch/fr

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