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Histoire vivante

Les échecs, jeu des rois, roi des jeux

Symbole du pouvoir, le «noble jeu» a toujours fasciné les chefs d’Etat. Il n’est pas près d’être détrôné


 Pascal Fleury

Pascal Fleury

15 octobre 2020 à 20:00

Temps de lecture : 1 min

Stratégie » Qui sait jouer aux échecs est capable de gouverner le monde, dit un proverbe persan. Millénaire, le «noble jeu» est resté de tout temps un symbole de pouvoir. Il a fasciné de nombreux stratèges politiques, Edouard III d’Angleterre, Tamerlan, François Ier, Charles Quint, Catherine de Médicis, Napoléon, Lénine, Staline, Churchill ou encore Castro. Récupéré comme outil de propagande, exploité dans les arts et la publicité, il s’est popularisé mais n’est pas près d’être détrôné par les jeux vidéo. Les explications de l’historien du jeu Ulrich Schädler, directeur du Musée suisse du jeu à La Tour-de-Peilz et chercheur senior à l’Université de Fribourg.

A l’origine, le jeu d’échecs est-il un jeu de la noblesse?

Ulrich Schädler: Ses origines restent incertaines. Les échecs semblent dériver d’un jeu de stratégie indien, le chaturanga. Les Arabes ont découvert les échecs lors de la conquête de la Perse. Au IXe siècle, on trouve le jeu à la cour du calife, à Bagdad. Des savants comme al-Adli, al-Suli ou al-Razi écrivent des traités sur le sujet. Ce sont eux qui inventent les «problèmes d’échecs» que l’on voit encore dans nos journaux. Le jeu débarque ensuite du Maghreb dans les cours d’Espagne et de Sicile. Il est aussi amené de l’Est par les Vikings. En Suisse, la première trace du jeu remonterait au Xe siècle, dans un poème des moines d’Einsiedeln. L’Eglise interdisait les jeux de hasard, estimant qu’ils entraînaient une perte de contrôle des émotions et des risques de blasphèmes. Mais les religieux étaient partagés, considérant souvent les échecs comme un jeu d’esprit.

Venu d’Orient, le jeu s’adapte-t-il au contexte européen?

La figurine du roi subsiste. Mais les autres pièces de l’échiquier perso-arabo-indien sont mal comprises par les joueurs européens. Le vizir est alors remplacé par la reine, les éléphants de guerre par les fous, les chars par les tours, tandis que les cavaliers et l’infanterie (les pions) sont conservés. Des variantes sont observées dans certaines régions en fonction du système politique en place. En Angleterre, les fous deviennent des évêques. Au XIVe siècle, Jacques de Cessoles décrira le fonctionnement de la société au travers des échecs, chaque pièce ayant sa place bien définie.

Les règles évoluent à la fin du XVe siècle. La reine gagne alors énormément en mouvement?

Jusque-là, la reine ne pouvait bouger que d’une case en diagonal, et le fou sauter de deux cases. Le changement intervient vers 1490 à Valence. Le premier traité décrivant ces innovations est signé par Vicent, puis copié par Lucena en Espagne et par Damiano en Italie. Ce nouveau «pouvoir» de la reine pourrait être en lien avec le règne d’Isabelle la Catholique (1474 à 1504). De fait, au XIIIe siècle déjà, le Livre des jeux du roi Alphonse X le Sage estimait que les échecs demandaient trop de temps pour être joués. Les nouvelles règles répondent donc à un véritable besoin des joueurs. Elles se sont répandues très vite et sont toujours valables aujourd’hui.

A travers l’histoire, les échecs ont séduit de nombreux chefs d’Etat. Comment expliquez-vous pareille fascination?

Ce qui fascinait les têtes couronnées, c’était surtout la symbolique du jeu. Les échecs, qui renvoyaient à des personnages bien réels, permettaient une identification, contrairement aux vulgaires pions de la marelle ou du trictrac. L’échiquier permettait aussi une approche courtoise, comme l’évoque au XVe siècle le poème catalan Scachs d’amor (Echecs d’amour). Mais au XVIIIe siècle cette fascination décline à la suite de critiques d’intellectuels comme Montaigne, qui jugent ce jeu peu ludique, chronophage et futile. Il faudra l’arrivée d’une nouvelle génération de joueurs, à l’esprit logique et réfléchi, pour que les échecs retrouvent leur attrait. Après la Révolution française, les échecs deviennent, avec le billard, les jeux phares de la bourgeoisie.

 

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