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Histoire vivante

Les débuts d’une montagne magique

Il y a cinquante ans, le World Economic Forum ouvrait sa première session avec 450 participants


Yves Genier

Yves Genier

17 janvier 2020 à 02:01

Sommet » Le Forum économique mondial n’aurait pas dû avoir d’histoire. Sa première réunion, en janvier-février 1971, aurait aussi dû être sa dernière. «Klaus Schwab, alors jeune professeur du Centre d’études industrielles (CEI), une école de gestion d’entreprise basée à Carouge aujourd’hui intégrée à l’IMD, avait été chargé d’organiser une conférence pour célébrer les 25 ans de l’institut», se remémore l’économiste Stéphane Garelli. «Cette conférence aurait dû être unique. Or, elle a été un grand succès, si bien que son chef a proposé de la répéter. Mais les autres professeurs n’étaient pas intéressés. Il a donc quitté le Centre pour fonder ce qui s’appelait alors l’European Management Forum», poursuit celui qui en a été le directeur exécutif entre 1974 et 1987.

Et il est vrai que l’aventure a d’emblée bien marché. «Cette manifestation a atteint un niveau particulier par la qualité des exposés de représentants de milieux économiques américains et européens, des secteurs industriels et bancaires et d’entreprises dynamiques d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud, d’Asie et d’Afrique du Sud», se réjouit l’Agence télégraphique suisse dans une dépêche parue le 8 février 1971. Cette première édition avait réuni 450 participants de 31 pays.

Sans cravate

D’emblée, les principaux ingrédients du succès sont réunis: une ouverture internationale, un objectif d’excellence et le choix d’un lieu isolé. «Dans une ville comme Londres ou Paris, les gens se dispersent dès la journée terminée. A Davos, pas le choix: les participants restent ensemble, ce qui contribue à accroître les échanges», poursuit Stéphane Garelli. Autre avantage, que souligne l’ouvrage The World Economic Forum. A Partner in Shaping History, édité par le WEF: «Ce lieu de vacances favorise l’informalité.» En clair, les participants dénouent leur cravate, faisant tomber les hiérarchies.

La première décennie de ce qui s’appelait alors le «Symposium de Davos» est avant tout un lieu de rencontres entre experts de la gestion américains et grands patrons, essentiellement européens. Mais un ingrédient exerce déjà sa magie: les orateurs sont de tout premier niveau. La première année intervient George Pierce Baker, le recteur de la Harvard Business School, l’un des instituts les plus renommés au monde. Les années suivantes amèneront par exemple Olivier Giscard d’Estaing, alors directeur-général de l’école de gestion française INSEAD et frère du président français.

Communistes à Davos

Dès 1972 viennent les premiers responsables politiques, à commencer par Henry Kissinger, alors tout-puissant secrétaire d’Etat américain, et Pierre Werner, premier ministre du Luxembourg et auteur du premier rapport proposant l’instauration d’une monnaie unique européenne. Raymond Barre, alors commissaire européen, plus tard premier ministre français, apportera le patronage de ce qui était le Marché commun. La grande géopolitique y fait son entrée en 1976 avec la première venue du leader palestinien Yasser Arafat et du ministre de la Défense israélien Shimon Peres, à l’occasion d’un symposium annexe qui se tient à Montreux. Les adversaires du capitalisme sont graduellement intégrés: le premier syndicaliste s’adresse aux grands patrons dès la deuxième édition. Des Chinois dès 1979, des Soviétiques (puis Russes) dès 1986 y apportent le point de vue des pays communistes. En 1982 déjà intervient le premier président américain, Ronald Reagan, par vidéoconférence, alors une prouesse technologique. Ces leaders seront suivis par maints autres.

De l’élite au peuple

La seconde magie tient à la manière «top-down» de tenir les discussions: «Les élites réfléchissent et parlent au peuple», résume Michelle Beyeler, spécialiste du WEF et professeure à la Haute Ecole supérieure de Berne. «D’une part, une manifestation comme le WEF renforce une conscience de classe qui transcende les rivalités nationales et industrielles et embrasse la dimension globale du capitalisme. D’autre part, elle constitue un lieu privilégié pour répandre cette vision du monde aux intérêts subordonnés», écrivent Christopher Gilbert et David Vine dans la prestigieuse Princeton Encyclopaedia of the World Economy.

Pourtant, dans son fonctionnement, le WEF de ces années-là est un peu «comme une start-up», se souvient Stéphane Garelli. Mais au plan public, tout est déjà fait pour renforcer le caractère prestigieux de la manifestation en flattant ses participants: les invitations aux participants ne s’adressent qu’aux grands patrons et sont nominales et non transférables.

Limites de la croissance

Le succès ne se confirme pas d’emblée. La deuxième édition attire un tiers de participants en moins que la première: 300 personnes seulement font le déplacement de Davos. «L’effet de nouveauté s’est évanoui», note le livre d’histoire du WEF. Klaus Schwab tire par conséquent au maximum sur la corde de la surprise, de l’innovation et du débat: il invite Aurelio Peccei, ancien Partisan, ancien patron de Fiat et d’Olivetti, à présenter les thèses du Club de Rome dont il est l’un des fondateurs. Et d’exposer les thèses alors explosives des Limites à la croissance parues l’année précédente, et qui posaient les premiers jalons du développement durable.

C’est cet ensemble de qualités qui permettront au WEF d’affronter la vague de contestations populaires dès la fin des années 1990 avant de les intégrer graduellement. «Avec sa stratégie de rechercher un monde meilleur, le WEF ne peut pas perdre», souligne Michelle Beyeler. En l’occurrence, il a non seulement surmonté ses maladies de jeunesse, mais, en plus, il a réussi à intégrer toutes les oppositions.

Radio: Ve: 13h30
TV: Au cœur du Forum de DavosDi: 22h25Ma: 0h20

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