Logo

Histoire vivante

Le tunnel est toujours plus tendance

Alors que le Gothard est mis en service, des projets plus incroyables encore se profilent à l’horizon


Propos recueillis par
 Pascal Fleury

Propos recueillis par
 Pascal Fleury

9 décembre 2016 à 05:00

Transports »   Le tunnel de base du Gothard sera opérationnel dès dimanche, avec l’entrée en vigueur du nouvel horaire CFF. Son ouverture couronne 17 ans de travaux pharaoniques, l’ouvrage battant le record de longueur (57,1 km) et offrant un gain de parcours d’au moins une demi-heure à travers les Alpes.

Mais à peine ce pas de géant est-il accompli que d’autres projets de tubes ferroviaires, plus incroyables encore, se profilent à l’horizon: traversée de la mer de Bohai en Chine (123 km), passage des détroits de Gibraltar ou de Behring, tunnel amphibie en Norvège, tube Hyperloop en Californie et même Swissmetro qui renaît de ses cendres.

Ces projets, et bien d’autres plus conventionnels (Brenner, Mont-d’Ambin...), confirment une tendance à faire appel aux tunnels pour augmenter les capacités et raccourcir les distances. Jusqu’où ira-t-on? L’avis de Nicolas Steinmann, ingénieur auprès d’Alptransit Gothard et coauteur, avec le photographe Maurice Schobinger, d’un livre* sur le tunnel.

Les tunnels ferroviaires sont
tendance. Après le Gothard, la Suisse a-t-elle d’autres projets?

Nicolas Steinmann: La première étape de la Nouvelle ligne ferroviaire alpine (NLFA) s’achèvera avec la mise en service commerciale du tunnel de base du Monte Ceneri, en décembre 2020. Mais d’autres tunnels sont déjà planifiés sur l’axe Zurich-Lugano. Un embranchement souterrain a d’ailleurs été réalisé au Gothard pour permettre de prolonger le tunnel de plus de 20 km sous la montagne de l’Axen, côté nord. Son coût est estimé entre 3 et 4 milliards de francs. Une prolongation du tunnel du Zimmerberg en direction de Zoug, et un tunnel de 7 km sous l’Urmiberg, dans le canton de Schwyz, sont aussi prévus. Il y a du travail pour des dizaines d’années! Mais ces modules ne seront réalisés que s’il y a nécessité d’augmenter les capacités de transport, que s’il y a volonté politique et que si le financement peut être assuré.

Au final, quelle part de l’axe nord-sud pourrait être enterrée?

Environ trois quarts du parcours seraient souterrains. Ceci afin de s’affranchir des pentes ainsi que des détours dus à la topologie montagneuse de la région traversée, entre Thalwil et Lugano. La proportion des tronçons souterrains pourrait même atteindre 85% si la variante «montagne» du tunnel de l’Axen était directement raccordée au tunnel de base. On aurait alors un maxi-tunnel de base Axen-Gothard d’une longueur avoisinant les 80 kilomètres!

Un cheminement en tunnel 
rectiligne et sécurisé permet aussi d’aller vite pour raccourcir les temps de parcours…

Dans le tunnel de base, les trains voyageurs peuvent faire du 200 km/h. Mais la vitesse n’est pas l’objectif premier du Gothard, qui se veut d’abord un axe de transit pour les marchandises. En fait, les deux types de trafics sont antinomiques. Pour l’heure, il n’existe pas de locomotives pouvant tracter des trains de marchandises de 2200 tonnes à la même vitesse que les trains voyageurs. Or plus la différence de vitesse est grande entre deux convois, plus la capacité de la ligne diminue. Dans l’Eurotunnel, où l’on roule entre 120 et 160 km/h, 450 trains peuvent passer par jour. Au Gothard, avec un spectre de vitesses variant entre 100 et 200 km/h, on passera au mieux 300 trains par jour. En fait, l’objectif n’est pas de baisser la capacité, mais bien de faire passer plus de marchandises par le rail.

Des tubes comme Swissmetro, qui ressort des tiroirs, ou l’Hyperloop d’Elon Musk en Californie, annoncent des pointes de 500, respectivement 1200 km/h. L’avenir des transports à haute vitesse passe-t-il par le tunnel?

En tout cas pas pour le transfert de fret, pas plus d’ailleurs que l’avion n’a détrôné le bateau cargo. C’est une question d’énergie, donc de coûts. Pour les passagers, cela peut avoir du sens en concurrence de l’avion. Mais je n’en vois pas le besoin à l’échelle de la Suisse avec Swissmetro. L’Allemagne avait lancé la réflexion avec son monorail Transrapid à lévitation magnétique (maglev). Les investissements sont énormes et nécessitent des sites dédiés. Le projet a été arrêté. A Shanghai, la première ligne maglev commerciale (30 km) n’a jamais été rentable. Certains projets pilotes de prestige restent imaginables. Mais un déplacement dans un tube avec vide partiel utilise-t-il moins d’énergie qu’un transfert par avion? Cela reste à démontrer par un bilan écologique prenant en compte tous les aspects.

Les tunnels peuvent aussi 
faciliter les liaisons entre îles 
ou continents, à l’instar de l’Eurotunnel sous la Manche ou du Marmaray sous le Bosphore. 
Au XIXe siècle, on parlait déjà d’un tunnel sous l’Atlantique...

Tous les axes de transit importants inspirent des projets, que ce soit à Gibraltar, dans les pays nordiques ou dans le détroit de Behring. Pour ce dernier projet, une plateforme scientifique veut stimuler la réflexion et la recherche. A l’Ecole d’ingénieurs de Fribourg, j’ai d’ailleurs suivi un étudiant qui a fait une étude sur l’alimentation électrique de ce tube ferroviaire de plus de 100 km. La traversée de l’Atlantique par tunnel, en revanche, pourrait bien rester une utopie. Le projet serait extrêmement cher. Et ce serait très difficile d’intervenir en cas d’accident... Un peu comme dans l’espace!

* Maurice Schobinger, Nicolas Steinmann et Pierre Starobinski, 
Le Tunnel, Editions Till Schaap, 2016


 

Les prouesses du Gothard intéressent le monde

Les innovations appliquées sur le chantier du Gothard peuvent être d’une grande utilité pour de nombreux autres projets de tunnels à travers la planète.

Véritable exploit de la science et de la technologie, le Gothard a induit des innovations remarquables qui suscitent désormais l’intérêt des promoteurs d’autres tunnels. «Alptransit Gothard et nombre de nos partenaires – bureaux d’études ou entreprises – sont bombardés de demandes», affirme l’ingénieur Nicolas Steinmann. Ainsi, par exemple, la technique de renforcement de la roche à l’aide d’anneaux érectiles, mise au point pour franchir le massif intermédiaire du Tavetsch où les conditions géologiques étaient très mauvaises, pourrait être reprise ailleurs.

La méthode de mensuration développée au Gothard, combinant différents systèmes de mesure hautement précis, pourrait aussi être utile sur d’autres chantiers complexes. Tout comme la gestion écologique et durable de la roche excavée, transformée en partie en béton sur place. Quant au modèle d’affaires à succès d’Alptransit, il intéresse aussi à l’étranger. Des échanges ont d’ailleurs lieu avec la Société du Grand Paris, appelée à renouveler la grande ceinture ferroviaire de la capitale française. PFY

 

Histoire vivante sur la RTS

Tunnel du Gothard - chantier du siècle
 (doc TV) di: 21h05 et lu: 22h55

Gothard (fiction) lu: 20h45, RTS1

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus

Hiver 1954. La femme sans qui l’œuvre de l'abbé Pierre n’aurait jamais existé

Il y a 70 ans, le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait son vibrant appel radiodiffusé en faveur des sans-abri qui mouraient de froid en France. Son «insurrection de la bonté» n’aurait pas été possible sans le soutien extraordinaire d’une femme, Lucie Coutaz. Cofondatrice et directrice administrative du mouvement Emmaüs, elle a été son alter ego durant 40 ans. Portrait.