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Histoire vivante

Le réchauffement de la guerre froide

Histoire vivante >> Le tout récent accord, entre Russes et Américains, instaurant une trêve en Syrie ne doit pas faire illusion. Les positions de fond entre les deux puissances restent fortement divergentes sur nombre de crises internationales.


 Veronika Dorman

Veronika Dorman

16 septembre 2016 à 07:00

En début d’année, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait prévenu: quand les intérêts de Moscou seront en jeu, il n’y aura plus de politique de conciliation avec l’Occident. Depuis, les relations entre les deux grandes puissances militaires connaissent hauts et bas. Dans ce contexte de tensions croissantes entre Moscou et Washington, l’Alliance atlantique (OTAN) est plus que jamais, selon le Kremlin, l’instrument de politique étrangère des Etats-Unis. Décryptage.

1 Des incidents 
à répétition

Les rencontres «fortuites» entre chasseurs russes et américains se sont multipliées cette année. Le 29 avril dernier, un chasseur Soukhoï 27 frôlait un avion de reconnaissance de l’US Air Force qui survolait la mer Baltique. Le 17 avril déjà, un incident identique était survenu dans la même région. Et le 12, toujours dans la mer Baltique, deux bombardiers Soukhoï 24 avaient brusquement plongé vers le destroyer américain USS Donald Cook.

Moscou n’a de son côté pas apprécié le déploiement annoncé par Washington de forces supplémentaires en Europe de l’Est à partir de février 2017, pas plus que l’opération «Spring Storm», lancée en mai dernier en Estonie, près de la frontière russe. La Russie considère enfin comme «une menace» le déploiement d’un nouveau bouclier antimissile américain en Pologne et en Roumanie.

2 Un «ordre ancien» désormais détruit

Pour «contrecarrer le renforcement des troupes de l’OTAN», le Ministère russe de la défense va créer d’ici la fin de l’année trois nouvelles divisions militaires dans l’ouest et le sud du pays, soit déployer près de 30 000 hommes sur ses frontières occidentales. «C’est le rétablissement d’une confrontation militaire après une trêve de vingt-cinq ans, mais pas encore une escalade dramatique, analyse Dmitri Trenine, directeur du centre Carnegie Moscou.

La Russie se défend d’être à l’origine des tensions renouvelées. «L’OTAN est occupée à se chercher un ennemi pour donner un sens à son existence, mais la Russie n’a pas l’intention de se laisser attirer dans une confrontation insensée», martèle Sergueï Lavrov.

Pourtant, Moscou s’efforce de tenir tête à Washington et à ses alliés, tout en cherchant à sortir de l’isolement dans lequel son ingérence en Ukraine l’a plongé. Mais l’annexion de la Crimée (mars 2014) et le conflit dans le Donbass (est de l’Ukraine), provoqué et nourri, selon l’Occident, par le Kremlin, ont détruit l’ordre européen des vingt-cinq dernières années.

3 La rhétorique guerrière

En intervenant en Syrie, à l’automne 2015, la Russie a défié l’hégémonie américaine. La campagne syrienne a moins été entreprise par Moscou pour porter secours au régime de Damas que pour se frayer un retour sur le devant de la scène, en obligeant les Etats-Unis à reconnaître le statut de grande puissance de la Russie. Car pour le Kremlin, il n’y a qu’un adversaire à sa hauteur: la Maison-Blanche. «Il n’y a qu’une grande puissance aujourd’hui qui décide de l’importance d’un interlocuteur, et ce sont les Etats-Unis», avance Fedor Loukianov, président du Conseil pour la politique étrangère et de défense. Rhétorique guerrière, course à l’armement… la confrontation renouvelée entre l’Est et l’Ouest peut-elle pour autant être qualifiée de guerre froide? «La confrontation actuelle est asymétrique, à l’avantage de l’Occident, et donc très instable, imprévisible. Le problème, c’est que les Etats-Unis traitent la Russie comme si elle n’était pas une puissance nucléaire, car cela reviendrait à entrer dans son jeu de chantage. Sauf que cette logique ne satisfait pas Poutine qui, lui, est tout à fait prêt à brandir l’arme nucléaire», souligne Dmitri Trenine.

4 L’erreur de Barack Obama

Le fameux «reset», le «redémarrage», proposé en 2009 par la Maison-Blanche pour tourner la page de la crise en Géorgie et établir de nouvelles relations avec Moscou, est définitivement révolu. Depuis, la Russie a annexé la Crimée, soutenu les rebelles pro-russes du Donbass ukrainien et elle continue d’aider le régime de Bachar al-Assad à liquider les rebelles syriens.

Pour nombre d’observateurs, Barack Obama (comme George W. Bush avant lui) a sous-estimé les ambitions du chef du Kremlin. Derrière le laisser-faire supposé du président américain face à son homologue russe, certains voient aussi une sorte d’effet collatéral de l’accord sur le programme nucléaire avec l’Iran, que le président considère comme son principal succès diplomatique.

5 Faire marche
arrière?

Face aux provocations de Moscou, le ton a toutefois changé au sein de l’Administration américaine. Conséquence concrète: la Maison-Blanche a décidé de quadrupler la part du budget de la défense dédiée à l’Europe, qui va passer de 789 millions de dollars cette année à 3,4 milliards en 2017. Baptisé «European Reassurance Initiative», ce plan prévoit le déploiement d’une brigade blindée en Europe de l’Est, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide. Six pays (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Bulgarie et Roumanie) accueilleront ces moyens supplémentaires: tanks, véhicules blindés et 4200 soldats américains qui s’ajouteront aux 62 000 hommes stationnés en permanence en Europe. © Libération


 

Le temps (ancien) de la guerre des espions

Le retour récent d’un climat de guerre froide, entre Américains et Russes, implique des moyens considérables en matière d’espionnage. Mais celui-ci n’a plus grand-chose à voir avec l’époque des «espions venus du froid», selon l’expression liée au fameux roman de John le Carré. Pendant un demi-siècle environ, l’espionnage et la diplomatie secrète furent, en effet, des armes majeures dans les mains des services secrets américains et russes.

C’est cette histoire, cette guerre souterraine et idéologique menée au travers de toute la planète que retrace le documentaire de David Muntaner, KGB-CIA, au corps à corps (2015), diffusé dimanche soir sur RTS2. A l’image de la recherche spatiale, le film montre comment les Américains sont partis avec beaucoup de retard sur l’URSS en matière d’espionnage. Rapidement, pourtant, les Etats-Unis comblèrent leur retard pour développer les plus puissants services de renseignements au monde.

Dès la Libération, en 1945, cette guerre d’influence s’intensifia au point d’ébranler un pays comme la République fédérale allemande, dont le chancelier Willy Brandt fut contraint à la démission, suite à un scandale retentissant: une affaire d’espionnage dans les plus hautes sphères de l’Etat au profit de l’Allemagne de l’Est (affaire Günter Guillaume). Cela se passait en 1974. Paradoxalement, 15 ans plus tard à peine, la chute du Mur de Berlin symbolisa, elle aussi, la défaite de l’espionnage né avec l’ère du communisme triomphant. PAB


 

«Montrer les muscles» à Poutine

Les Américains l’affirment: muscler les forces de l’OTAN à proximité de la Russie vise d’abord à dissuader Moscou de toute velléité d’agression dans les pays Baltes.

«C’est une réponse à long terme à l’évolution de l’environnement sécuritaire en Europe. Cela reflète une situation nouvelle, où la Russie est devenue un acteur plus difficile», confiait récemment un officiel américain au New York Times. Pour Matthew Kroenig, ancien conseiller au Pentagone, il est essentiel de «faire comprendre très clairement à Poutine que l’OTAN a les capacités de défendre ses membres d’Europe de l’Est». Outre le déploiement d’hommes et d’artillerie, ce professeur à Georgetown plaide pour «des déclarations publiques réaffirmant que l’OTAN est une alliance nucléaire, et que si la Russie décidait d’utiliser une bombe nucléaire, l’OTAN pourrait ­répliquer».

Au cœur des tensions entre Washington et Moscou, qui la perçoit comme une menace existentielle, l’OTAN s’est aussi invitée dans la campagne présidentielle américaine. Hillary Clinton, architecte du «reset» raté avec la Russie, plaide désormais pour un renforcement de l’Alliance atlantique. Donald Trump, lui, la juge obsolète et estime que les Etats-Unis assument une part démesurée de son coût de fonctionnement. Le favori républicain, jamais avare de compliments à l’égard de Vladimir Poutine, plaide en outre pour un apaisement des tensions avec Moscou.

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