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Histoire vivante

Le couple qui chassait les nazis

Beate et Serge Klarsfeld ont consacré leur vie à retrouver et à faire juger les responsables de la Shoah


 Catherine Mallaval

Catherine Mallaval

29 décembre 2017 à 05:00

Exposition »   Métro Porte de Saint-Cloud, le 11 mai 1960. Un homme, une femme, un coup de foudre. Lui, c’est Serge Klarsfeld, né en 1935 à Bucarest, Roumanie. Elle s’appelle Beate Künzel, née en 1939 à Berlin. Serge raconte ainsi cette rencontre aussi fortuite qu’électrique: «Elle portait une robe bleue serrée à la taille […]. Sa silhouette me plaisait et quand elle s’est retournée, son visage m’a paru clair et énergique.» Ce 11 mai, se produit un autre événement comme en écho à leur destin: des agents du Mossad capturent Adolf Eichmann en Argentine où le criminel de guerre nazi vivait depuis dix ans caché sous le nom de Riccardo Klement. Beate Künzel épouse Serge Klarsfeld trois ans plus tard. Dès lors, le couple franco-allemand va, sans relâche, unir ses forces pour que nul n’oublie les crimes nazis.

Aujourd’hui, Serge Klarsfeld a 82 ans, Beate 78. Ensemble, un matin de décembre, ils ont arpenté l’exposition que leur consacre le Mémorial de la Shoah, à Paris.

Deux enfants de la guerre

Serge, c’est l’histoire d’un gosse ballotté entre la Roumanie et la France, avide de lecture et gourmand d’histoire. En 1939, il a 4 ans quand Arno, son père, de nationalité roumaine, s’engage dans l’armée française pour combattre les nazis. Il est fait prisonnier en juin 1940, s’évade en 1941, rejoint sa famille: Raïssa sa femme, ses enfants Georgette et Serge qui ont trouvé refuge à Nice. Dans la nuit du 30 septembre 1943, les SS viennent les arrêter. Arno réussit à cacher femme et enfants dans une armoire à double fond et se livre. Transfert à Drancy, déportation à Auschwitz-Birkenau, il meurt durant l'été 1944. «Serge a été très marqué par la disparition de son père pour lequel il avait une grande dévotion», insiste le commissaire de l’exposition, l’historien Olivier Lalieu. Quand, durant sa scolarité, il doit remplir la case «profession du père», il ne manque jamais d’écrire: mort en déportation.

Beate Künzel, elle, vient au monde alors qu’Hitler est au pouvoir depuis six ans. Son père Kurt, employé d’assurances, est mobilisé comme fantassin sur plusieurs fronts avant d’être affecté, en 1941, à la comptabilité dans la Wehrmacht. A la fin de la guerre, dans Berlin ravagé, la famille, dont l’appartement a été détruit, tente de se reconstruire. Kurt enchaîne les boulots, sa femme Helene, mère au foyer, fait des ménages. Quotidien rude. Fille unique, Beate attend impatiemment ses 21 ans, l’âge de la majorité, pour filer à Paris comme jeune fille au pair.

Le point commun des deux jeunes gens? «Sans doute leur côté aventurier», analyse Olivier Lalieu. Le couple a tôt l’engagement chevillé au corps. En 1965, alors que Beate attend son premier enfant, le duo se rend à Auschwitz-Birkenau où le père de Serge est mort. Leur fils est aussi nommé Arno, comme le veut la tradition juive.

Une gifle historique

Un an plus tard, en Allemagne de l’Ouest, Kurt Georg Kiesinger, figure de l’Union chrétienne démocrate (CDU), est élu chancelier au sein d’une coalition avec le Parti social démocrate, le SPD. L’homme fut directeur adjoint au sein de la propagande radiophonique du Reich vers l’étranger. L’écrivain Günter Grass s’emporte. Un incendie s’allume aussi dans la tête des Klarsfeld. Beate la révoltée publie une tribune contre Kiesinger dans le journal Combat. Deux autres suivent. Une guerre est déclarée. Beate Klarsfeld est renvoyée pour «faute grave» de l’Office franco-allemand pour la jeunesse, où elle est secrétaire.

Le combat du couple (qui soutient le SPD et Willy Brandt) contre l’ancien haut fonctionnaire nazi va connaître son apothéose en 1968. Le 2 avril, en pleine séance du Parlement à Bonn, Beate la téméraire interrompt un discours du chancelier pour crier «Kiesinger nazi, démissionne», avant d’être expulsée. En Allemagne et en France (aux côtés d’Alain Krivine, Daniel Cohn-Bendit…), elle devient l’une des figures des mouvements étudiants. Et promet publiquement, en bonne adepte des techniques de l’agit-prop d’extrême gauche, de gifler le chancelier allemand. Coup d’éclat, elle y parvient en novembre lors d’un congrès de la CDU. Bilan: un an de prison ferme finalement ramené à quatre mois avec sursis. Cette gifle frappe l’opinion. «Bien sûr que je me souviens de cette gifle. Elle a été très importante pour nous, car elle a marqué le début de l’épuration politique. C’est un acte fondateur», assène encore aujourd’hui Beate Klarsfeld.

Nouvelle affaire en 1979: Kurt Lischka, responsable de l’arrestation et de la déportation de milliers de Juifs français, Herbert Hagen, organisateur de rafles à Bordeaux puis à Paris, et Ernst Heinrichson, qui a participé à la rafle du Vélodrome d’Hiver en juillet 1942, comparaissent devant la cour d’assises de Cologne. Depuis 1971, à la grande satisfaction des Klarsfeld, une nouvelle loi permet que soient jugés en Allemagne des criminels responsables de l’appareil policier nazi en France pendant la guerre.

Dignitaires condamnés

L’instruction du procès de Cologne a duré trois ans et demi. Inlassablement, l’avocat Serge Klarsfeld a épluché des dossiers et écumé des archives. 250 représentants de Juifs déportés depuis la France se sont portés parties civiles au côté de l’avocat. Durant les 32 audiences du procès, 3000 Juifs de France se succèdent à Cologne. Verdict en 1980: Lischka est condamné à dix ans de détention, Hagen à douze, et Heinrichson à six. Justice est faite.

Entre-temps, Serge Klarsfeld et son épouse ont publié le Mémorial de la déportation des Juifs de France rédigé à partir de la liste des déportés (76 000), classés par convois. Une pièce maîtresse avant le procès de Cologne. Un travail de fourmi et de fond qui sera enrichi et republié en 2012 (l’ouvrage pèse 7 kg). Plus tard, en 1994, suit le Mémorial des enfants juifs déportés de France dans lequel l’avocat s’est échiné à retrouver la photo et l’identité de chacun des 11 000 enfants envoyés vers la mort.

«On voit souvent le couple Klarsfeld comme l’incarnation des chasseurs de nazis. Ce n’est qu’une partie de son combat», précise le commissaire de l’exposition. Dénonciation de l’antisémitisme, défense d’Israël et de la paix avec les pays arabes… Ces combattants sont infatigables. En 1995, encore une victoire: lors du 53e anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv, le président Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de l’Etat français dans la déportation et l’extermination de Juifs durant la guerre.

Que reste-t-il de toutes ces années? Des regrets? Serge Klarsfeld: «Aucun. Nous avons une vie heureuse, deux enfants, trois petits-enfants.» De la douleur? «Quand je vois cette exposition, je pense à tous ces enfants disparus auxquels nous avons voulu donner un visage.»

© Libération

Beate et Serge Klarsfeld, les combats de la mémoire (1968-1978). Exposition jusqu’au 29 avril 2018. Mémorial de la Shoah, Paris. Entrée libre.

Memorialdelashoah.org

* * *

Les Klarsfeld ont changé le regard sur la shoah

Beate et Serge Klarsfeld ont «bouleversé le regard sur le génocide des Juifs en Allemagne et en France». Ils sont devenus des «figures de premier plan de la mémoire de la Shoah», souligne Olivier Lalieu, commissaire de l’exposition au Mémorial de la Shoah. Les Klarsfeld se sont distingués par de nombreuses actions contre des responsables nazis ou des collabos, dont Klaus Barbie, René Bousquet, Jean Leguay, Maurice Papon ou Paul Touvier. Ils sont aussi intervenus contre Kurt Waldheim, ex-officier dans la Wehrmacht, lors de son élection à la présidence de l’Autriche, en 1986. En Suisse, en revanche, Serge Klarsfeld s’est montré moins sévère que la Commission Bergier concernant le nombre de personnes refoulées de notre pays durant la guerre. Le couple a créé l’association Fils et Filles des déportés juifs de France, qui défend la cause des descendants et fait œuvre de mémoire. PFY

 

Radio: Ve: 13 h 30
TV: Pas de documentaireen raisondu Nouvel-An.

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