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Histoire vivante

L’autre visage du leader Kim Jong-un

Réformes économiques, marché parallèle, étiolement idéologique: la Corée du Nord en pleine mutation


Pascal Fleury

Pascal Fleury

9 septembre 2016 à 07:00

Régime totalitaire » Tirs de missiles, essais nucléaires, condamnations à mort de dirigeants politiques, limogeage de hauts cadres militaires, rappels de diplomates, expulsions… On ne compte plus les nouvelles alarmantes qui, semaine après semaine, pointent du doigt la République populaire démocratique de Corée et son chef suprême Kim Jong-un.

Pourtant, au-delà de l’image agressive que renvoie ce régime totalitaire, se cache une autre Corée du Nord, une «nouvelle Corée» même, en pleine transformation économique et sociale, menée par un jeune leader bien décidé à ne plus jamais voir de famine dans son pays.

A la mort de Kim Jong-il, le 17 décembre 2011, la succession filiale semblait garantir une parfaite continuité. Les funérailles en présence de toute la hiérarchie militaire présageaient d’ailleurs du maintien du principe de «primauté de l’armée» qui avait marqué l’ère paternelle.

Pourtant, c’est à son grand-père Kim Il-sung, que Kim Jong-un, alors plus jeune dirigeant du monde (28 ans), a choisi de se référer. D’emblée, il remet à l’ordre du jour la politique formulée un demi-siècle plus tôt par le fondateur de la Corée du Nord: la «ligne du parallélisme». En clair, mettre sur le même plan le développement économique et le renforcement de la défense.

Renouer avec l’âge d’or

«L’insistance sur l’héritage de Kim Il-sung, couplée à la ressemblance physique de Kim Jong-un avec son grand-père, donnait l’impression qu’une époque au cours de laquelle la population avait durement souffert (l’ère Kim Jong-il) prenait fin: le pays allait renouer avec l’âge d’or de l’ère Kim Il-sung et devenir finalement le «grand pays fort et prospère» tant promis», observe le journaliste du Monde Philippe Pons, dans un ouvrage remarquable, récemment publié*.

Pour sortir l’économie de l’ornière, le jeune leader – qui a été scolarisé à Liebefeld près de Berne durant son adolescence, selon diverses sources – s’est attelé à la réforme de l’agriculture et de l’industrie. Depuis 2012, les entreprises et coopératives bénéficient de plus d’autonomie de gestion et sont autorisées à stimuler la production par des promesses de récompenses. Depuis 2013, elles peuvent aussi conserver une partie de leurs gains pour les réinvestir dans les secteurs à développer, et choisir leurs partenaires, fournisseurs comme clients.

«Les biens et moyens de production restent la propriété de l’Etat mais nous expérimentons de nouvelles méthodes de gestion permettant à celui qui travaille plus de gagner plus», explique un économiste nord-coréen rencontré par Philippe Pons.

Image populaire

Le leader paie de sa personne, multipliant les visites d’entreprises, serrant des mains devant les caméras de la presse officielle. «Il a rompu avec l’image austère de son père, souvent caché derrière d’énormes lunettes de soleil, pour adopter un style chaleureux», note le reporter, qui s’est rendu à de nombreuses reprises en Corée du Nord.

Kim Jong-un lance aussi une cinquantaine de grands travaux à travers le pays: logements, hôpitaux, infrastructures portuaires, grands magasins, complexes sportifs et ludiques, tel le parc aquatique de Munsu, à Pyongyang, ou la station de ski du mont Taehwa. Joueur de basketball dans sa jeunesse, le leader élève le sport au rang de priorité nationale. Soucieux de sa popularité, il teste personnellement les montagnes russes d’un nouveau parc d’attractions et assiste même à un spectacle avec Mickey et Winnie, alors que les personnages de Disney relevaient autrefois de la «pollution spirituelle» capitaliste.

Economie parallèle

Dans chaque province sont également créées des zones économiques spéciales, comme à Sinuiju, Kaesong, Rason ou autour du mont Kumgang. Le but est d’attirer les investissements étrangers et de désenclaver le pays. Mais de nombreux Nord-Coréens débrouillards n’ont pas attendu ces changements pour arrondir leurs fins de mois. En 2010 déjà, l’économie parallèle constituait entre 30 et 50% du PIB du pays, selon la CIA. Elle est de plus en plus imbriquée dans l’économie d’Etat, ce qui ne va pas sans forte corruption.

Ce mouvement s’accompagne d’un étiolement idéologique, en particulier chez les jeunes. «Alors que le collectivisme avait figé la société, l’économie parallèle favorise une relative mobilité sociale, qui entame les hiérarchies fondées sur le degré de loyauté au régime», commente Philippe Pons. Avec les tensions politiques actuelles et les sanctions internationales, tout effort de changement risque cependant d’être vain.

* Philippe Pons, Corée du Nord – Un Etat-
guérilla en mutation, Gallimard, 2016.


 

Le contrôle de l’information reste extrêmement rigoureux

La surveillance étatique des télécommunications, toujours très stricte en Corée du Nord, constitue une entrave au développement économique.

Le nouveau maître de Pyongyang, qui entend prouver combien il est en phase avec son temps, cherche aussi à surfer sur la vague numérique. Mais pareil moteur de croissance, dont le voisin du Sud a fait son cheval de bataille, ne se maîtrise pas si facilement. Son père Kim Jong-il, déjà passionné d’informatique, avait dû déchanter. En 2006, il avait rendu l’enseignement informatique obligatoire sans réaliser que la plupart des écoles n’avaient ni les moyens de se procurer des ordinateurs, ni même l’électricité pour les faire fonctionner! Ce n’est qu’à partir des années 2010 que les nouvelles technologies sont entrées dans les mœurs de la bourgeoisie de la capitale, mais avec un accès internet réservé uniquement à l’élite et une offre de contenus très limitée et entièrement contrôlée. Des cours d’informatique ont peu à peu été introduits dans les universités et une unité spéciale de l’armée a été formée au cyberterrorisme – la Corée du Sud a d’ailleurs dénoncé des milliers d’attaques.

Kim Jong-un a poursuivi sur la lancée, sans rien changer à la politique de censure de l’information, craignant que «le virus de l’idéologie capitaliste» infiltre ses frontières. «Pour se maintenir, le régime a besoin de développer les nouvelles technologies d’une main tout en les freinant de l’autre», observe l’historien et ancien diplomate Pascal Dayez-Burgeon, dans La Dynastie rouge (Perrin, 2014). Pour le journaliste du Monde Philippe Pons, cette stricte surveillance de l’information, et en particulier d’internet, est incompatible avec le développement économique.

Pareille surveillance étatique s’observe aussi dans le domaine de la téléphonie. La Corée du Nord possède son propre réseau mobile, qui compte plus de 3 millions d’abonnés et couvre environ 90% du territoire. Pourtant, son usage est limité, la population ne pouvant communiquer avec l’étranger. «Les Nord-Coréens surpris en train d’utiliser un ­portable de contrebande pour appeler l’étranger risquent d’être envoyés dans des camps de prisonniers politiques», dénonce Amnesty International dans une récente campagne. PFY

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