Logo

Histoire vivante

L’abbé qui a fait plier le communisme

Proche de Solidarnosc, Jerzy Popieluszko a payé de sa vie sa lutte pour la démocratie. Canonisation en vue


 Pascal Fleury

Pascal Fleury

28 avril 2017 à 07:00

Pologne »   «Quand je m’habille le matin, je ne peux oublier mon insigne à l’image de la Vierge. C’est seulement quand je l’ai épinglé au revers de mon veston que je suis prêt à partir.» Venant d’un activiste syndicaliste, l’anecdote pourrait surprendre. Mais s’agissant de Lech Walesa1, président-fondateur du mouvement Solidarnosc, elle est révélatrice de l’importance de la foi catholique dans la résistance menée par des millions d’ouvriers contre le régime athée communiste, dès la fin des années 1970 en Pologne.

Dans ce combat contre le totalitarisme, encouragé par le vibrant «N’ayez pas peur» du pape polonais Jean-Paul II lors de sa première visite à Varsovie en juin 1979, un jeune prêtre, le Père Jerzy Popieluszko, va jouer un rôle clé. Envoyé en août 1980 comme aumônier des ouvriers aux Forges de Varsovie par le cardinal Stefan Wyszynski, à la demande d’une délégation de travailleurs en grève, il se jette corps et âme dans la bataille.

Un prêtre dans l’aciérie

Premier prêtre à franchir le portail de l’usine sidérurgique pour y dire la messe en plein air, le vicaire est chaudement applaudi: «Aux portes de l’aciérie, j’ai eu mon premier grand choc. Une foule dense m’y attendait, souriante et en pleurs en même temps. (...) Il fallait les entendre, ces voix enrouées, habituées aux jurons, lire avec solennité les textes sacrés.»2

Le même mois, Lech Walesa signe l’Accord de Gdansk, avec un stylo à l’effigie de Jean-Paul II. Pour la première fois dans l’histoire du bloc de l’Est, des syndicats libres sont autorisés. Dans sa pastorale auprès des travailleurs, ses sermons, ses conférences et ses rencontres à domicile, Jerzy Popieluszko s’engage énergiquement en faveur des idéaux de Solidarnosc. «Rapidement, ils devinrent amis, à la vie à la mort, car le Père Popieluszko les comprenait», se souvient Walesa.

Messes pour la patrie

Lorsque le général Wojciech Jaruzelski décrète l’état de guerre, le 13 décembre 1981, que la plupart des organisations socio­politiques sont dissoutes, que le syndicat Solidarnosc est interdit et que 6000 de ses militants, dont Lech Walesa, sont arrêtés, les églises restent les seuls lieux où les opposants au régime peuvent se rencontrer.

Dans sa paroisse Saint-Stanislas-Kostka, à Varsovie, le Père Popieluszko lance ses fameuses «messes pour la patrie», un nom donné en référence aux célébrations organisées au XIXe siècle, alors que la Pologne n’était plus qu’une nation sans Etat. «A la faveur des événements tragiques de décembre 1981, le jeune homme timide, un peu emprunté, est devenu un meneur assuré, courageux, comme si un nouvel esprit était entré en lui», observe le Père français Bernard Brien, auteur d’une biographie3 de Jerzy ­Popieluszko.

L’arme de la vérité

«Son slogan, qu’il martèle dans ses prêches, c’est: «Vaincre le mal par le bien.» Et son arme contre le totalitarisme, la vérité», nous précise le biographe, prêtre en région parisienne. Des milliers de fidèles et sympathisants participent aux célébrations, mais aussi des policiers en uniforme ou en civil. Le Père est d’ailleurs arrêté à plusieurs reprises. La police politique lui reproche d’être un «dangereux agitateur» et de transformer ses messes en «meetings politiques». A chaque fois, pourtant, il est relâché.

C’est que le régime tente aussi d’«utiliser le crédit de l’Eglise dans son processus de normalisation», souligne le sociologue et politiste Georges Mink4.

En juillet 1983, un mois après une nouvelle visite de Jean-Paul II en Pologne – où le pape maintient son soutien à Solidarnosc –, le général Jaruzelski abolit l’état de guerre. Mais irrité par les «gêneurs en soutane» qui continuent de dénoncer le régime, il dresse en automne une liste de 69 «prêtres extrémistes». Le cardinal Jozef Glemp, nouveau primat, est prié de les faire taire. Le Père Popieluszko est directement visé. Il poursuit néanmoins son combat contre le «mensonge du totalitarisme» et contre l’interdiction des crucifix dans les écoles.

L’aumônier, âgé de 37 ans, devient alors l’homme à abattre. Il échappe d’abord à deux attentats: une grenade déposée dans son vestibule, puis un accident de voiture dont il sort indemne. Le 19 octobre 1984, alors qu’il rentre d’une visite pastorale, il est enlevé par trois officiers de la police politique. Son corps mutilé est retrouvé quelques jours plus tard au fond d’un lac de barrage de la Vistule, grâce aux aveux des agents communistes, lâchés par le régime.

Le Père Popieluszko devient aussitôt le héros martyr du mouvement Solidarnosc. Plus de 500 000 personnes participent à ses obsèques. Cinq ans plus tard, le communisme tombe. Le premier geste de Lech Walesa, lorsqu’il est élu président de la République polonaise en 1990, est de suspendre un crucifix dans son bureau.

1 Lech Walesa, Les chemins de la démocratie, Editions Plon, 1991.

2 Jerzy Popieluszko, Le chemin de ma croix - Messes à Varsovie, Ed. Cana, 1984.

3 Bernard Brien, Jerzy Popieluszko - La vérité contre le totalitarisme, Artège, 2016.

4 Georges Mink, La Pologne au cœur de l’Europe, Editions Buchet/Chastel, 2015.


 

Un procès en canonisation qui touche au but

Le Père Jerzy Popieluszko a été béatifié en 2010. Très vénéré, il pourrait être bientôt reconnu comme saint par Rome.

Figure emblématique de la lutte pour la démocratie en Pologne, le Père Popieluszko a été béatifié comme martyr de la foi par Benoît XVI. La célébration a eu lieu le 6 juin 2010 à Varsovie, en présence de 120 évêques, 1300 prêtres et 150 000 fidèles, dont Lech Walesa. De nombreux bustes, des plaques commémoratives, des rues et plusieurs films lui sont consacrés. On lui attribue aussi des conversions et des vocations sacerdotales.

En France, en 2012, une personne atteinte de leucémie s’est retrouvée guérie à l’invocation du bienheureux. Le principal témoin de ce «miracle» est l’abbé Bernard Brien, prêtre dans le diocèse de Créteil. Très attaché au Père Popieluszko – ils sont nés le même jour! – il a sollicité un procès en canonisation en 2014 auprès de son évêque.

«Les conclusions de l’enquête, fortes de 800 pages de témoignages et d’expertises médicales, ont été transmises en septembre 2015 à la Congrégation pour les causes des saints à Rome, affirme le Père Brien. Aujourd’hui, le dossier doit être clos.» A Varsovie, des travaux de restauration sont en cours à la paroisse Saint-Stanislas-Kostka, où se trouvent le tombeau du martyr et un musée à sa mémoire. Un indice qui laisse espérer une rapide signature du décret de canonisation par le pape François. Et pourquoi pas le 19 octobre prochain, date anniversaire du martyre... PFY

 

Histoire vivante sur la RTS

Radio: Ve: 13 h 30

TV: Lech Walesa, un portrait 
Di: 20 h 30 
Lu: 23 h 25

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus

Hiver 1954. La femme sans qui l’œuvre de l'abbé Pierre n’aurait jamais existé

Il y a 70 ans, le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait son vibrant appel radiodiffusé en faveur des sans-abri qui mouraient de froid en France. Son «insurrection de la bonté» n’aurait pas été possible sans le soutien extraordinaire d’une femme, Lucie Coutaz. Cofondatrice et directrice administrative du mouvement Emmaüs, elle a été son alter ego durant 40 ans. Portrait.