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Histoire vivante

La révolution venue de l’intérieur

L’émergence de forts mouvements nationaux a contribué à la chute de l’Union soviétique en 1991


Sevan Pearson

Sevan Pearson

25 octobre 2019 à 04:01

URSS » Le 9 novembre, cela fera trente ans que le Mur de Berlin est tombé. L’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) perdait ainsi sa mainmise sur l’Europe centrale et l’Allemagne était réunifiée une année plus tard. Si la volonté d’émancipation des Etats satellites – comme la Pologne, la Hongrie ou la Tchécoslovaquie – a ébranlé Moscou, l’immense fédération fondée en 1922 par Lénine faisait face au même moment à des mouvements nationaux internes. Selon André Liebich, professeur honoraire d’histoire et politique internationales au Graduate Institute à Genève, Mikhaïl Gorbatchev qui dirigeait alors l’URSS a sous-estimé la volonté d’émancipation des différentes nationalités de l’Empire soviétique. Résultat: cette fédération a implosé en 1991 et ses 15 républiques sont devenues indépendantes.

Ce qui frappe dans l’URSS des années 1980, c’est la convergence entre revendications nationales et écologistes. Comment l’expliquez-vous?

André Liebich: L’accident de Tchernobyl en 1986 a constitué un tournant décisif. Cet événement a mis à l’épreuve le processus de réformes engagé par Gorbatchev, la glasnost (transparence). Il a montré que l’Etat central n’était pas tout-puissant. La catastrophe a ouvert une brèche dans laquelle se sont engagés des mouvements écologistes, que ce soit pour sauver le lac Baïkal pollué ou pour une meilleure qualité de l’air à Erevan, capitale de l’Arménie (voir ci-dessous). Emettre des revendications pour l’environnement ne représentait pas un réel danger. Le pouvoir central ne s’en méfiait pas. Très vite cependant, des demandes pour les droits humains et politiques se sont greffées sur ces mouvements qui ont fini par rassembler tous les mécontents du régime.

Autre facteur essentiel dans l’implosion de l’URSS: le combat contre la corruption…

Arrivé au pouvoir en 1985, Gorbatchev voulait lutter contre le gaspillage de ressources provoqué par des élites corrompues, en les remplaçant par des personnes envoyées de Moscou. Pour lui, sans de profondes réformes, l’URSS courait à sa perte. Jusqu’alors, le pouvoir central fermait les yeux sur les pratiques des dirigeants locaux. Cette nouvelle politique lancée par Gorbatchev a engendré de fortes réactions. En Asie centrale, particulièrement concernée, les populations locales ont eu le sentiment qu’il s’agissait d’une attaque contre les nations de la région. Les politiciens locaux se sont sentis menacés dans leur position et ont joué la carte nationale. Par exemple, en Ouzbékistan, Gorbatchev a limogé pratiquement l’équipe entière des dirigeants locaux, y compris le beau-fils de Brejnev, les accusant d’avoir fourni depuis des années de faux chiffres de production de coton. Les Ouzbeks, confrontés à de nouveaux dirigeants venus de Moscou, ont interprété ce limogeage comme un coup porté contre leur peuple.

Justement, en Asie centrale vivaient de nombreux musulmans. Quel a été l’impact de la Révolution islamique en Iran en 1979 sur leur réveil national?

La Révolution n’a pas eu d’impact direct. Elle a conduit l’URSS à intervenir en Afghanistan. L’Union soviétique était surprise par la poussée islamiste dans ce pays voisin, qui mettait en péril le gouvernement «progressiste» de Kaboul, soutenu par Moscou. Cette guerre a ébranlé l’Empire soviétique qui n’a plus été considéré comme tout-puissant. Elle a aussi encouragé le renforcement de sentiments islamiques en Asie centrale.

De l’autre côté du pays, les Etats baltes ont joué un rôle central dans l’éclatement de l’URSS…

Ces trois républiques (Lituanie, Lettonie, Estonie) ont été annexées par l’URSS en 1940. Elles ont donc fait moins longtemps partie de l’Empire soviétique. En outre, elles ont bénéficié d’un statut spécial. Les Etats-Unis n’ont jamais reconnu la perte de l’indépendance de ces trois pays. Il existait ainsi des ambassades de chacun des Etats baltes à Washington. Pour Gorbatchev aussi, ces trois républiques représentaient un cas à part. Leur accorder l’indépendance ne lui paraissait pas risqué pour le maintien de l’URSS. Au départ, les fronts populaires baltes (de vastes mouvements nationaux créés à la fin des années 1980, ndlr) semblaient soutenir la politique gorbatchévienne et réclamaient seulement plus d’autonomie à l’intérieur de l’URSS. Ils se sont cependant vite radicalisés en privilégiant l’indépendance. Mais plus que des Etats baltes, c’est de Russie qu’est venu le coup de grâce de la fédération en 1991.

De Russie?

Oui. Les nationalistes russes voyaient de plus en plus la périphérie comme une charge financière pour le pouvoir central. En d’autres termes, ils estimaient que la Russie payait pour les autres. Ils avaient le sentiment que leur république était maltraitée. Il est ainsi intéressant de noter que la Russie n’avait pas de parti communiste qui lui était propre, contrairement aux 14 autres membres de l’Empire soviétique. La chute de l’URSS s’est produite entre autres en raison de l’émancipation de la Russie. Gorbatchev était prêt à lâcher l’Europe centrale, mais ne souhaitait pas la désagrégation de l’URSS, contrairement à Boris Eltsine, un communiste réformateur élu président du Soviet suprême (le gouvernement, ndlr) de Russie en 1990.

Finalement, Mikhaïl Gorbatchev a fait beaucoup d’erreurs de calcul dans sa politique face aux nationalités, non?

C’est vrai que le secrétaire général de l’URSS a sous-estimé les nationalismes en général. Gorbatchev a même cru qu’en laissant les pays d’Europe centrale s’émanciper, ils adopteraient spontanément un régime socialiste, sans la pression de Moscou! Ce qui n’a évidemment pas eu lieu. Il a également sous-estimé la puissance de ses adversaires et notamment de Boris Eltsine.

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