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Histoire vivante

La lente restitution des biens pillés

Plus de 90% du patrimoine culturel africain est conservé en dehors de son continent d’origine


 Laure DE Charette

Laure DE Charette

8 octobre 2021 à 04:01

Nord-Sud » De tous les continents, l’Afrique est depuis des siècles le plus spolié. Ce qui est vrai sur le plan des matières premières l’est aussi dans le domaine culturel. D’Egypte au Mozambique en passant par le Mali, le patrimoine culturel africain a subi les outrages de l’ère coloniale.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la restitution des œuvres pillées par les nazis a ouvert la voie à un mouvement plus général, plaidant pour le retour des œuvres prélevées illégalement à leurs pays d’origine. Les anciens pays colons, dont la France ou la Belgique, ont ainsi entrepris une réflexion plus profonde sur la façon de réparer les prédations du passé. Philippe Dagen, professeur à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de l’histoire de l’art contemporain et de l’art, en explique les enjeux.

Que pensez-vous de la restitution des œuvres pillées durant la colonisation?

Philippe Dagen: La question est complexe. Sur le principe, on ne peut qu’être pleinement favorable à la restitution. Il n’y a aucun doute que dans les musées français, comme dans ceux de toutes les anciennes puissances coloniales, se trouvent des œuvres qui ont été pillées ou obtenues dans des conditions de soumission telles qu’elles ne peuvent être considérées comme ayant été cédées de plein gré. Pillage, vol, spoliation, «collecte»: le vocabulaire est vaste pour décrire ces comportements. Par conséquent, les titres de propriété de ces objets sont nuls et non avenus et la restitution s’impose.

Alors, pourquoi est-ce si complexe? Pourquoi si peu d’objets rendus?

Dans les pays européens qui se partagèrent l’Afrique au XIXe siècle, la mentalité coloniale n’a pas entièrement disparu. Certains sont hostiles au processus de restitution et s’efforcent de déployer des obstacles, notamment juridiques, comme la notion d’inaliénabilité, une règle française selon laquelle un bien appartenant aux collections publiques ne peut en être retiré.

Le processus de restitution est-il fatalement très, sinon trop, lent?

Le processus prend du temps car il faut un travail historique minutieux pour retracer l’origine de chaque pièce et déterminer s’il s’agit d’un vol ou non. Depuis les années 1920, de nombreux objets d’art africains arrivés sur le marché européen ont été produits par des sculpteurs africains en fonction des goûts occidentaux et pour le marché. Ils ne peuvent être confondus avec ceux qui avaient des fonctions religieuses, morales ou politiques. Enfin, certains conservateurs de musée s’opposent au processus tout simplement parce que l’idée d’être privés d’une partie de leurs collections les révulse!

Certains musées risquent de facto de se vider. Le Musée du quai Branly, à Paris, par exemple, détient 70 000 pièces originaires de pays africains…

De se vider? Non. De devoir en rendre? Oui. Mais où est le problème? Tant que ces objets demeurent accessibles à la communauté scientifique et au public et qu’ils sont conservés dans de bonnes conditions, leur emplacement géographique ne devrait pas susciter de polémique et l’instinct de propriété ne devrait pas primer, surtout pas dans le monde globalisé actuel. Personne ne s’indigne qu’un musée à New York conserve des tableaux de peintres italiens ou flamands.

Plus spécifiquement, quels sont les enjeux liés à la restitution d’œuvres d’art volées à l’Afrique?

Ils sont essentiellement symboliques et politiques. Les citoyens africains jugent incompréhensible que plus de 90% de leur patrimoine soit conservé en dehors de l’Afrique. C’est une revendication de dignité parfaitement légitime. Et une réponse à la traite négrière, aux colonies, à tout ce qui s’y est passé…

Certains, en Europe, jugent les pays africains spoliés incapables de réceptionner et conserver ces œuvres. Qu’en pensez-vous?

C’est une critique infondée. Il existe des musées en Afrique parfaitement aptes à conserver ces œuvres, notamment au Sénégal et en Côte d’Ivoire. D’autres sont en construction, au Nigeria par exemple. Il est vrai que l’état économique de certains pays entraîne des investissements culturels insuffisants et que certains musées, comme celui de Bamako au Mali, peuvent être menacés par le djihadisme. Mais ces difficultés seront surmontées, doit-on espérer.

Plus généralement, la place de ces objets est-elle dans un musée?

Ces restitutions soulèvent effectivement une autre question importante: ces objets avaient le plus souvent une fonction politique, religieuse ou morale au moment de leur création. Dès lors, leur place est-elle au sein d’un musée, qui est une invention occidentale? Reproduire ce modèle ne s’impose pas nécessairement. Sans doute cela inquiète-t-il les conservateurs, mais, sur ce point aussi, le débat se développe entre interlocuteurs de bonne volonté.

La Libre Belgique

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