Anniversaire » Il y a tout juste 30 ans s’écroulait le mur de Berlin, entraînant dans sa chute l’URSS (en 1991) et des pans entiers du communisme. Cet événement d’importance mondiale, qui a eu des répercussions jusqu’en Chine et à Cuba, a aussi secoué la Suisse. Il a suscité des sentiments ambivalents, entre crainte et soulagement. D’un côté, la peur d’un monde en train de basculer, mettant à mal des récits nationaux ancrés dans la guerre froide. De l’autre, l’opportunité de renouer des liens économiques et culturels avec l’Europe centrale. Les explications de l’historien Matthieu Gillabert, qui anime à l’Université de Fribourg un séminaire1 de niveau master sur l’impact de cette période charnière de l’histoire sur notre pays, à la lumière des archives officielles rendues publiques après 30 ans.
Jusqu’à la chute du Mur, les ennemis de la Suisse étaient «les Rouges», disait-on volontiers à l’armée. Soudain, cette vision du monde s’est écroulée...
Matthieu Gillabert: L’ennemi bolchevique est une figure centrale de la culture politique suisse depuis 1917. Sa disparition produit une crise identitaire majeure. De fait, la Revue militaire suisse estimait déjà, depuis l’accident de Tchernobyl en 1986, que l’ennemi soviétique était très affaibli. En 1989, la crainte d’une invasion venant de l’Est n’existe plus vraiment dans la population, même si l’idée est entretenue par l’armée. La peur de l’hiver nucléaire est en revanche toujours vive, alimentée par la crise des euromissiles et par divers rapports d’experts internationaux alarmistes. La chute du Mur, puis de l’URSS, va mettre à mal le récit national d’une Suisse neutre et vigilante, un récit légitimé par la guerre froide. Les institutions sont fortement critiquées, comme le montre l’initiative du GSsA pour l’abolition de l’armée, votée en novembre 1989 et soutenue par 35,6% de votants.
En fait, avec la chute du Mur, c’est toute la stratégie géopolitique de la Suisse qui est à revoir...
Pendant la guerre froide, les Suisses se faisaient une représentation assez simple du monde, avec deux blocs qui s’opposaient. Après la chute du Mur, la situation – en réalité déjà très compliquée – se complexifie à leurs yeux. La question européenne devient un déterminant politique fort. D’autant qu’avec le traité de Maastricht, la construction européenne s’accélère. En 1992, la votation sur l’Espace économique européen (EEE), qui fait suite à la volonté du Conseil fédéral de se rapprocher de cette Europe en voie de réunification, va exacerber une polarisation sur l’Europe. Certains historiens ont montré que l’idée européenne a alors pris le pas sur les grands récits idéologiques de la guerre froide et qu’elle est parfois devenue un idéal en tant que tel. On voit d’ailleurs en Suisse toute une génération politique transpartisane qui émerge autour de l’EEE.
« L’idée européenne a pris le pas sur les grands récits idéologiques de la guerre froide. »