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Histoire vivante

Héros tragique des fonds dormants

En 1997, Christoph Meili a récupéré des documents destinés à la broyeuse d’une banque zurichoise

Christoph Meili, ici chez lui à Wil, a participé brièvement à la «grande» histoire, avant de retourner à l’anonymat.

ariane gigon, wil (SG)

ariane gigon, wil (SG)

21 novembre 2019 à 18:41

Seconde Guerre mondiale » Il a été conspué en Suisse, puis porté aux nues aux Etats-Unis, avant de tout perdre ou presque. Aujourd’hui, à 51 ans, il est au chômage. C’est le résumé, forcément partiel, du parcours de Christoph Meili, qui, de Baden à New York en passant par Zurich, puis de la Californie à Wil (SG), où il réside aujourd’hui, a croisé les aléas de la grande histoire. «Je peux enfin, à nouveau, respirer», confie-t-il.

Le visage frêle et timide de Christoph Meili était apparu dans les médias le 14 janvier 1997: cet agent de sécurité d’une entreprise l’ayant délégué à l’Union de Banques Suisses avait en effet, quatre jours auparavant, récupéré deux volumes d’archives bancaires destinées à être déchiquetées. Or, un mois plus tôt, en décembre 1996, une loi interdisant la destruction d’archives ayant un rapport avec les fonds en déshérence, réclamés par les victimes du nazisme et leurs descendants, était entrée en vigueur.

«Je le savais et j’avais déjà repéré, lors de mes rondes nocturnes, des archives dont je pensais qu’elles relevaient de la catégorie concernée», explique Christoph Meili. La sortie d’un nouveau documentaire, diffusé ce dimanche sur RTS 2 et visible ci-dessous, est l’occasion, pour le quinquagénaire, de se remémorer ces événements. Licencié, soupçonné d’atteinte au secret bancaire, Christoph Meili avait accepté l’invitation du sénateur républicain Alfonse d’Amato, de New York, de venir s’établir aux Etats-Unis.

 

«J’avais peur pour ma famille, en Suisse», rappelle-t-il. A l’époque, la communauté juive de Suisse est divisée sur l’attitude à adopter face à l’intransigeance des réactions américaines. Le soutien, Christoph Meili le trouve au sein de communautés juives à l’étranger. «Aujourd’hui encore, j’ai des bons contacts avec ces communautés, en Israël et en Russie notamment», note-t-il.

Pertinence pas établie

La pertinence des documents «sauvés» est aujourd’hui encore sujette à caution. Pour le Conseil d’Etat zurichois, elle est en revanche quasi nulle. En 1998, en réponse à un député qui demandait la réouverture de l’enquête pénale contre l’ex-vigile – la première avait été classée et Christoph Meili, conseillé par un avocat américain, réclamait 2,56 milliards de dollars de réparation –, le gouvernement cantonal avait répondu que «les documents concernés ne contenaient que des informations rudimentaires» et de plus, datant d’avant la période nazie.

Mais sur sol américain, Christoph Meili est considéré comme un héros. On le présente à Steven Spielberg, entre autres stars. Installée en Californie, la famille déchantera toutefois rapidement. L’argent diminue. Christoph Meili bénéficie d’une inscription gratuite dans une université de renom, mais ne parvient pas à étudier. Divorce, remariage, nouveau divorce et toujours des difficultés à nouer les deux bouts. Finalement, il rentre en Suisse, seul, en avril 2009.

Réitérerait-il son geste? «Oui, absolument, répond-il, même si j’ai fait des burn-out, recouru deux fois à l’aide sociale. Je suis aujourd’hui, pour la cinquième fois, au chômage. Mais grâce notamment à ma troisième épouse et à l’Eglise évangélique que nous fréquentons, je vais mieux.»

« Les banques ne se sont jamais excusées »

Gila Blau, journaliste

La journaliste Gila Blau, qui l’a épaulé dès le début, est restée en contact avec lui. «Je n’ai jamais douté de ses intentions et de sa sincérité», explique-t-elle. Les leçons des événements ont-elles été tirées? Pour Christoph Meili, tout n’a pas été dit sur la Banque fédérale, un institut qui a fait des affaires en Allemagne, repris par l’ancienne UBS en 1945. Gila Blau, de son côté, souligne la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte. «Rappelez-vous comment ce jeune homme de 29 ans, père de deux petits enfants, a été considéré comme un traître pour son geste courageux, perdant son travail d’un jour à l’autre. Si les banques n’avaient pas eu cette réaction épidermique, et sûrement typiquement suisse, de dire qu’elles n’avaient commis aucune erreur, si l’UBS de l’époque avait remercié Christoph Meili au lieu d’en faire le méchant de l’histoire, le destin de ce dernier aurait été très différent. Je rappelle en outre que les banques ne se sont jamais excusées.»

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