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Économie

L'Allemagne veut apprendre à faire sans la Chine

L’Allemagne désire éviter une dépendance excessive à la Chine, qualifiée de «rivale systémique»

Une usine Volkswagen-Audi à Changchun, dans le nord-est de la Chine: les constructeurs automobiles allemands réalisent déjà près d’un tiers de leur chiffre d’affaires dans l’Empire du Milieu.

 Thomas Schnee, Berlin

Thomas Schnee, Berlin

25 janvier 2023 à 02:01

Commerce » Mi-janvier, Ken Wu, ambassadeur de Chine à Berlin, a haussé le ton face à l’Allemagne. «Je conseille aux politiciens allemands de ne pas tester les lignes rouges chinoises», a-t-il prévenu, en référence à la visite récente à Taïwan de la présidente de la Commission de la défense au Bundestag Marie-Agnes Strack-Zimmermann. Mais ses critiques se sont surtout concentrées sur la nouvelle stratégie de l’Allemagne à l’égard de la Chine.

Celle-ci est en cours d’élaboration à Berlin. Une première synthèse a même fuité dans la presse en novembre dernier. «Ce document donne l’impression qu’il est avant tout guidé par l’idéologie. Cela sent pour moi de manière suspecte une mentalité de guerre froide», qui laisse supposer «que le Gouvernement allemand perd son indépendance et suit à la place entièrement les Etats-Unis en matière de politique chinoise», a critiqué l’ambassadeur. Le traumatisme russe a forcément conduit le gouvernement fédéral à réfléchir au moyen de limiter la dépendance économique de l’Allemagne par rapport à la Chine.

Pour rappel, les exportations allemandes vers la Chine sont passées de 64,8 milliards d’euros en 2011 à 103,6 milliards en 2021. Et de 79,5 milliards à 141,7 milliards en sens inverse. Par ailleurs, en 2021, BMW et Mercedes ont réalisé plus de 30% de leur chiffre d’affaires dans l’Empire du Milieu. Toujours la même année, la part chinoise du chiffre d’affaires d’Adidas a été de 21,7%, pendant qu’Infineon bat tous les records avec 37,8%.

Route de la soie

«Que se passerait-il pour les échanges entre nos deux pays si Pékin se décidait à attaquer Taïwan? Comment concilier nos positions sur les droits de l’homme et la situation des Ouïghours au Xinjiang avec l’engagement de nos entreprises en Chine? Berlin a décidé d’élaborer une stratégie chinoise pour préciser tout cela», explique le chercheur Tim Rühlig, expert des relations UE-Asie pour le think tank allemand, la Société allemande pour la politique extérieure (DGAP).

Le texte connu affirme que les droits de l’homme sont «indivisibles et ne peuvent être relativisés, que ce soit sur le plan culturel ou religieux». Il souligne aussi les «violations massives des droits de l’homme» dans la province ouïghoure du Xinjiang et au Tibet ainsi que les dérapages à Hong Kong. Le texte considère en outre que la Chine s’est «de facto rangée au côté de la Russie». Enfin, tout comme l’UE, les auteurs considèrent que la Chine est tout à la fois un partenaire, un concurrent et un «rival systémique». «Ces deux derniers aspects prennent toutefois de plus en plus d’importance», est-il précisé.

La Chine crée des dépendances qu’elle utilise «de plus en plus souvent pour imposer ses intérêts politiques», affirme aussi le texte qui cite la présence chinoise renforcée dans les ports européens, une partie des Balkans, en Afrique, en Amérique latine ou encore dans la zone indo-pacifique. En conséquence, Berlin soutient l’idée européenne de Global Gateway, une initiative d’investissement conçue par Bruxelles comme une offre alternative à l’initiative chinoise de la Route de la soie, un réseau logistique mondial. D’ici à 2027, l’UE envisage de mobiliser jusqu’à 300 milliards d’euros d’investissements pour les projets d’infrastructure du Global Gateway.

Crédits d’exportation

Pour diversifier et réorienter l’engagement économique allemand ailleurs qu’en Chine, le document prévoit en outre une politique d’octroi de crédits à l’export et de garanties d’investissement soumises à un examen plus drastique en termes sociaux et environnementaux. Les garanties d’investissement accordées aux entreprises devraient par ailleurs être limitées à trois milliards d’euros par entreprise et par pays.

L’ensemble sera flanqué de stratégies spécifiques. Par exemple, une stratégie nationale pour l’approvisionnement en matières premières. «Il faut aussi élaborer une loi qui définisse clairement ce qui relève des infrastructures critiques ou pas», ajoute l’écologiste Franziska Brantner, secrétaire d’Etat au Ministère de l’économie et de la protection du climat en rappelant le cas récent de l’armateur chinois Cosco, empêché au dernier moment d’entrer au conseil d’administration de HHLA, l’opérateur du port de Hambourg.

Stratégie lacunaire

Mais aux yeux de Tim Rühlig, la nouvelle stratégie est encore lacunaire. «Le texte décrit bien les problèmes mais où sont les priorités?», s’interroge-t-il, en prenant l’exemple de la lutte contre le réchauffement climatique: «Faut-il mieux aider la Chine en lui fournissant des technologies vertes dont elle ne dispose pas? Ou au contraire éviter un transfert de technologies qui risque fort de déboucher sur une nouvelle concurrence? Le texte ne le dit pas», relève le chercheur.

La question taïwanaise divise aussi les cabinets ministériels. «Il y a ceux qui estiment que la Chine pourrait bien attaquer Taïwan dès 2027, année du centenaire de l’armée populaire chinoise. Et qu’il faut donc se préparer à un découplage économique avec la Chine», détaille Tim Rühlig. Il y a aussi ceux qui pensent plutôt, comme à la Chancellerie fédérale, qu’une agression dans les 5 ans à venir est une hypothèse ultime et exagérée. «Ces derniers pensent aussi que nos économies européennes seront difficilement capables de supporter une politique de sanctions contre la Chine similaire à celle appliquée à la Russie.»

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