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Histoire vivante

Divisé, Boko Haram reste dangereux

Au Nigeria, les djihadistes se déchirent entre stratégie d’expansion territoriale et lutte anti-occidentale


Propos recueillis par 
Pascal Fleury

Propos recueillis par 
Pascal Fleury

4 novembre 2016 à 05:00

Islamisme radical » En août dernier, le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, qui avait prêté allégeance au groupe Etat islamique en 2015, a été écarté par Daech en raison de sa violence extrême contre les musulmans non acquis à sa cause. Un nouveau chef, Abou Mosab al-Barnaoui, a été mis en place par l’organisation terroriste internationale et un changement stratégique imposé. Résultat, le mouvement insurrectionnel nigérian s’est scindé en deux. Les factions se battent désormais entre elles pour contrôler certains villages du nord-est du Nigeria.

Au-delà des luttes de clans, ces tensions intestines révèlent des divergences de vues profondes au sein de la nébuleuse djihadiste. Les explications d’Olivier Baconnet, conseiller en sécurité internationale pour les organisations humanitaires et auteur, en 2016, d’une étude fouillée sur les racines idéologiques du djihadisme*.

Depuis août, Boko Haram est déchiré en deux. Les visées ­idéologiques des djihadistes ne sont-elles pas les mêmes, à savoir créer un califat islamique?

Olivier Baconnet: Les visées idéologiques de Boko Haram, de l’Etat islamique ou d’al-Qaïda se ressemblent effectivement, comme d’ailleurs celles d’autres branches comme les Shebab somaliens ou al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Elles ont été développées au fil de l’histoire par les grands théologiens de l’islamisme radical. Elles imposent un remodelage de la société et de l’Etat par l’instauration de la charia au cœur même de la politique, afin de revenir aux sources de l’islam basé sur le Coran et la Sunna (la tradition prophétique). Pour tous les djihadistes, la charia est la réponse à tous les problèmes sociaux et juridiques du monde musulman.

Ce socle commun s’observe non seulement en termes idéologiques, mais aussi de structure, d’action et de développement sur le terrain. Il est bien sûr adapté en fonction de la culture, de l’histoire et de la région dans laquelle il évolue. Tout cela s’inscrit dans la mouvance salafiste moderne, qui prône la loi divine et refuse toute constitution civile démocratique. L’objectif final est bien d’instaurer un califat islamique.

Si les djihadistes s’entendent sur le but, le califat, comment ­expliquez-vous pareille scission au sein de Boko Haram?

Les chemins pour arriver au califat sont multiples. Le djihad d’al-Qaïda, par exemple, se veut «international»: c’est une lutte contre l’Occident et le monde chrétien. Le djihad de l’Etat islamique est un combat plus «territorial». Il s’agit de prendre le contrôle de territoires, de populations et de richesses pour poser les bases du califat. C’est ce que Boko Haram a réussi à faire dans un premier temps dans le nord-est du Nigeria.

Le problème, c’est qu’au sein de Boko Haram, il y a toujours eu de grosses dissensions entre leaders. Après l’insurrection de 2009, le mouvement fondé par Mohamed Yusuf s’est radicalisé. Abubakar Shekau a pris le pouvoir mais sans être reconnu par tous les chefs de clans historiques. Il y a même eu dissidence, les militants de l’organisation Ansaru – Avant-garde pour la protection des musulmans en Afrique noire – préférant agir contre la présence occidentale dans la région plutôt que de conquérir des territoires au nord-est du Nigeria.

C’est justement cette stratégie anti-occidentale qu’impose aujourd’hui le groupe Etat ­islamique à Boko Haram?

Oui. Le nouveau leader mis en place par Daech, Abou Mosab al-Barnaoui, qui est le fils du fondateur de Boko Haram, s’inscrit dans cette dynamique anti-occidentale. En ce sens, il est proche des leaders dissidents d’Ansaru, alors qu’Abubakar Shekau s’est concentré sur la conquête des territoires. Il faut voir que depuis le début de l’année, le groupe Etat islamique se trouve dans une situation de repli territorial sur plusieurs fronts. Il met donc davantage l’accent sur la stratégie anti-occidentale, ce qui lui permet du même coup d’épargner les populations locales pour essayer de retrouver une certaine légitimité perdue.

Depuis son changement ­d’orientation stratégique, Boko Haram s’en est-il pris à des cibles occidentales?

Pas à l’échelle internationale. Depuis 2015, Boko Haram a été énormément affaibli par les opérations de la coalition régionale. Il n’a pas les capacités opérationnelles pour exercer en dehors de la zone du nord du Nigeria et du lac Tchad. Le groupe djihadiste pourrait s’en prendre théoriquement aux Occidentaux aux frontières du Cameroun, du Tchad ou du Niger, mais il faut savoir que les Occidentaux ont fui ces zones depuis plusieurs années.

Actuellement, les acteurs humanitaires sont en train de revenir. Des Occidentaux sont présents à Maiduguri, le chef-lieu de l’Etat de Borno, en pleine zone d’influence de Boko Haram. On peut donc s’attendre à des attentats ciblés contre les Occidentaux. Les djihadistes ont le matériel et ont appris de nouvelles méthodes d’action efficaces. Le risque est bien réel.

Que font de leur côté Shekau et ses partisans évincés?

Ils restent actifs, même s’ils ont perdu beaucoup de positions dans l’Etat de Borno, au nord-est du Nigeria. Ils tiennent encore des villages reculés, mais on a vu ces dernières semaines que le groupe d’al-Barnaoui affilié à l’Etat islamique les a combattus pour reprendre certains de ces villages. Actuellement, Abubakar Shekau semble davantage en situation de survie. Il a libéré des filles kidnappées à Chibok et, pour la première fois, envisagé de possibles négociations avec le gouvernement d’Abuja.

Existe-t-il des solutions pour mettre fin à ce conflit?

Il n’y a pas de solution magique. Le problème du nord du Nigeria, comme ceux de Syrie, d’Irak ou du Yémen, est très complexe, à la fois sociétal, politique, ethnique et religieux. Le djihadisme ne peut se détruire que de l’intérieur. Ce sera seulement en développant la région, en la restructurant de fond en comble, en intégrant les populations dans la société, en offrant un avenir aux jeunes perdus et abandonnés, qu’on arrivera petit à petit à éliminer l’idéologie islamique radicale. Cela prendra des années. Car après les massacres de masse commis par Boko Haram, les forces en présence ne lui feront pas de cadeaux.

Aujourd’hui, la population terrorisée en a marre de cette violence. Même si, en décembre 2014, j’ai encore vu sur place des mères justifier les horreurs commises par leurs «boys» – leurs garçons de 15 à 18 ans – qui se battent contre l’extrême misère sociale du nord du pays. Cela ne les excuse pas, mais cela permet de mieux comprendre le terrible sentiment d’injustice ressenti depuis des décennies dans le nord du pays.

* Olivier Baconnet, Les racines idéologiques du djihadisme – Etude comparative de l’Etat islamique et Boko Haram, préface d’Antoine Sfeir, Editions du Cygne, 2016.

 

De la secte salafiste au Groupe insurrectionnel

Boko Haram est apparu en 2002, à la suite d’autres groupes d’idéologie salafiste opposés aux confréries soufies occupant le nord du Nigeria. Son fondateur Mohamed Yusuf (photo RTS), formé dans les écoles wahhabites en Arabie saoudite, attire les foules par ses discours politico-religieux dénonçant l’injustice faite à la population pauvre du nord du pays. Son assassinat, en 2009, va déclencher une violente insurrection, la secte, jusque-là plutôt pacifiste, se transformant en groupe armé mené par Abubakar Shekau. Suit une répression sanglante de l’armée. Dès lors, le groupe va se radicaliser, mais aussi se criminaliser, commettant vols, pillages, enlèvements contre rançons et règlements de comptes. Le conflit a déjà fait plus de 30'000 morts et deux millions de déplacés. PFY

 

En dates

2002

Fondation par Mohamed Yusuf. Le mouvement salafiste est surnommé Boko Haram («Non à l’éducation occidentale»).

2009

Des jeunes sont tués par la police. Début du djihad. Mohamed Yusuf est assassiné et l’insurrection réprimée.

2011

Multiplication des attentats.

2014

Conquête de territoires. Enlèvement de 276 lycéennes à Chibok, avec mariages forcés. 21 filles ont été relâchées en octobre 2016.

2015

Allégeance au groupe Daech.

2016

Abubakar Shekau est évincé. Boko Haram se scinde en deux. PFY

 

Histoire Vivante sur la RTS

Radio: Ve 20 h

TV: Boko Haram: Les origines 
du mal
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