Vers des scènes plus vertes
Des initiatives encouragent des pratiques écoresponsables dans les théâtres. Un label est lancé
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Cécile Dalla Torre
19 février 2021 à 02:01
Suisse romande » En pleine pandémie, le secteur culturel lutte pour sa survie alors que tout est à l’arrêt et que les publics ne peuvent plus être accueillis, sur le territoire romand comme ailleurs; seule l’Espagne fait exception en gardant ses théâtres et cinémas ouverts grâce à un protocole sanitaire renforcé. Mais la crise du Covid-19 n’a pas complètement éclipsé l’autre crise, celle que traverse notre planète, et que thématisent de plus en plus d’artistes sur les plateaux de théâtre. Comment dès lors agir pour enrayer la catastrophe écologique? Le metteur en scène fribourgeois François Gremaud, par exemple, Prix Suisse de théâtre 2019, invite chacun à réfléchir à des moyens d’action individuels en relayant la prise de conscience du chercheur français Aurélien Barrau, qu’il adapte pour la scène dans son spectacle Auréliens – présenté jusque-là en streaming faute de mieux par le Théâtre de Vidy.
Impact écologique
L’urgence climatique a fait surgir ces derniers mois des questionnements dans le milieu théâtral et des arts de la scène, gourmand en éclairage et en décors, et mobile du fait des tournées. Si l’on concevait une autre manière de faire des spectacles, plus écologique et solidaire, respectueuse du vivant? Nouveau médiateur du Théâtre du Jura, l’auteur Camille Rebetez n’a pas attendu la crise du coronavirus pour corédiger une Charte des artistes, acteurs et actrices culturelles pour le climat avec le dessinateur Tom Tirabosco et le dramaturge Pierre-Louis Chantre, conseiller artistique du Théâtre Forum Meyrin (TFM). Pour les corédacteurs, envisager l’avenir de manière plus verte commence par un bilan carbone des œuvres et créations artistiques.
Celui du TFM a été initié par l’entreprise meyrinoise Maneco, qui officie depuis une quinzaine d’années principalement dans le secteur de l’environnement et la durabilité auprès des entreprises et des collectivités. «Dans le domaine culturel, nous avons entamé un projet-pilote au Théâtre Forum Meyrin, explique Laura Dias. Le processus est ralenti par la pandémie, mais l’idée est de réaliser une empreinte carbone du théâtre afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Nous effectuerons un bilan carbone pour une saison type mais de manière globale, toutes les données du théâtre et celles des compagnies étant prises en compte. Le plus intéressant est la question de la mobilité et des transports, et des matériaux utilisés pour les décors.»
Grâce à la politique énergétique proactive de la Ville de Meyrin, qui a obtenu à deux reprises le label Gold, la salle de spectacle a pu entreprendre une démarche écologique, se félicite Anne Bruschweiler. «Après avoir signé la Charte, je me suis demandé comment agir pour réduire notre impact écologique en tant que directrice d’un théâtre d’accueil. Il fallait partir d’un diagnostic sur la manière dont les compagnies travaillent et se déplacent, et étudier les déplacements des publics.» Ces enjeux majeurs préoccupent de plus en plus les structures culturelles et les pouvoirs publics qui les subventionnent. Situé dans les hauts du Parc La Grange, à Genève, le Théâtre de l’Orangerie (TO) s’est donné pour mission d’explorer les liens entre l’humain et la nature depuis qu’il est dirigé par Andrea Novicov – grâce aussi à l’impulsion de Delphine Avrial à ses côtés durant les deux premières saisons.
D’abord chargée de la communication du TO puis assistante de direction, elle implante aujourd’hui en Suisse romande l’écolabel THQSE dans le secteur culturel pour aider les institutions à opérer leur transition écologique en douceur. «Je m’investis sur le terrain en proposant des outils fédérateurs et en mutualisant les bonnes pratiques.» Privilégier les circuits courts et le local, par exemple, c’est déjà ce que fait le Poche/GVE, également précurseur en matière de langage épicène et inclusif. Cet aspect est aussi englobé dans la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), que l’écolabel THQSE aide à mettre en avant. Le Poche a par ailleurs innové en utilisant une scénographie unique pour plusieurs spectacles de sa saison. Sollicitée par le Poche et le TFM avant la pandémie, la Ville de Genève appuie ces dynamiques – elle avait émis un préavis favorable à la réalisation d’un même écobilan généralisé à toutes les institutions théâtrales placées sous sa tutelle.
Réemploi des décors
Du côté des compagnies indépendantes, la centralisation des décors à des fins de réemploi est l’une des principales pierres d’achoppement. Or cette solution permet de réduire considérablement le gaspillage et les déchets, ainsi que les trajets jusqu’à des lieux de stockage parfois éloignés. Selon la codirectrice technique du Grütli, Joana Oliveira, le coût prohibitif de location d’espaces de stockage empêche les efforts de mutualisation visant à faciliter le partage et la réutilisation. «Malgré les efforts déployés, aucune démarche n’a jamais abouti à cause du prix, de la difficulté de trouver un lieu et d’un manque de ressources humaines pour le gérer.» Eric Devanthéry, metteur en scène genevois, abonde. «Toutes les tentatives menées jusque-là se sont heurtées au prix du m2. Il faudrait qu’on puisse disposer de 300 ou 400 m2 à l’abri pour pouvoir stocker nos décors.»
Des questions soulevées dans le Manifeste pour un théâtre écologiquement responsable impulsé par sa compagnie Utopia. Initié à plusieurs mains, dont celles de l’auteure de ces lignes, le texte est un outil participatif, disponible en ligne, à l’adresse des compagnies désireuses de le faire évoluer et d’y ajouter leurs bonnes pratiques. Des artistes comme la danseuse et chorégraphe Marcela San Pedro ou le comédien Michel Lavoie ont fait part de leur intérêt à mettre le manifeste en œuvre en démarrant de futurs projets artistiques – Michel Lavoie, Jean Valjean dans la mise en scène des Misérables de la compagnie Utopia, est aussi à la tête de sa compagnie fribourgeoise.
Des stocks de costumes
Quid des costumes et accessoires scéniques? Ils n’échappent pas non plus aux problématiques de stockage. Favoriser leur réemploi en les centralisant et les inventoriant dans un même espace, c’est le cheval de bataille du Vestiaire, stock vestimentaire de l’association Costumières & Cie, qui regroupe plus d’une trentaine de professionnels des métiers du costume. Le Vestiaire est aujourd’hui à l’étroit dans ses murs genevois et cherche à s’agrandir.
«Pour une costumière, c’est terrible de mettre un costume à la poubelle, pour plein de raisons, entre autres écologiques.» La partie «costumes» du manifeste, à savoir recourir le plus possible au seconde-main et au fait-maison, n’est viable que s’il existe des stocks de costumes à disposition, explique la costumière Valentine Savary, également partie prenante du texte. «Plus il y a de stocks, mieux c’est! Plus un costume est utilisé, plus son bilan carbone se réduit. Pareil pour les chaussures, chapeaux, accessoires en tout genre.»
Le Courrier
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