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Scènes

Le théâtre dans la joie

Brigitte Rosset donne rendez-vous à son public dans Ma cuisine intérieure, solo qui marque ses trente ans de scène. La tournée passe par Fribourg


 Elisabeth Haas

Elisabeth Haas

10 octobre 2020 à 04:01

Interview » Le seule-en-scène la transfigure. Elle y concentre ses talents de comédienne, en donnant à une foule de personnages une vie propre, une identité. «Je raconte mieux les histoires à travers la bouche de plein de personnages», rigole Brigitte Rosset. Le rire, oui, elle sait l’offrir, avec virtuosité. L’actrice assume des solos théâtraux, loin du stand-up. Elle se distingue aussi au théâtre, dans des rôles dramatiques. Elle œuvre sur tous les tableaux, depuis trente ans. Un anniversaire qu’elle fête – en même temps que le cinquantième, en privé – avec Ma cuisine intérieure. Après la première, cette semaine à Yverdon, Brigitte Rosset déposera les masques avec l’arme de l’humour mercredi et jeudi dans la grande salle fribourgeoise d’Equilibre.

Comment s’est passée la création de ce nouveau solo?

Brigitte Rosset: Après sept mois d’interruption, ça faisait longtemps que je n’avais pas connu cette angoisse, cette émotion. Je me réjouis. Quoi qu’il arrive, nous avons pu répéter, je suis allée jusqu’au bout du projet, il est prêt. Je sais que parmi le public, certains attendent, ont peur. Ceux qui seront là auront très envie d’être là.

Y a-t-il des traces de la crisesanitaire dans ce spectacle?

Ce projet est né au Théâtre du Crève-Cœur, la directrice m’a donné une carte blanche lors de la saison 2017-2018. Je rentrais d’un jeûne dans les Alpes-de-Haute-Provence. Mes processus de création d’habitude sont lents. Cette fois c’était rapide. Christian Scheidt m’a accompagnée comme metteur en scène, j’ai eu droit à un laboratoire de création. Puis j’ai pu jouer à Mézières, je suis passée de 60 à 900 spectateurs. Mais le spectacle n’était pas encore arrivé là où j’avais envie de le mener. Je savais que je voulais le reprendre. Grâce au confinement, j’ai eu plus de temps pour peser les choses, me remettre en question. Ce temps a modifié le spectacle.

Ce n’est pas un secret, ce que vous vivez est présent dans vos seule-en-scène…

Comme la vie a toujours un impact sur mes spectacles – je raconte ce que je vis – ma mère y était. Mais elle en avait marre d’être dans mes spectacles. Elle est décédée en janvier. Durant la période de confinement, elle a été là tout le temps. Ma mère a donc fait son retour dans le spectacle, qui parle aussi de son absence. C’est comme si elle existait encore plus. En revanche Jean-Pierre n’existe pas, mais il fait partie de moi. Qu’est-ce qui existe? Qu’est-ce qui est vrai? Ce confinement a aussi mis en évidence ces questions. Qu’est-ce qui est important? Qu’est-ce que j’avais envie de mettre dans ce solo? J’aime la joie que cela me procure d’être sur scène et de donner du plaisir au public. J’ai pris conscience de cette joie-là.

Au début du confinement, je me suis dit que si tout s’arrête, ce n’est pas grave. Mais ce n’est pas vrai. J’aime la scène. J’ai envie de raconter des histoires, observer et parler des gens. Il fallait que j’aime ce spectacle. Je n’ai pas envie de faire un spectacle pour en faire un. J’ai envie d’un vrai rendez-vous.

Après Voyage au bout de la noce, Suite matrimoniale avec vue sur la mère, Smarties, kleenex et Canada Dry et Tiguidou, vous vous intéressez à la mode des semaines de jeûne…

Au début d’un spectacle, il y a toujours une petite chose qui débouche sur tout un questionnement. J’ai rencontré beaucoup de personnes lors du jeûne, j’aime apprendre des gens, j’ai vécu une expérience, qui est la matière de l’histoire que je raconte. Pourquoi un jeûne? J’aime tellement manger, est-ce que j’en étais capable? C’était par défi personnel. Et aussi par curiosité: est-ce que j’arriverais à me vider la tête? Nous avons marché 4 à 5 h par jour, c’est une expérience presque monastique, comme un stage de méditation. Evidemment, perdre 5 kilos en une semaine, c’est aussi très tentant… Certaines personnes deviennent accros au sentiment de puissance qui vient du contrôle de son corps. Je savais que j’aurais des choses à raconter en rentrant.

Et vous avez eu 50 ans en avril, vous ne cachez pas votre âge.

Je n’ai aucun problème avec mon âge. Si je fais quelque chose sur mon visage, il faudra que ça se voie. Mais oui, je me suis posé des questions sur Ma cuisine intérieure. C’est quoi la suite? Après 50 ans, il en reste 30? Je vais essayer de faire ça bien.

Durant votre trente premières années de carrière, vous avez été une actrice complète, on ne peut pas vous coller l’étiquette d’humoriste.

Au début j’ai fait du café-théâtre. Et puis j’ai travaillé au Théâtre de Carouge. Je me souviens des Femmes savantes avec Georges Wilson… J’ai piqué à gauche, à droite, ce dont j’avais envie. J’ai toujours travaillé dans le bonheur et le plaisir de participer chaque fois à une autre aventure. J’ai aussi adoré le rôle de la comtesse dans La fausse suivante, une femme qui a toute une vie, toute une identité en coulisses. Je me réjouis de le rependre en 2022 (interrompues par le Covid-19, les représentations ont été reportées par le Théâtre de Carouge, ndlr).

Vous avez été mise en scène notamment par Georges Wilson, Georges Wod, Gaspard Boesch, Philippe Cohen, Georges Guerreiro, Hervé Loichemol, récemment par Joan Mompart, Robert Sandoz, Jean Liermier…

C’est une vraie chance. J’ai la chance de pouvoir jouer. A part cette année très spéciale, je joue beaucoup. J’aime beaucoup les périodes de répétition, j’aime chercher, me poser des questions, avancer. Les répétitions, ce sont des périodes privilégiées.

Pas de regrets?

J’aurais peut-être aimé vivre l’expérience d’une école de théâtre à plein temps pendant trois ans, mais j’ai fait tellement d’autres choses – j’ai fait une matu commerciale avant des études de lettres –, que ça ne m’a pas manqué. Aller à Paris? Il y a tellement de gens qui ne jouent pas à Paris… J’ai plutôt vécu des spectacles qui ne marchaient pas, mais il y a toujours eu une grande solidarité entre nous.

Pourquoi êtes-vous devenue comédienne?

A 20 ans? C’était pour exister. Pour trouver ma place. J’étais la quatrième d’une fratrie de quatre enfants. Mais je ne le savais pas. C’était inconscient. Aujourd’hui j’aime partager, je sens que je suis au bon endroit, que c’est l’endroit juste pour moi. Je me remets toujours en question, il faut chaque fois trouver la porte, c’est compliqué de trouver le bon endroit dans chaque spectacle, mais je me sens bien là.

Ma cuisine intérieure, spectacle à voir les 14 et 15 octobre à 20 h à Fribourg, sur la scène d’Equilibre.

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