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Scènes

Le bienveillant taille XL

Performeur et metteur en scène romand d’origine néerlandaise, Yan Duyvendak est lauréat du Grand Prix suisse de théâtre 2019


 Ghania Adamo

Ghania Adamo

18 mai 2019 à 04:01

Scène » Yan Duyvendak a un agenda de ministre. Pour pouvoir joindre le performeur et metteur en scène genevois, il faut être très patient et capable d’enjamber les fuseaux horaires. Quand il fait jour chez vous, c’est déjà la nuit chez lui, à Goa en l’occurrence (Inde) où il s’était rendu début mai, juste après un séjour aux Etats-Unis. A Chicago, il avait alors présenté un de ses spectacles les plus connus, qui depuis 2012 tourne dans le monde sous ce titre évolutif Please continue (Hamlet). De ville en ville, le prince du Danemark, meurtrier de Polonius, subit un procès. A Hamlet, Yan Duyvendak colle à chaque halte un personnel judiciaire recruté sur place, qui joue pour de vrai le faux procès du héros shakespearien.

Goa, c’est encore une autre histoire. On y reviendra. Duyvendak en parle dans l’entretien qu’il nous a accordé il y a quelques jours depuis l’Inde… à deux heures du matin. Il faut dire que cet artiste de 54 ans, auteur d’une trentaine de spectacles, ne voit pas la fatigue. Il est comme boosté par ses découvertes planétaires et par cette reconnaissance heureuse: le Grand Prix suisse de théâtre/Anneau Hans Reinhart 2019 qui lui sera remis par l’Office fédéral de la culture vendredi prochain au Théâtre du Crochetan, à Monthey. En attendant, dialogue avec un grand échassier.

Du haut de vos deux mètres, ou presque, comment regardez-vous le monde, avec ironie?

Yan Duyvendak: Non, j’essaie au contraire de poser sur le monde un regard empathique. Tout mon travail s’appuie sur la volonté de dévoiler les codes de la société, les différents modèles qu’on nous propose, tout en essayant de comprendre leur nécessité ainsi que leurs enjeux.

Ces modèles-là font parfois l’objet de critiques dans vos performances. Vous utilisez souvent un écran de télévision, montrant de manière satirique notre asservissement à l’image et notre ferveur à l’égard des grandes figures du cinéma et de la culture pop…

Je ne pense pas être satirique. Une star comme Céline Dion, par exemple, je la regarde avec bienveillance dans Une soirée pour nous. Au début de mes travaux, mon idée première fut de reprendre la voix, les mouvements et gestes de certaines «grandes figures», celle de Dion, entre autres vedettes, de Neo dans le film Matrix (My Name is Neo (for fifteen minutes), une des performances de Duyvendak, ndlr). Ou encore les figures du mal dans le cinéma hollywoodien. Intégrer dans mon corps le langage physique de ces héros me permettait d’en observer le mécanisme; mais aussi de montrer le côté dérisoire de la figure iconique, que je ne m’interdis pas d’aimer du reste. Il y a chez moi ce paradoxe.

Peut-on échapper à la culture pop?

Difficile, car nous sommes en plein dedans. Mais cette culture-là se déployait dans mes créations il y a quelques années déjà. Aujourd’hui je m’en distancie. Mes figures se sont élargies.

Dans votre spectacle interactif Still in Paradise (2008), il y avait au départ la volonté de comprendre la figure du fanatique religieux. Vous êtes allé en Egypte pour interviewer des terroristes islamistes. La démarche était audacieuse, mais naïve. Vous en convenez?

Absolument. Bon… je considère la naïveté comme un premier pas sur le chemin qui mène à la découverte de la différence. J’assume cette naïveté et je l’utilise comme moteur dans mes créations. De mon voyage en Egypte, il m’est resté la rencontre avec un pays et ses habitants, dans leur diversité. De là est issue ma collaboration avec Omar Ghayatt, un artiste égyptien qui a signé avec moi Still in Paradise. Dans ce spectacle, nous nous sommes livrés tous deux au jeu de la confrontation à l’autre. Le ludisme a pris le pas progressivement sur le tragique que provoque «le choc des civilisations».

Votre comédie musicale montée en 2015 s’appelle Sound of Music. Une manière de vous alléger?

Oui. Je voulais donner une forme légère aux angoisses que provoque en moi l’état actuel de la planète. J’ai pensé que c’était la meilleure manière de les rendre supportables. Encore une de mes naïvetés!

Qu’êtes-vous allé faire à Goa?

Un workshop sur la désobéissance civile, mais à dose homéopathique.

C’est-à-dire?

Il s’agit là d’une recherche expérimentale, intitulée Invisible, que je mène dans différents pays depuis quelque temps. Sur place, je recrute dix personnes environ que j’appelle «joueurs», chargés d’intervenir en douceur dans l’espace public. A Goa, nous avons investi des bus, des plages, mais aussi un marché. Mes joueurs en ont bloqué le passage pendant un moment très court. Le but de l’opération était de provoquer une situation étrange qui, contrevenant aux normes, augmente l’attention des joueurs eux-mêmes et celle des usagers du lieu.

Un mot pour conclure. Votre sentiment quant au Grand Prix que vous recevez?

C’est très valorisant. Je doute beaucoup de mes travaux, j’ai l’impression d’en faire trop, passant d’un sujet à un autre, d’une discipline à une autre. Voir que ce prix m’est attribué me fait dire que je ne me trompe pas sur toute la ligne.

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