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Libres comme l'art

Derrière les barreaux. la musique comme moyen d’expression dans les prisons américaines

Aux Etats-Unis, de nombreux artistes enregistrent de la musique en prison, de manière légale ou non. Entre quatre murs, l’art devient leur échappatoire.

Le rappeur J. Cole (à gauche) a aidé le producteur David Jassy, incarcéré au pénitencier de San Quentin, en Californie, à réaliser un album entièrement écrit, interprété et produit derrière les barreaux avec des détenus. © Keystone

Olivier Wyser

Olivier Wyser

29 décembre 2023 à 11:45

Temps de lecture : 1 min

Musique » Au cœur du système carcéral américain, un lieu improbable est devenu une scène de créativité et d’expression: la prison. Derrière les barreaux, là où la liberté est souvent une notion abstraite, des artistes incarcérés transforment leurs cellules en studios d’enregistrement improvisés ou profitent des rares instants où ils ont accès au téléphone, créant des albums et des morceaux de musique qui racontent leur propre histoire de résilience et de rédemption. Des bluesmen d’antan aux rappeurs de notre temps en passant par les rockers du siècle passé, nombreux sont ceux qui ont créé de la musique enfermés entre quatre murs.

Dans les années 1950, l’enregistrement de musique en prison a commencé à gagner en popularité, reflétant les changements sociaux et culturels qui se produisaient à l’époque. Des artistes tels que Johnny Cash ont joué un rôle crucial en capturant l’essence des prisons américaines à travers des performances mémorables en direct et des enregistrements emblématiques, notamment l’album At Folsom Prison enregistré en 1968. Ce légendaire concert de Johnny Cash dans le célèbre pénitencier californien a été un moment charnière, démontrant de quelle manière la musique peut transcender les murs de la prison et donner une voix aux détenus. Dans le même esprit, Bruce Springsteen, en 1972 à la prison de Sing Sing (à quelques heures de route au nord de New York), a apporté sa propre variation, mêlant folk et rock avec l’énergie brute de son E-Street Band.

Catharsis et créativité

Au fil des décennies, la musique enregistrée en prison est devenue une forme d’expression cathartique pour les détenus. Des genres variés tels que le blues, le rap, le gospel et le jazz ont trouvé leur place dans cet espace confiné. Les artistes, souvent issus de milieux marginaux, utilisent la musique comme un moyen de se confronter à leur propre réalité et de partager leurs expériences avec le monde extérieur. A la suite du succès du concert de Johnny Cash à Folsom, d’autres artistes ont fait halte dans des prisons pour des concerts mémorables: du punk des Sex Pistols au blues de John Lee Hooker. Des performances qui ont apporté une aura de rébellion à leurs carrières, montrant que la musique en prison va au-delà de la simple expression personnelle.

Aujourd’hui, de nombreux établissements pénitentiaires américains continuent d’accueillir des programmes artistiques qui permettent aux détenus de s’engager dans des projets musicaux. Des groupes de rap, des chorales gospel et des orchestres de prison se forment, démontrant que la créativité peut fleurir même dans les environnements les plus restrictifs. Pour preuve l’album The San Quentin Mixtape, enregistré par le producteur David Jassy avec des détenus de la prison de San Quentin, dans la baie de San Francisco. Un disque hip-hop et RnB qui a été entièrement écrit, enregistré et produit derrière les barreaux et sur lequel apparaissent des talents confirmés du rap mainstream (J. Cole, Meek Mill, Common, T.I.) qui ont tous passé du temps derrière les murs de la prison pour graver leurs couplets. Même dans les conditions les plus difficiles, la musique est une force d’unification.

Rap et prison

Parmi les genres qui se sont épanouis derrière les barreaux, le rap occupe une place particulière. Les prisons américaines voient émerger une nouvelle génération d’artistes rap, qui utilisent leurs paroles percutantes pour décrire la vie en détention, les injustices qu’ils ont subies et leurs espoirs pour l’avenir. Il existe des programmes institutionnels qui offrent aux artistes les conditions cadres (des studios équipés) pour pouvoir enregistrer de la musique en prison. Ainsi le rappeur Max B – incarcéré depuis 2009 pour complicité d’assassinat et que la presse spécialisée annonçait comme le prochain 50 Cent – a pu sortir ces dernières années plusieurs nouveaux morceaux qui ont trouvé la voie des charts (L’album Negro Spirituals en 2021).

D’autres œuvrent quant à eux dans la clandestinité. Le rappeur Young Scooter a publié en 2013 un album entier au titre évocateur (From the Cell Block to Your Block, littéralement «de la cellule jusqu’à ton immeuble») enregistré au téléphone ou directement au parloir de la prison dans laquelle il purgeait une courte peine, en Géorgie. Cette pratique est courante dans le milieu, d’autant plus qu’avec les outils informatiques modernes, les pistes vocales approximativement enregistrées peuvent être toilettées et améliorées en postproduction.

Le pouvoir de la musique

La musique enregistrée en prison va quelques fois au-delà de la simple création artistique. Elle agit comme une passerelle vers la réhabilitation, offrant aux détenus une chance de se réinventer au-delà de leur statut de criminel. Ainsi Wayne Kramer, leader du groupe MC5, qui a été incarcéré au milieu des années 1970 pour avoir vendu de la cocaïne à un policier en civil à la prison de Lexington, dans le Kentucky, a joué un rôle crucial dans le programme musical de la prison. Sa transformation personnelle et artistique témoigne du pouvoir régénérateur de la musique.

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