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Libres comme l'art

Une philosophe parle de la liberté d’expression

La philosophe Monique Canto-Sperber a consacré un ouvrage à la liberté d’expression. Elle répond à quelques questions sur ce vaste sujet.

Selon Monique Canto-Sperber, certains ont le sentiment que l'on ne peut plus rien dire parce que des tentatives de censure du langage existent. © Adobe Stock - photo prétexte

Tamara Bongard

Tamara Bongard

29 décembre 2023 à 16:40

Temps de lecture : 1 min

Ouvrage » Brandie à tout-va pour justifier le droit d’avancer des thèses complotistes, pour assumer des gags pas très fins ou pour défendre le point de vue de minorités opprimées, la liberté d’expression est un animal dont les contours varient selon le locuteur, allant de «on ne peut plus rien dire» à «nous vivons à l’ère d’une parole nauséabonde décomplexée». Mais dans le fond, quelle est cette bestiole indispensable au débat public, à la démocratie et donc à la liberté en général? Monique Canto-Sperber, directrice de recherche au CNRS, philosophe, spécialiste de la pensée morale et politique et présidente du think tank Génération libre, a publié un ouvrage complet et plein de nuances sur la question: Sauver la liberté d’expression (Ed. Albin Michel, coll. Espaces libres). Elle a bien voulu répondre à nos questions.

Commençons par le début. Qu’est-ce que la liberté d’expression?

Monique Canto-Sperber: C’est le droit reconnu aux individus de pouvoir exprimer leurs opinions qui, dans la plupart des législations, est assorti de limites ayant trait d’une part au fait de ne pas nuire à autrui et d’autre part au fait de ne pas porter atteinte aux règles permettant la vie commune. C’est à ce titre que l’injure et la provocation à la haine sont condamnées. Quant à la liberté d’opinion, autrefois appelée la liberté de conscience, elle est considérée comme sans limites.

L’étendue de la liberté d’expression ne peut donc se discuter qu’au cas par cas…

L’application des limites impose de tenir compte, selon les systèmes juridiques, de l’intentionnalité et du contexte, par exemple si un propos est tenu dans un contexte ironique ou s’il s’agit d’une citation. De même, lorsqu’une expression qui pourrait sembler raciste est prononcée clairement dans une intention humoristique, à la faveur d’un jeu de mots ou reprise d’un texte littéraire, elle ne sera pas interprétée de la même manière que lors d’une situation de communication ordinaire.

Dans votre ouvrage, vous dites par exemple que l’expression artistique demande l’impunité…

On ne peut pas imputer d’emblée à l’auteur d’un roman les idées de ses personnages. Si, dans un roman, un caractère romanesque développe par exemple des thèses antisémites, on peut les considérer comme des citations ou des propos rapportés et non comme le point de vue de l’auteur. On fait alors l’hypothèse d’une distanciation irréductible, en général, dont le juge, en cas de poursuite, devra décider jusqu’à quel point elle est justifiée. Mais il y a des cas où les propos de l’humoriste ou du romancier reflètent des opinions qu’il exprime par ailleurs, par exemple dans des déclarations publiques. Les passages antisémites que l’on trouve par exemple dans Bagatelle pour un massacre, le texte de Céline, reflètent assez fidèlement des convictions qu’il a eu maintes fois l’occasion d’exprimer.

Vous dites que dans le milieu de l’art et le milieu académique, toutes les idées doivent pouvoir être discutées…

Si elles sont dans les limites légales. Dans une salle de séminaire, une idée peut être exposée avec des arguments, des contre-arguments et des objections. En revanche, si dans cette salle un participant s’adresse à quelqu’un avec une expression injurieuse, il sort du cadre de la loi.

Vous citez des exemples d’universités où les débats ne peuvent plus avoir lieu.

Oui, dans certains établissements américains s’est imposé un soupçon généralisé où beaucoup de propos pouvant sembler insignifiants et sans aucune intention injurieuse sont interprétés comme étant offensants pour des minorités. Par exemple, une expression pouvant être banale comme «En Amérique, tout le monde a sa chance, quelle que soit la couleur de sa peau» pourra être interprétée par des membres d’une minorité raciale comme une forme de méconnaissance totale de ce qui a été un long passé de domination.

Quelles en sont les conséquences?

D’abord l’autocensure, chez ceux qui redoutent d’être les victimes de groupes militants qui s’attribuent le droit de définir ce que l’on peut dire et ce qu’il faut taire, c’est-à-dire qu’ils s’attribuent les règles qui définissent la liberté d’expression. Aussi convaincus soient-ils de défendre une juste cause, il reste que c’est à la justice, et non à des groupes d’activistes, de le faire. Dans les pays libéraux, les limites de la liberté d’expression permettent tout de même la provocation, la transgression, les pensées non conformistes.

Comment éviter que cela n’arrive en Europe?

C’est déjà un peu le cas. Nous parlons du mouvement woke, c’est-à-dire du mouvement ayant une attitude de vigilance face aux propos qui peuvent paraître à première vue insignifiants mais qui peuvent être soupçonnés d’avoir un implicite de méconnaissance des souffrances des minorités concernant leur identité, leur ethnicité, leur orientation sexuelle et les rapports hommes-femmes, surtout quand ils sont prononcés par des membres des catégories dominantes, en particulier par les hommes blancs.

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