Sofiane Hadjadj, l’éditeur qui porte les voix d’Alger
Invité à Genève, l’éditeur Sofiane Hadjadj porte l’écho d’un Maghreb littéraire osant défier la chape du conservatisme. Interview.
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17 novembre 2023 à 14:20
Edition » «Moi, à votre place, je resterais pas ici», lance le chauffeur de taxi à ce couple de jeunes Algérois qui tentent simplement de vivre, de s’aimer, de s’amuser pourquoi pas, dans ce pays grand comme le désarroi. Ce sont Des choses qui arrivent, du titre de ce recueil de nouvelles signé Salah Badis, qui donne voix à l’Algérie contemporaine, à ses désirs blessés, à ses douleurs mal enfouies. L’écrivain et traducteur, figure de la relève littéraire arabophone, présentera son livre la semaine prochaine à l’occasion de la Fureur de lire à Genève, festivités de caractère qui mettent à l’honneur cette patrie camusienne.
L’occasion aussi de célébrer le lancement d’une collection qui, en associant les Editions Philippe Rey en France et les Editions Barzakh en Algérie, entend donner meilleur écho à ce Maghreb qui s’écrit en arabe et au présent. Une littérature «malheureusement encore transgressive» au sein d’une société toujours bâillonnée par le conservatisme, et dont Sofiane Hadjadj, éditeur de Kamel Daoud ou Kaouther Adimi, porte le flambeau depuis deux décennies. Interview.
En 2000, dans quel climat culturel avez-vous fondé votre maison d’édition avec votre épouse Selma Hellal?
Sofiane Hadjadj: Nous sortions tout juste de la «décennie noire», ces années de guerre civile entre groupes terroristes islamistes et armée nationale, qui, avec 200 000 morts, demeure l’un des plus grands conflits de la fin du XXe siècle. Cette tragédie a contraint une majorité des élites à s’exiler, à l’instar de nombreux écrivains algériens qui ont trouvé refuge en Egypte ou au Liban pour les arabophones, en France pour les francophones. Nous sommes donc arrivés au milieu d’un champ de ruines culturel et politique. Dès la fondation de notre maison, les propositions ont afflué, ce qui nous a permis de publier nos premiers livres en 2000, avec tout de suite cette cohabitation dans notre catalogue de l’arabe et du français.
Pourquoi avoir appelé votre maison Barzakh?
C’est un mot arabe qui signifie «l’entre-deux», car nous sommes à la fois entre deux langues mais aussi entre deux sociétés, entre deux situations politiques. A l’époque, nous étions surtout pris en étau entre le discours univoque de la politique d’Etat, répressive et patriotique, et celui tout aussi univoque de l’intégrisme islamique. Nous voulions au contraire affirmer la littérature comme territoire de la nuance, de l’ambiguïté, de l’ambivalence, «territoire où le jugement moral est suspendu» comme l’écrit Kundera. Nos livres ne disent pas le bien et le mal, mais évoquent la société dans toutes ses contradictions.
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