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Culture

«Il n’est rien qui soit contre nature»

Le monde animal est plein d’une étonnante diversité, que ce soit en matière de sexes ou de genres

Chez les moutons des deux sexes, les comportements homosexuels sont fréquents. Six pour cent des boucs ne s’accouplent qu’avec des boucs.

 Aude-May Lepasteur

Aude-May Lepasteur

27 avril 2021 à 04:01

Berne » Dans la nature, il y a les mâles et les femelles, ceux qui chassent et celles qui gardent les enfants, ceux qui pénètrent et celles qui sont pénétrées. C’est comme ça. Et c’est bien la preuve que ça doit toujours rester comme ça. Pas si vite papillon! Non seulement la nature est incroyablement plus diverse que ce qu’on imagine, mais encore elle est un mauvais étalon pour évaluer les identités et pratiques humaines. Interview de Simon Jäggi et Christian Kropf, cocurateurs de l’exposition que le Musée d’histoire naturelle de Berne consacre à la queerness dans toutes ses dimensions.

Votre exposition est intitulée Queer - La diversité est dans notre nature. Que veut dire queer?

Simon Jäggi: Le mot anglais queer a d’abord été utilisé comme une insulte pour dénigrer les personnes qui ne s’inscrivaient pas dans les grandes catégories traditionnelles, comme «homme», «femme», «hétérosexuel». Il a ensuite été récupéré et réinvesti par ces personnes et désigne aujourd’hui la diversité de sexes, de genres, d’orientations sexuelles ou de pratiques sexuelles (voir ci-dessous).

Vous parlez de diversité de sexes. On a longtemps pensé celui-ci sous la forme d’une dichotomie opposant «masculin» et «féminin». Or, la science a montré que c’était un peu plus compliqué…

S. J.: Le sexe est un phénomène très complexe. On le comprend aujourd’hui davantage en termes de spectre, avec d’un côté le masculin et de l’autre côté le féminin et toute une variété de possibles entre deux. Il y a sept aspects qui entrent en compte pour définir votre sexe: les appareils génitaux externes, internes, les chromosomes, les hormones, les cellules, la structure du cerveau, les pensées et émotions. Ce dernier point dépend d’éléments biologiques mais aussi d’éléments sociaux. Il est tout à fait possible d’avoir des organes génitaux masculins et une structure du cerveau féminine, par exemple. Le corps masculin ou féminin type est un mythe.

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aspects sont pris en compte pour définir votre sexe.

Est-ce que cette diversité comporte un avantage pour la survie de l’espèce?

S. J.: Savoir si la diversité des sexes chez les humains est un avantage sur le plan de l’évolution est une question difficile à laquelle je n’ai pas la réponse. L’évolution a créé dans le monde animal et chez les êtres humains de nombreux phénomènes qui n’ont pas forcément d’utilité pour la survie de l’espèce. Le sexe oral, par exemple, ne permet pas la reproduction, mais cette pratique s’est perpétuée parce qu’elle ne nuisait pas non plus, et était peut-être avant tout amusante.

Christian Kropf: L’utilité d’un phénomène peut être indirecte. On recense au moins 1500 espèces qui ont des rapports sexuels de type homosexuel. Chez les bonobos, ils permettent de réduire les tensions.

Existe-t-il également une diversité en matière de genre?

S. J.: Oui, il y a également un haut niveau de diversité dans ce domaine. Par exemple, les mâles du casoar à casque et du phalarope à bec étroit élèvent seuls leurs bébés, la femelle jacana noir et celle du poisson-clown ont des harems de mâles. Dans le cas des poissons-clowns, l’histoire est plus étonnante encore: si la femelle meurt, un des mâles du harem change de sexe pour la remplacer. Dans la nature, il n’y a rien qui n’existe pas.

Tout de même, en termes de survie, cela n’aurait-il pas été plus efficace d’avoir 50% de poissons-clowns mâles et 50% de femelles? Pourquoi ces différents rôles de genre?

C. K.: On ignore pourquoi exactement il en est ainsi pour le poisson-clown. Mais on sait par contre que l’attitude dominante des femelles hyènes tachetées, leur agressivité, est liée à un taux de testostérone supérieur à celui des mâles. Elles ont d’ailleurs un pseudo-pénis.

La question de savoir ce qui est naturel sous-tend toute l’exposition. Elle est aussi au cœur du débat de société qui se joue aujourd’hui autour du sexe, du genre, de l’orientation et des pratiques sexuelles. Pourtant, le fait qu’une chose soit «naturelle» ou «contre nature», est-ce vraiment un argument? Il y a bien des choses dans le monde animal que les sociétés humaines rejettent…

Repères

Sexe

Le sexe biologique est défini par la combinaison complexe de plusieurs facteurs, dont l’appareil reproducteur.

Genre

Par genre, on entend les attentes, les idées et les idéaux qu’une société a concernant le comportement des hommes, et réciproquement des femmes.

Orientation sexuelle

L’orientation sexuelle désigne le sexe par lequel les êtres humains se sentent attirés d’un point de vue sexuel et romantique.

Source

Adapté de l’exposition Queer.

S. J.: Par définition, il n’y a rien dans la nature qui soit «contre nature», justement parce que c’est dans la nature. L’homosexualité, la transidentité par exemple ne sont pas «contre nature». Ce sont des phénomènes relativement courants. Mais on ne devrait pas se fonder sur les animaux pour déterminer ce qui est bon ou bien pour les êtres humains. Ce n’est pas pertinent. D’abord parce qu’il existe beaucoup de pratiques dans le monde animal qui sont inacceptables pour les hommes, comme l’infanticide, le viol. Ensuite parce que l’homme est un être culturel. Ce n’est pas parce que certains animaux mangent des champignons à quatre pattes dans la forêt que nous le faisons, car nous avons développé l’art de la cuisine.

Savoir si une personne peut changer d’identité sexuelle, remettre en question son identité de genre, se réclamer d’une orientation sexuelle hétérodoxe sont des questions morales. Nous devons les négocier dans le débat social. Personnellement, je suis convaincu que nous sommes tous gagnants lorsque nous nous détachons de notre pensée binaire. Cela nous rendrait tous un peu plus libres.

Queer - La diversité est dans notre nature, Musée d'histoire naturelle de Berne, jusqu’au 10 avril 2022.

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