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Écrans

Un petit condensé du grand Pedro Almodóvar en 61 minutes

Un peu frustrantes, ces deux nouvelles œuvres de l’Espagnol valent malgré tout le coup d’œil.


Etienne Rey

Etienne Rey

14 août 2023 à 20:40

Sorties » Petit événement cette semaine sur les écrans romands puisque sortent deux films de Pedro Almodóvar, deux courts-métrages qui sont présentés en un double programme de soixante minutes et qui n’ont en commun que le fait d’être les premières œuvres du réalisateur à être tournées en anglais. Le premier, La voix humaine, a été réalisé en 2020 après l’autobiographique Douleur et Gloire et le deuxième, Strange Way of Life (à Cannes cette année), suit le très beau Madres Paralelas, dernier long-métrage en date du cinéaste.

La voix humaine

Pedro Almodóvar s’est déjà inspiré de la pièce de Jean Cocteau La voix humaine, écrite en 1929 et racontant l’effondrement puis la tentative de réconciliation par téléphone d’une femme récemment quittée par son amant. Le texte était cité à plusieurs reprises dans La loi du désir (1987) puis avait servi de base au scénario de son projet suivant, envisagé d’abord comme une retranscription fidèle du monologue de Cocteau avant d’être enrichi d’éléments inédits qui allaient donner Femmes au bord de la crise de nerfs (1988).

 

 

Le metteur en scène garde l’argument de base mais actualise le propos pour en faire, selon lui, un récit d’émancipation par l’autodestruction (il s’inscrit donc parfaitement dans la continuité thématique de Douleur et gloire) qui intégrerait sa propre conception de la femme d’aujourd’hui. Cette modernisation est à double tranchant car si le téléphone était une nouveauté à l’époque, il ne revêt plus le même statut aujourd’hui. En mettant cette invention révolutionnaire au centre de sa pièce, Jean Cocteau déplorait une certaine détérioration des rapports humains. Une dimension essentielle qui disparaît ici pour faire place effectivement à un récit d’émancipation mais surtout à un exercice de style, certes élégant mais un peu vain, fortement théâtralisé (la caméra dévoile les coulisses du plateau), fétichisé (Tilda Swinton change quatre fois de robe) et plein d’artifices dont il est parfois difficile de percevoir la pertinence ou le sens caché.

Strange Way of Life

Artificielle, cette première incursion du réalisateur dans le western aurait pu l’être également tant le projet, produit par la maison Saint-Laurent ainsi que chapeautée et habillée par son directeur artistique Anthony Vaccarello, sentait l’opération marketing à plein nez. Pourtant, malgré ses atours inhabituels, le film porte bel et bien la signature du maestro madrilène. Les thématiques, homosexualité et résurgences du passé, sont au cœur de toute sa filmographie et ici, son art de la mise en scène flamboyante et colorée se reconnaît dès les premiers photogrammes. La veste verte portée par l’un des personnages est d’ailleurs emblématique à la fois de l’audace du cinéaste, de sa complicité avec son costumier mais aussi de sa cinéphilie, le blouson faisant référence à Les Affameurs (1952) d’Anthony Mann.

C’est par amour du cinéma aussi que Pedro Almodóvar a tourné cette passion contrariée entre deux cow-boys destinés à s’affronter à Almeria, dans des décors jadis utilisés par Sergio Leone pour sa «trilogie du dollar». Il dit avoir aimé filmer ce lieu mythique devenu plus authentique au fil des années et de la poussière accumulée. Ce deuxième court-métrage est donc à nouveau d’une élégance folle, très réfléchi dans ses choix d’images et de mots, très bien interprété par Pedro Pascal et Ethan Hawke, mais serait presque trop condensé. Comme si l’auteur avait dû compiler ses idées en trente minutes alors qu’il aurait été plus à l’aise à étirer son intrigue prometteuse sur une durée plus conventionnelle. C’est d’autant plus frustrant pour les admirateurs du réalisateur, réduits dès lors à fantasmer le potentiel nouveau chef-d’œuvre qu’il aurait pu livrer…

 

 

Bien que très différents en apparence, ces deux luxueux exercices de style ont donc aussi en commun de laisser le spectateur sur sa faim tout en prouvant que n’importe laquelle des œuvres d’Almodóvar (hormis Les amants passagers!) est toujours un peu au-dessus de la moyenne.

 

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