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Retour en majesté

Mutilé à sa sortie en 1973, Ludwig de Luchino Visconti retrouve sa flamboyante splendeur dans une impeccable édition Blu-Ray/Ultra HD

Face à Helmut Berger, Romy Schneider illumine de sa présence les froides nuits bavaroises.

 Eric Steiner

Eric Steiner

25 mars 2023 à 02:01

Film » Evénement pour les amateurs de grand cinéma classique: un demi-siècle après sa sortie, Ludwig: Le Crépuscule des dieux, le chef-d’œuvre de Luchino Visconti, fait l’objet d’une édition numérique digne de son cultissime statut. Restauré et numérisé en 4K, l’un des films les plus maltraités du septième art – mutilé par les distributeurs et la censure, dénigré par la critique et boudé par le public – ressuscite donc enfin dans sa version intégrale de quatre heures.

Après Les Damnés (1969) et Mort à Venise (1971), ce troisième volet de la «trilogie allemande» du maestro italien narre le destin tragique et fascinant du roi Louis II de Bavière, de son couronnement à 19 ans en 1864 jusqu’à sa mort mystérieuse en 1886. Film démesuré au budget colossal, ce requiem flamboyant dépeint la funeste déchéance d’un souverain incapable de maîtriser la réalité, piètre politicien mais visionnaire amoureux des arts qui met son énergie à concrétiser ses rêves les plus fous, quitte à vider les caisses du royaume sans se préoccuper des ambitions conquérantes de la Prusse de Bismarck. Passionné à l’excès par la musique de Richard Wagner, le jeune roi l’invite à Munich et l’entretient à grands frais tout en entreprenant la construction des châteaux extravagants qui font aujourd’hui le bonheur de l’office du tourisme bavarois et qui ont servi de décors au film de Visconti, presque entièrement tourné sur place.

Au fond d’un lac

Entre l’amour platonique qu’il voue à sa cousine Sissi (Elisabeth, impératrice d’Autriche) et son attirance pour les hommes qu’il tente vainement de refouler, Ludwig se mure peu à peu dans une solitude morbide avant de sombrer dans la folie et d’être destitué pour finir sa vie au fond d’un lac dans des circonstances jamais éclaircies. «Ludwig, déclarait Visconti, est un personnage éminemment sympathique parce que, tout roi qu’il soit, c’est un vaincu, une victime de la réalité. Je ne m’intéresse pas aux héros. Je suis à la recherche de l’homme.»

Pour figurer cet être «à l’extrême limite de l’exceptionnel», Visconti choisit une nouvelle fois Helmut Berger, avec qui il entretient une chaotique relation amoureuse et qu’il avait déjà dirigé dans Les Damnés. L’acteur autrichien, dont la beauté n’a d’égal que son caractère arrogant et ses humeurs imprévisibles, se glisse avec un mimétisme confondant dans la peau de son pathétique modèle, mélange fascinant de narcissisme et de fragilité.

Et pour jouer Sissi, qui d’autre que Romy Schneider? Devenue une icône du cinéma français, la muse de Claude Sautet (lire l’encadré) ne voulait plus rien savoir du personnage rose bonbon qui 15 ans plus tôt avait fait de l’adolescente viennoise une star mondiale. Mais à Visconti, qui l’a dirigée au théâtre et à l’écran (un sketch de Boccace 70) et qu’elle admire profondément, elle ne saurait rien refuser. Et même si elle n’apparaît qu’une vingtaine de minutes, elle illumine de sa présence la froideur des nuits bavaroises (le film a été tourné en hiver), figurant une Sissi plus conforme à la réalité historique, séduisante mais ambiguë, et au caractère bien trempé.

Le montage original de ce film aussi démiurgique que son sujet durait 4 heures 30. Beaucoup trop long pour le coproducteur américain, qui exige une version considérablement raccourcie! Très éprouvé par une attaque cérébrale survenue à la fin du tournage, Visconti accepte de remonter le film, sacrifiant sa dramaturgie linéaire pour une construction en flash-backs de trois heures: un véritable massacre selon de nombreux collaborateurs du maestro italien. Pire, en Allemagne, la censure coupe encore une cinquantaine de minutes, histoire de supprimer toute allusion à l’homosexualité du souverain.

Echec critique et public cuisant lors de sa sortie en salles en 1973, Ludwig prendra ensuite la poussière pendant une décennie au fond d’obscurs tiroirs avant d’être vendu aux enchères après la faillite du producteur américain.

Pour honorer la mémoire de Visconti, disparu en 1976, ses plus proches collaborateurs, emmenés par la scénariste Suso Cecchi d’Amico, en profitent pour racheter le film et le remonter selon la volonté de son auteur. C’est cette version définitive de 235 minutes, magnifiquement restaurée et numérisée en 2022, qui fait aujourd’hui l’objet d’une édition définitive sur support Blu-Ray et Ultra HD, rendant pleinement justice à une œuvre d’une stupéfiante beauté baignée par les mélancoliques harmonies wagnériennes, une symphonie visuelle et sonore que l’on ne se lasse pas de redécouvrir.

Luchino Visconti, Ludwig: Le Crépuscule des dieux, 3 disques Ultra HD+Blu-Ray, Studiocanal.

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