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Histoire vivante

Charlie Chaplin, l’ennemi juré du FBI

Soupçonné de communisme, Charlot s’est vu retirer son visa américain. Il a trouvé refuge en Suisse

Charlot a été surveillé durant des années par les services secrets américains pour suspicion d’activités communistes.

 Pascal Fleury

Pascal Fleury

2 mai 2019 à 04:01

Cinéma » Le 2 août 1952, lorsque Charlie Chaplin organise l’avant-première de son film Les Feux de la rampe à Los Angeles, devant un parterre de 200 invités et amis, dont le producteur David Selznick, les stars Ronald Colman et Humphrey Bogart, ou la milliardaire philanthrope Doris Duke, personne n’imagine que cette projection marque les adieux de Charlot à Hollywood. Dans la salle, c’est l’ovation pour ce «grand moment d’histoire et d’émotion dans l’histoire du cinéma», écrit alors Sidney Skolsky, chroniqueur du New York Post.

La première mondiale du film étant prévue en octobre à Londres, Chaplin, qui a conservé sa nationalité britannique, sollicite un visa de retour. Mais le Service de l’immigration tarde à répondre, tandis que le fisc exige une rallonge d’impôts «à six chiffres». A quelques semaines du départ, quatre fonctionnaires débarquent dans sa véranda, avec enregistreurs et machine de sténotypie. «Votre véritable nom est-il Charles Chaplin?», commence l’un des enquêteurs. L’interrogatoire dure trois heures. Les questions fusent: «Vous dites que vous n’avez jamais été communiste? Dans un discours, vous avez pourtant dit «Camarades» au public? Avez-vous jamais commis l’adultère? Combattriez-vous pour les Etats-Unis?» Chaplin répond calmement. Et reçoit finalement le visa la veille du départ pour New York. «J’espère que vous passerez de bonnes vacances, Charlie… et rentrez vite au pays!», sourit le chef de service.

Cauchemar sur l’Atlantique

Mais alors que la famille Chaplin se trouve au milieu de l’Atlantique, à bord du Queen Elizabeth, le célèbre comique reçoit un télégramme de James McGranery, ministre de la Justice du gouvernement de Harry Truman, lui annonçant l’annulation de son visa. «Il n’avait le droit de retourner aux Etats-Unis qu’à condition de faire une demande comme un immigrant ordinaire et de repasser par Ellis Island», se souvient Jerry Epstein, collaborateur personnel de Chaplin. Et de commenter: «Ce que Charlie avait programmé comme de brèves vacances pour montrer Londres à son épouse Oona O’Neill se transforma subitement en cauchemar.» Oona réussit toutefois à retourner discrètement aux Etats-Unis pour récupérer la fortune de l’artiste, à la barbe du gouvernement.

Mais pourquoi le vagabond au cœur d’or du Kid (1921) ou des Lumières de la ville (1931) est-il devenu la cible de l’agence de renseignement FBI et de son redoutable directeur Edgar Hoover? Enfant de la balle, avec un père alcoolique et une mère malade, Charlot a certes révélé à travers toute sa filmographie qu’il avait le «cœur à gauche». Il a pris fait et cause pour les miséreux (Le Vagabond, 1915), les orphelins (Le Kid, 1921), les artistes (Le Cirque, 1928), les ouvriers exploités (Les Temps modernes, 1936), les soldats envoyés au front comme «chair à canon» (Le Dictateur, 1940).

Certes, après la sortie de La ruée vers l’or, en 1925, Charlot a déjà été considéré comme un «rouge». Le poète péruvien César Vallejo voit alors en lui «un communiste intégral», le «suprême poète de la misère humaine». Certes, dans le discours final du Dictateur, le petit barbier juif martèle certaines convictions de gauche: «Le pouvoir ravi au peuple retournera au peuple.» Mais l’«agitateur de paix» moustachu a toujours refusé le qualificatif de «communiste».

«Le pire lynchage»

Chaplin l’a maintes fois souligné devant les médias, comme à la sortie de Monsieur Verdoux, en 1947: «La vie devient si technique que si vous enjambez le rebord du trottoir du pied gauche, on vous accuse d’être communiste! Je n’ai jamais appartenu à un parti et n’ai jamais voté de ma vie.» Mais les médias et le FBI s’acharnent, tentant de piéger l’idole de millions de gens, qui a côtoyé les plus grands de ce monde, d’Einstein à Gandhi, de Bernard Shaw à Dali. Ce fut le «pire lynchage auquel on ait jamais assisté», commentera le réalisateur Orson Welles.

Chaplin explique lui-même l’origine possible de ce harcèlement: en 1942, le Comité américain pour le secours sur le front russe lui a demandé de remplacer au pied levé l’ambassadeur des Etats-Unis à Moscou lors d’un meeting à San Francisco. A cette occasion, il lance un vibrant «Camarades!» devant l’assistance, insistant sur le courage du peuple russe face aux nazis. «Je n’ai pas cessé de m’en mordre les doigts depuis lors», raconte-il dans ses mémoires. De fait, la même année, il prononce deux autres discours orientés très à gauche lors d’un meeting syndical et d’une rencontre du Front des artistes.

« Si vous enjambez le rebord du trottoir du pied gauche, on vous accuse d’être un communiste »

Charlie Chaplin

La pression de la Commission parlementaire sur les activités antiaméricaines (HUAC) s’accentue dans une ambiance malsaine de «chasse aux sorcières». De nombreux artistes sont visés. Au Congrès, le représentant du Mississippi John Rankin exige l’ouverture d’une procédure d’expulsion à l’encontre de Chaplin, dont les films «corrompent la jeunesse». Boycotté par une partie du public, l’artiste réplique, soutenu par une pétition d’artistes européens, lancée par Pablo Picasso.

Chaplin se plonge dès lors dans l’écriture des Feux de la rampe, surmontant les épreuves grâce à la stabilité affective offerte par son épouse Oona et ses enfants. En janvier 1953, après le lancement du film en Europe, il trouve refuge en Suisse, au manoir de Ban à Corsier-sur-Vevey, qui abrite aujourd’hui le musée Chaplin’s World. Charlot ne retournera à Los Angeles qu’en 1972 pour recevoir un Oscar d’honneur. Le public lui réservera une ovation de 12 minutes, la plus longue, dit-on, de toute l’histoire d’Hollywood!


Pénibles divorces et procès en paternité

Si Charlot apparaît comme l’éternel amoureux, Chaplin était un grand séducteur. Les femmes lui ont coûté très cher…

C’est peut-être la rançon de la gloire. Charlie Chaplin a subi plusieurs divorces très médiatisés avant de trouver le réconfort et la stabilité familiale auprès de sa quatrième épouse, Oona O’Neill, qui lui a donné huit enfants, devenus la plupart artistes. Son premier divorce, en 1921, lui a coûté 100’000 dollars et a failli faire capoter le projet du Kid. Chaplin avait épousé l’actrice Mildred Harris (16 ans) en 1918, alors qu’elle était enceinte. L’enfant est mort peu après sa naissance.

Sa séparation de sa 2e femme, Lita Grey, en 1927, a été beaucoup plus douloureuse. Il l’avait rencontrée à l’époque de La ruée vers l’or, alors qu’il avait 35 ans et elle 16. Tombée enceinte durant le tournage, elle refuse l’idée d’un avortement. Chaplin, menacé d’un procès pour détournement de mineure, l’épouse en toute discrétion au Mexique. Deux enfants naissent de cette union, Charles et Sydney, qui joueront dans Les feux de la rampe. Lita, qui se sent brimée et délaissée, demande vite le divorce. Ses avocats mènent alors une campagne de presse très violente. Pour sauver son image, Chaplin doit débourser une somme record pour l’époque, équivalant à 15 millions de dollars d’aujourd’hui. Sa séparation de l’actrice Paulette Goddard, qui a joué dans Les Temps modernes (1936), s’est en revanche réglée à l’amiable.

Pour le séducteur Charlot, la pire aventure se nomme toutefois Joan Barry. Cette jeune actrice instable et violente accouche d’une fille en 1943. Elle obtient un procès en reconnaissance de paternité. Le FBI inculpe Chaplin pour relations sexuelles illicites. L’artiste est disculpé par l’analyse sanguine, mais tout de même condamné à payer une pension à l’enfant. PFY

Radio: Ve: 13 h 30

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