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Histoire vivante

Ces villes qui s’enfoncent en bord de mer

Climat • Le problème est pire que la montée des océans: certaines cités côtières s’affaissent de plusieurs centimètres par an. Dans les deltas, l’érosion est aussi préoccupante. Face aux risques accrus d’inondations, les experts rament.


Pascal Fleury

Pascal Fleury

16 mars 2016 à 19:17

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Le phénomène est largement méconnu et pourtant plus préoccupant dans certaines zones côtières que la montée des mers liée au changement climatique. De nombreuses métropoles à travers la planète, comme Thessalonique, Bangkok, Manille, Djakarta, Shanghai ou La Nouvelle-Orléans, s’enfoncent de plusieurs centimètres par an et sont ainsi toujours plus vulnérables aux inondations.

«Ces phénomènes d’affaissement, appelés «subsidence urbaine», sont observés surtout dans les mégapoles asiatiques, moins en Europe. Ils sont assez localisés, mais peuvent être largement plus importants que l’élévation actuelle du niveau de la mer. Ils sont caractéristiques des villes où il y a beaucoup d’extraction d’eaux souterraines», explique le chercheur Gonéri Le Cozannet, de la direction Risques et préventions au Bureau français de recherches géologiques et minières (BRGM).

Risques d’inondations

Cette baisse de niveau du sol urbain, cumulée à la hausse du niveau marin, augmente considérablement les risques d’inondations mais peut aussi entraîner un recul des côtes. Une étude menée par des chercheurs français* a ainsi mis le doigt sur le cas de Thessalonique. Dans cette cité grecque, le pompage d’eaux souterraines, mais aussi d’autres processus tels que des tassements de sédiments profonds sous les effets de la charge, ont entraîné des affaissements allant jusqu’à 5 cm par an dans certaines zones, mais également un recul du trait de côte atteignant 2 km par endroits dans la plaine côtière.

Haute précision

A Manille, capitale côtière des Philippines de plus de 16 millions d’habitants, des phénomènes de subsidence pouvant atteindre 6,7 cm par an ont été mesurés grâce à l’observation satellitaire. La mesure par satellite s’impose désormais, les traditionnels marégraphes enregistrant le niveau de la mer pouvant eux-mêmes être affectés par les affaissements de terrain.

«La déformation du sol à proximité des marégraphes fausse les mesures. C’est pourquoi nous faisons appel à des types de mesures complémentaires. Nous utilisons par exemple le système GPS, mais aussi l’interférométrie radar satellite qui, en fonction de la quantité des données acquises, peut mesurer des déformations proches du millimètre par an», précise Daniel Raucoules, un autre expert du BRGM.

La mégapole indonésienne de Djakarta, qui a connu un très important développement industriel et commercial ces trois dernières décennies, subit aussi sévèrement le phénomène d’affaissement de terrain. Selon une étude de 2011 de l’Institut technologique de Bandung, la subsidence s’est située en général entre 1 et 15 cm par an depuis 1982, avec des zones s’affaissant jusqu’à 28 cm par an dans des endroits extrêmes.

Là aussi, l’exploitation intensive des nappes phréatiques est en cause, mais aussi le poids des constructions, qui ont tassé des sols hautement compressibles, ou encore la consolidation naturelle des sols alluviaux. La capitale indonésienne est régulièrement sujette à des inondations dramatiques pour la population et l’économie. En 2014, elle s’est lancée dans la construction d’une «grande muraille» maritime de 35 km pour lutter contre ce fléau et reconquérir des terres sur la mer.

Le cas de Shanghai est particulièrement parlant. Dans cette métropole en pleine expansion, l’extraction d’eaux souterraines a été énorme au début du XXe siècle. Selon des études chinoises, la subsidence a eu des effets dévastateurs. «Dans certains secteurs, le sol s’est affaissé d’un mètre», souligne Gonéri Le Cozannet. «Ensuite, les extractions d’eaux souterraines ont été limitées. Mais malgré tout, le sol a continué à baisser, s’adaptant au changement de contenu hydrique dans les sédiments.»

D’autres phénomènes peuvent expliquer l’abaissement de certaines villes côtières par rapport au niveau marin. L’un d’eux, nommé scientifiquement «ajustement isostatique postglaciaire», concerne New York et une partie de la côte est des Etats-Unis. «Il faut se souvenir qu’il y a 20 000 ans, le nord de l’Amérique se trouvait sous 3 à 4 km de glace», raconte le professeur Guy Wöppelmann, de l’Université de La Rochelle. «Lorsque les glaces ont fondu, les zones allégées d’un grand poids ont rebondi, sauf en périphérie de l’ancienne calotte glaciaire, où le sol s’est abaissé.» C’est ce mouvement vers le bas qui se poursuit aujourd’hui, obligeant New York à revoir ses structures contre les inondations.

En 2012, la Grosse Pomme avait été durement touchée par l’ouragan Sandy, qui avait plongé un million d’habitants dans le noir et fait de gros dégâts. L’an dernier, des scientifiques ont averti, dans la revue «Proceedings of the National Academy of Sciences», qu’en raison du réchauffement global et de l’élévation du niveau des mers, de graves inondations auraient lieu tous les 25 ans sur le littoral des Etats-Unis dans les environs de New York et du New Jersey.

A noter qu’aux Etats-Unis, des cas de subsidence urbaine existent aussi, par exemple à La Nouvelle-Orléans. Idem sur la côte nord du golfe du Mexique. Mais là, l’affaissement n’est pas lié qu’à l’extraction d’eaux souterraines. Il dépend également de l’extraction d’hydrocarbures.

A ces phénomènes, qui fragilisent les villes portuaires face à la montée des mers, s’ajoute le problème de l’érosion des côtes. Les deltas sont particulièrement touchés, étant toujours davantage victimes d’un déficit sédimentaire, notamment en raison de l’installation de barrages le long des fleuves. «Avec l’aménagement des rivières, on limite les apports en sédiments grossiers dans les deltas, tandis que les sédiments fins continuent d’arriver», explique Gonéri Le Cozannet, du BRGM.

La Camargue en danger

Le cas de la Camargue est symptomatique. «L’érosion liée au manque d’alluvions ne touche pas toujours les villes, mais plutôt les côtes moins urbanisées. Elle s’observe par des pertes de sable, la disparition de plages, un recul du trait de côte, éventuellement une déstabilisation des infrastructures de défense côtière. En Camargue, par exemple, Marseille n’est pas affectée, mais les Saintes-Maries-de-la-Mer sont touchées. Des enrochements ont dû être mis en place pour limiter l’érosion», précise l’expert. Pour l’instant, avec une mer qui ne monte que de 2,1 mm par an, la Camargue est sauve. Mais qu’adviendra-t-il si le niveau marin grimpe de 50 cm? Son trait de côte recule déjà de 4 mètres par an depuis 1895…

*«Subsidence et élévation du niveau marin dans les villes côtières: apports de l’interférométrie radar satellitaire», Daniel Raucoules, Gonéri Le Cozannet, Marcello De Michele, Guy Wöppelmann et Anny Cazenave, Ed. Géosciences, 2013.

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Repères

Très lourd tribut humain et financier

> Le niveau marin global s’est élevé de l’ordre de 20 cm depuis la fin du XIXe siècle. Actuellement, la mer monte de 3 mm par an environ.

> Selon les estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le niveau moyen des mers pourrait s’élever de 30 cm à près d’un mètre d’ici à 2100. L’élévation du niveau moyen de la mer tendra «très probablement» à augmenter les valeurs extrêmes des hautes eaux côtières.

> Les inondations sont les catastrophes naturelles qui causent le plus de dégâts dans le monde. Selon une étude publiée en 2013 par le magazine «Nature», les inondations pourraient coûter 1000 milliards de dollars par an de 2010 à 2050, rien que pour les 136 villes les plus exposées.

> Le bilan humain des inondations est de 157 000 morts pour ces vingt dernières années, selon un rapport de l’ONU. Elles ont affecté 2,3 milliards de personnes durant le même laps de temps à travers la planète.

> En Suisse, aucune ville ne connaît de phénomène d’affaissement (subsidence urbaine) qui irait jusqu’à provoquer des problèmes d’inondations, estime le chercheur Luzius Thomi, spécialiste de la protection contre les crues en Suisse auprès de l’Université de Berne. En 2015, les crues et intempéries ont provoqué des dommages pour 135 millions de francs, contre 3 milliards pour l’année record de 2005. PFY


 

Des solutions «douces» pour parer au pire

Pour limiter les submersions marines en zone urbaine, des solutions douces existent. «Pendant longtemps, on a raisonné en termes d’infrastructures de défense côtière, avec murs et digues. Notamment dans les villes affectées par de fortes subsidences comme Bangkok ou Manille, où il importe de protéger efficacement les habitants. Maintenant, on réfléchit autrement. En France, par exemple, dans certaines zones peu urbanisées, on accepte d’enlever une digue pour qu’il puisse y avoir submersion d’un marais côtier. Grâce à cette zone submersible, le niveau d’eau monte moins rapidement. Le Plan de prévention des risques côtiers, qui prévoit une hausse de la mer de 60 cm d’ici 2100, va dans le sens de pareille limitation de l'urbanisation des zones littorales», explique Gonéri Le Cozannet, expert au BRGM.

Dans les zones bâties, la technique souple du rajout de sable sur le littoral peut être une alternative aux digues en dur. Un rechargement en sable des plages leur permet de conserver une certaine largeur et épaisseur, et ainsi d’atténuer les effets des tempêtes. «C’est très pratiqué en Belgique et en Hollande, où les ressources en sable sont proches, mais plus compliqué en Méditerranée, faute de sédiments en suffisance», note le spécialiste. Autres solutions: des dispositifs amovibles, plus ou moins camouflés dans des zones de loisirs en bord de mer. Un projet de «barrière invisible» se prépare à New York dans cet esprit. Bien sûr, le meilleur remède serait de limiter les émissions de gaz à effet de serre! PFY

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