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Histoire vivante

Aux origines du tsunami écologiste

La vague verte est la résultante d’un siècle de lutte à contre-courant. Une histoire riche en turbulences


Pascal Fleury

Pascal Fleury

6 décembre 2019 à 02:01

Politique » Aux dernières élections fédérales, les Verts ont signé la plus forte progression d’un parti depuis l’introduction du système proportionnel il y a un siècle (1919). Ce «raz de marée», qui les encourage désormais à revendiquer un siège au Conseil fédéral, les écologistes ne le doivent pas qu’à l’«urgence climatique» et aux cris d’alarme d’une jeunesse désireuse de «changer le monde» à la suite de l’activiste suédoise Greta Thunberg. Ce «tsunami vert» est en fait la résultante d’une vaste lame de fond née il y a plus d’un siècle et qui s’est renforcée progressivement au gré de diverses tempêtes jusqu’à balayer aujourd’hui une partie du Parlement.

Le concept de protection de l’environnement apparaît dans la législation suisse à l’époque de la Révolution industrielle. En 1877 déjà, la loi sur les fabriques inclut des prescriptions destinées à limiter les émissions nuisibles. En 1897, c’est la déforestation, avec son lot d’inondations, d’éboulements et de glissements de terrain, qui amène le peuple à accepter la révision de l’article constitutionnel sur la police des forêts.

La protection de la nature s’inscrit alors encore dans un esprit largement patriotique et romantique. Les membres de la Ligue suisse pour la protection de la nature, fondée en 1909, militent pour la sauvegarde du paysage et la création de réserves naturelles. Mais dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le ton change. Prophétique, le naturaliste et philosophe Robert Hainard condamne «le rêve impie et néolithique de faire de la Terre entière la niche écologique de la seule espèce humaine»1. Des voix s’élèvent contre les méfaits de la croissance et du progrès, à commencer par la pollution de l’air et des eaux.

Initiatives populaires

La première initiative populaire écologiste est soumise au peuple en 1954. Elle s’en prend au projet d’une centrale électrique sur le Rhin, près de Rheinau. Une initiative jumelle suit en 1956, demandant une extension des droits populaires lors de l’octroi de concessions pour l’utilisation des forces hydrauliques. Toutes deux sont rejetées, mais la stratégie des initiants sera copiée pour combattre d’autres projets d’autoroutes, de places d’armes ou de centrales nucléaires2.

Le principe d’une écologie politique apparaît au début des années 1970. Il est porté par la culture contestataire de la génération de 1968 à la recherche de modes de vie alternatifs et est influencé par l’écologisme des campus allemands et anglo-saxons. En Suisse, la première salve est tirée à Neuchâtel par le Mouvement populaire pour l’environnement qui s’oppose au projet de construction de l’autoroute A5 en bordure du lac. Lors des communales de 1972, le parti rafle 8 sièges sur 41. Au départ, «nous étions en général totalement ignorants de ce qu’était la politique», reconnaît à l’époque son président Jacques Knoepfler, devant la caméra de Temps présent3. Il n’en est pas moins élu au Conseil communal de la ville en 1976.

Dans le canton de Vaud, c’est le Groupement pour la protection de l’environnement, formé de jeunes et d’étudiants, qui va connaître les plus grands succès électoraux, à Lausanne et au Grand Conseil. En 1979, Daniel Brélaz est élu au Conseil national. Il est le premier écologiste d’Europe à accéder à un Parlement national.

Pastèques et concombres

A Fribourg, l’entrée en politique des Verts n’intervient qu’en 1986, l’année des catastrophes de Tchernobyl et de Schweizerhalle (BL). Le mouvement de gauche Ecologie et solidarité décroche quatre mandats au Conseil général de la ville. La même année est fondé le Parti écologiste fribourgeois autour de plusieurs personnalités, dont le remuant hydrogéologue Léon Mornod4. Les deux mouvements fusionnent en 1990 pour former les VertEs.

Les forces écologistes se fédèrent également à l’échelle nationale, en 1991: les alternatifs de gauche, appelés alors «verts pastèque» (verts à l’extérieur et rouges à l’intérieur), s’unissent avec les modérés «verts concombre» (vert partout) pour former l’actuel Parti écologiste suisse (PES). Les Verts restent divisés sur divers objets, comme l’entrée dans l’Espace économique européen. En 2004, l’exclusion de Martin Bäumle du groupe parlementaire entraîne la formation des Vert’libéraux, présents aujourd’hui dans 19 cantons.

Depuis lors, les Verts se font moins contestataires et plus réformistes. «Ces dernières années, ils ont été beaucoup plus présents sur les questions des inégalités sociales, comme le statut de la femme, le droit des migrants, la lutte contre la pauvreté. Ils ont été aussi plus sensibles aux enjeux économiques», commente l’ancien conseiller national Fernand Cuche. Le volet écologique reste bien sûr le plat de résistance des Verts. Face au tsunami du climat, la vague verte a du pain sur la planche!

1 Ivo Rens, Entretiens sur l’écologie – De la science au politique, Ed. Georg, 2017.

2 Matthias Baer et Werner Seitz (dir.), Les Verts en Suisse, Ed. Rüegger, 2009.

3 Gérald Mury, Les verts avant les Verts, documentaire Temps Présent, 1978.

4 Sylvain Grandjean, La nébuleuse verte dans le canton de Fribourg, Ed. ASTP, 2015.


«Hélas, le temps nous a donné raison»

Représentant de la première grande vague verte, l’ancien conseiller national et conseiller d’Etat neuchâtelois Fernand Cuche évoque ses années de combat.

Quel est l’élément déclencheur qui vous a poussé à vous engager pour l’écologie?

Fernand Cuche: Dans les années 1970 déjà, je portais une attention à cette société qui poussait à l’hyperproduction et consommation. Des «lanceurs d’alertes» m’ont fait prendre la mesure du problème: le physicien antinucléaire Bernard Lehmann, la militante libérale genevoise Monique Bauer-Lagier, l’agro-écologiste français Pierre Rabhi ou l’un des pionniers de l’agriculture biologique, André Ducommun, à Boudry.

Quels ont été vos premiers combats?

Non-violent, j’ai manifesté contre la guerre du Vietnam et son terrible agent orange et contre le nucléaire à Kaiseraugst. Mon premier combat politique, avec Philippe Roch du WWF, a été de dénoncer la lutte chimique menée par le canton de Neuchâtel contre l’invasion des campagnols. L’anticoagulant utilisé tuait des dizaines de buses, milans et renards. Je comprenais le désarroi des paysans. Mais il ne fallait pas ajouter un problème majeur à ces pullulations cyclique.

Vos positions ne vous ont pas facilité la vie de secrétaire général de l’Union des producteurs suisses...

Dans les années 1980, la majorité des paysans réfutait les critiques contre le mode de production intensif. J’étais parfois méchamment contesté. A leur décharge, au lendemain de la guerre, c’était la disette. Un progrès extraordinaire a été réalisé pour la fertilisation et la protection des cultures. Malheureusement, on n’a pas voulu voir le revers de la médaille, avec les engrais du commerce et les pesticides. Résultat, ces quatre dernières années, une bonne douzaine d’initiatives touchent l’agriculture et l’environnement. Le temps nous a donné raison, mais les autorités politiques ont trop tardé à réagir. Les paysans se sentent un peu dépossédés dans leur liberté d’exercer le métier. Mais j’observe de belles initiatives individuelles ou de groupes en faveur d’une agriculture durable.

Les Verts sont-ils mûrs pour le Conseil fédéral?

Qu’importe qu’ils soient mûrs ou non, l’urgence climatique est là. Le Parlement devrait élire une candidature verte, un parti en pleine croissance quatitative, motivé, habité par des valeurs de durabilité et ancré dans une approche globale. Ce choix prolongerait l’élan donné aux Verts par l’électorat. Les Verts pourraient aussi demander une session spéciale sur le dérèglement climatique. PFY

Radio: Ve: 13 h 30

TV: 1979, l’année qui a changé le mondeDi: 22 h Ma: 1 h 15

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