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Histoire vivante

Afghanistan, l’éternelle poudrière

Avec le retour des talibans, le drame afghan a atteint son paroxysme. Comment en est-on arrivé là?


 Pascal Fleury

Pascal Fleury

26 août 2022 à 04:01

Asie centrale » En 1937, le diplomate René Dollot, ministre de France à Kaboul, écrit dans un ouvrage primé par l’Académie française et réédité¹ en 2017, que l’Afghanistan est «la Suisse de l’Asie». La comparaison avec notre Confédération montagneuse, «à la croisée des chemins», était assurément pertinente à l’époque du dernier roi d’Afghanistan, Mohammad Zaher Shah, alors que le pays était l’un des plus pacifiques du continent asiatique et que sa Constitution prévoyait l’éducation universelle pour garçons et filles.

Aujourd’hui, force est de constater que l’image d’Epinal est méchamment écornée. «On a beau se creuser la tête, il n’y a pas dans l’histoire récente de l’après-guerre de régime aussi meurtrier, aussi suicidaire et nihiliste que celui des talibans. Sauf peut-être celui des Khmers rouges cambodgiens», déplore le grand reporter Jean-Marie Montali2, qui a couvert l’Afghanistan en guerre depuis la fin des années 1980. Mais comment en est-on arrivé là? Eléments de réponse en trois points.

1. L’Etat tampon des empires

Evoquer la grande histoire de l’Afghanistan, c’est se souvenir de ce carrefour des civilisations sur la route de la soie, au commerce florissant dès l’Antiquité. La région, balayée par les hordes mongoles de Gengis Khan, est conquise ensuite par Tamerlan. L’oasis d’Hérat devient l’une des capitales les plus cultivées et les plus raffinées du monde. Mais au XIXe siècle, alors que les routes maritimes lui font concurrence, l’Afghanistan se réduit à un «Etat tampon», pris en étau entre les empires russe et britannique.

Pire, dans ce «Grand Jeu» colonial (lire ci-contre), les Anglais, qui craignent pour leur province du Pendjab, imposent en 1893 à l’«émir de fer» Abdur Rahman Khan une frontière défavorable pour les Afghans. Cette «Ligne Durand», du nom d’un haut fonctionnaire britannique, coupe en deux nombre de tribus pachtounes, ce peuple fondateur de l’Afghanistan moderne au XVIIIe siècle.

«Ce tracé britannique affectera d’une blessure cuisante, car inguérissable, non seulement le nationalisme irrédentiste afghan, mais encore le destin géopolitique moderne de la région», commente l’écrivain Michael Barry3, ancien professeur à l’Université américaine de Kaboul. En 1947, lors de la partition du sous-continent, l’Afghanistan exigera l’autodétermination pour les Pachtounes d’Inde, sans succès. Résultat: il sera le seul Etat à voter contre l’adhésion du Pakistan à l’ONU, ce qui créera des tensions durables entre les deux pays. Le Pakistan jouera plus tard un rôle déterminant pour la montée en puissance des talibans, formant ces «étudiants» et finançant leurs opérations, comme l’a relevé Human Rights Watch en 2001.

2. Le cauchemar du communisme afghan

En avril 1978, un coup d’Etat communiste, appelé «révolution de Saur», en référence au mois du calendrier afghan, va faire basculer l’Afghanistan dans un abîme social et politique. Des sympathisants marxistes au sein de l’armée, formés en Union soviétique, renversent le président Mohammad Daoud Khan lors d’un putsch meurtrier. «Ces communistes étaient déchirés entre deux factions rivales, qui méconnaissaient totalement la complexité de la société tribale afghane. Ils ont dû affronter des révoltes paysannes généralisées et subir une guerre sainte lancée par les mollahs», raconte le journaliste pakistanais Ahmed Rashid4, spécialiste de l’Asie centrale. Leurs chefs sont assassinés.

Pour Moscou, c’en est trop. En quelques mois, l’Afghanistan est catapulté au centre d’une terrible guerre froide entre les Etats-Unis et l’Union soviétique. Les moudjahiddin forment dès lors des troupes de choc antisoviétiques soutenues par les Américains. C’est de ce conflit, qui a coûté environ 1,5 million de vies afghanes jusqu’en 1989, qu’a émergé une nouvelle génération de «combattants de la foi», les talibans.

3. La méconnaissance des Américains

Soigneusement planifiée depuis le Pakistan, l’offensive des talibans commence à l’automne 1994. Kaboul tombe en 1996. L’ancien président communiste Mohammad Najibullah et son frère sont pendus à un réverbère, les femmes interdites de travail et les filles de scolarité, les homosexuels exécutés. La communauté internationale laisse faire. Jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis se lancent alors dans une «guerre contre le terrorisme». Mais leurs frappes aériennes sont aussi inefficaces que démesurées face aux talibans maquisards. La coalition, qui méconnaît la complexité ethnique du pays, sous-estime aussi la portée de l’islamisme. Oussama ben Laden est débusqué au Pakistan mais, pendant ce temps, dans les madrasas de la zone tribale, la formation des jeunes «étudiants» se poursuit.

En 2021, au départ des Américains, il ne faudra que 15 jours aux talibans pour reprendre Kaboul. En vingt ans, rien n’a changé. Dans une profession de foi publiée en 1998 dans le Figaro Magazine, le commandant Massoud, à la tête de l’Alliance du Nord, écrivait: «Ce que le monde peut faire pour nous aider à arrêter cette tragédie humaine ne tient qu’en deux points: une aide humanitaire d’urgence au peuple afghan; et faire pression pour l’arrêt des ingérences pakistanaises.» On en est toujours là.


En dates

1747

Empire afghan.

1838

Première guerre anglo-afghane. 2e en 1878, 3e en 1919.

1926-1973

Royaume afghan.

1973-1978

République d’Afghanistan.

1978

Révolution de Saur (communiste).

1979-1989

Occupation soviétique.

1989-1996

Guerre civile.

1996-2001

Régime taliban.

2001-2021

Guerre d’Afghanistan: occupation des USA et alliés.

2021

Retour des talibans. PFY


Le «Grand jeu» des empires

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