Paul Dembinski
12 juin 2019 à 04:01
Opinion
La Conférence internationale du travail, occasion de célébrer le centenaire de l’organisation éponyme (OIT), vient de s’ouvrir en grande pompe à Genève. Dans les couloirs se prépare le programme de travail des prochaines décennies. Il y a toutes les chances que le «travail décent» demeure au centre de cet agenda. Cette notion suppose à la fois formalisation des rapports employeur/employé, rémunération digne, couverture sociale pour les familles, et conditions de travail respectueuses de la dignité des personnes, de leur liberté et de leurs aspirations. Le travail, tel qu’implicitement défini ici, se réfère aux activités liées au marché du travail, qui n’est qu’un des théâtres où se déploie l’activité humaine. Très présent dans les pays occidentaux, il est hors de portée pour la majorité de la population mondiale.
Ainsi, l’objectif du travail décent fait partie des 17 Objectifs de développement durable adoptés récemment par les Nations Unies. La focalisation sur le travail décent pour tous relève d’un idéalisme généreux, pour ne pas dire d’une naïveté pure et simple. En effet, dans une perspective globale, la situation actuelle de l’humanité au travail est très éloignée des objectifs proposés. Le relevé statistique du «travail» ne capte qu’une partie de la totalité des activités humaines, et c’est la première de mes trois observations. Selon une estimation récente, l’activité dite domestique – aux contours flous – absorbe, au niveau mondial, pas loin de la moitié du temps disponible.
Les conditions de cette activité sont par nature en porte-à-faux avec les caractéristiques de l’agenda du travail décent (contrat, rémunération, couverture sociale, etc.). Reste à savoir comment inscrire ces activités-là, qui sont dominantes du point de vue numérique, dans l’agenda du travail décent sans les dénaturer.
La 2e observation touche l’importance de l’«informalité». Ce terme est implicitement un jugement de valeur, tout ce qui ne serait pas formalisé au sens occidental du terme serait imparfait, voire incomplet. Peut-être bien, mais il ne faut pas se voiler la face, selon un rapport récent de l’OIT, plus de 60% de l’activité en rapport avec le marché du travail se déroulent dans l’«informalité», donc totalement ou partiellement en dehors du cadre réglementaire, lequel dans bien des pays n’existe simplement pas autrement que sur papier. L’«informalité» n’est ainsi pas l’exception, mais la norme. Comment rêver de mettre en œuvre l’agenda du travail décent sans, au préalable, s’attaquer au vide institutionnel?
Finalement, la crise écologique ajoute une dimension supplémentaire qui devrait être intégrée à la nouvelle mouture de cet agenda que la conférence pourrait élaborer. Travailler, c’est aussi prendre soin de la planète et ainsi penser aux générations futures. Il est certain que les ONG, qui sont très présentes à la Conférence internationale du travail, vont porter, selon les priorités qui sont les leurs, certains éléments mentionnés ici afin que l’OIT démarre son IIe siècle avec en main un agenda étendu du travail décent.
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