La jeunesse n’est pas à l’abri du virus
L’EPFL planche sur l’hypothèse génétique pour mieux comprendre les complications chez les jeunes
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Igor Cardellini
9 avril 2020 à 04:01
Coronavirus » Un adolescent anglais de 13 ans, une Belge de 12 ans, une Française de 16 ans et un Italien de 19 ans installé à Londres. Ces derniers jours, plusieurs jeunes ont succombé au Covid-19 alors qu’ils ne présentaient a priori pas de fragilité particulière. Ces cas restent très rares, mais les interrogations se multiplient. En Suisse, aucune personne en dessous de 30 ans n’a encore été emportée par la maladie. Mais les données commencent à montrer que les plus jeunes ne sont pas invulnérables face au virus.
Au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), plus de la moitié des patients atteints du Covid-19 pris en charge aux soins intensifs ont moins de 65 ans. Et parmi les 30 à 50 ans, un tiers ne présente pas d’autres pathologies (hypertension, diabète, maladie cardiovasculaire ou respiratoire chronique). «Ces proportions interpellent (ndlr: elles sont similaires aux Hôpitaux universitaires de Genève) et appellent les plus jeunes à la prudence, mais il faut prendre ces données avec des pincettes tant les chiffres en question sont peu élevés. Nous parlons d’une cinquantaine de personnes aux soins intensifs au CHUV. Et concernant les décès, il y a eu quatre cas dans le pays pour cette tranche d’âge», relève Karim Boubaker, médecin cantonal vaudois.
En effet, selon le dernier rapport épidémiologique de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), mercredi matin, 22 375 personnes avaient été testées positivement au Covid-19 et 2840 hospitalisées en Suisse et au Liechtenstein. Sur les 704 personnes ayant succombé des suites de la maladie, 629 avaient 70 ans et plus, 55 entre 60 et 69 ans et 16 entre 50 et 59 ans. «S’il faut être conscient que nous parlons de chiffres peu élevés, il faut aussi éviter toute banalisation. La situation confirme que les mesures d’éloignement et de semi-confinement doivent être respectées scrupuleusement par toute la population, les jeunes aussi», insiste le médecin cantonal.
Piste privilégiée
Mais comment expliquer ces cas de jeunes en pleine santé qui s’aggravent? Plusieurs théories sont à l’étude en ce moment. Certains chercheurs, comme Christian Drosten, à la tête du département de virologie de l’hôpital universitaire de la Charité à Berlin, font l’hypothèse que la gravité d’un cas pourrait être liée à la quantité de virus à laquelle une personne a été exposée.
Mais l’hypothèse privilégiée, notamment par l’influent Imperial College, est celle d’une susceptibilité génétique. Un consortium international de chercheurs, le Covid Human Genetic Effort, étudie cette piste. Le laboratoire de Jacques Fellay, infectiologue expert en génomique à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), y participe.
Ce consortium part de l’idée qu’une partie de ces malades sont porteurs d’une déficience génétique particulière insoupçonnée jusqu’à l’exposition au SARS-CoV-2. La génétique humaine des infections s’intéresse à ces présentations cliniques inusuelles depuis quelques années. Dans une étude précédente sur des enfants atteints du rhinovirus, Jacques Fellay avait montré qu’un enfant sur 5000 à 10 000 se retrouve aux soins intensifs à cause d’un virus qui d’ordinaire ne cause qu’un rhume. «Ces enfants-là ont un trou dans leur immunité. Une petite différence dans leur génome, qui rend la défense immunitaire contre ce virus dysfonctionnelle. C’est ce type de variation génétique que nous cherchons à identifier chez les patients atteints du Covid-19», explique l’infectiologue.
Concrètement, les laboratoires du consortium vont collecter à large échelle le matériel génétique de patients de moins de 50 ans sans comorbidité et pourtant passés par les soins intensifs. «Des échantillons de sang seront prélevés pour en extraire l’ADN à séquencer. Une puissante machine lira leur génome pour y chercher des variations génétiques qui leur sont propres, très rares, en les comparant à des centaines de milliers de génomes déjà séquencés sur la planète», explique Jacques Fellay.
L’opération revient à chercher «une aiguille dans la botte de foin de la variation génétique humaine». Sur les 3,2 milliards de lettres de notre génome, il y a 4 millions de différences entre deux humains, au hasard. Sur ce total, chez ces patients, il y en a possiblement une ou deux responsables de ce qui leur arrive.
Horizons thérapeutiques
«Plus nous avons de patients, plus le recoupement des informations entre ces malades sera pertinent», précise le chercheur. L’enjeu consistera à repérer des variations génétiques partagées entre plusieurs patients pour identifier où se trouvent les gènes responsables de la susceptibilité à la maladie.
Connaître les facteurs génétiques liés à ces formes sévères permettra d’une part de faire des dépistages génétiques et de la prévention ciblée, et d’autre part d’identifier les leviers que le virus utilise afin d’envahir les cellules et les mécanismes impliqués dans notre réponse immunitaire. Cela pourrait ouvrir de nouveaux horizons thérapeutiques et vaccinaux.
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